« Avec l’invitation à suivre le Christ en qui vérité et amour coïncident », Mgr Francesco Follo propose ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 30 juin 2019.
Comme lecture patristique, l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose des pages de saint Jean Chrysostome.
Le chrétien est celui qui décide d’écouter le Christ et de le suivre.
1) Sequela Christi.
« La Sequela (suite) du Christ » est une expression qui décrit synthétiquement toute l’existence chrétienne.
Qu’est-ce que signifie concrètement « suivre le Christ » ?
Cela signifie qu’en demandant à ses disciples de le suivre, Jésus les a appelés à vivre avec et comme lui et à l’aimer. En quoi consiste suivre le Christ ?
Cela signifie que nous sommes appelés à devenir un écho de l’événement du Christ, à devenir nous-mêmes « un événement », parce que le christianisme, avant d’être un ensemble de doctrines ou une règle pour le salut, c’est « l’événement » de la rencontre avec le Christ, en qui nous nous incorporer et avec qui nous devons adhérer filialement à la volonté du Père.
L’événement-Christ n’est pas seulement à comprendre en le reconnaissant. Il faut y adhérer en aimant cette Présence rencontrée qui devient la forme de notre vie dans la vérité et l’amour.
Si nous méditons avec attention l’Évangile, nous voyons que, au début, pour les premiers disciples, le sens du mot « suivre » était très simple et immédiat : cela signifiait que ces gens avaient décidé de quitter leur profession, leurs affaires, leur vie entière pour aller avec Jésus. Cela signifiait entreprendre une nouvelle profession : celle du disciple. Le contenu fondamental de cette profession était de marcher avec le maître, de se fier totalement à sa conduite.
Ainsi, la suite était à la fois une chose extérieure et une chose très intérieure.
L’aspect extérieur était de marcher derrière Jésus dans ses pérégrinations à travers la Palestine.
L’aspect intérieur était la nouvelle orientation de l’existence qui n’avait plus ses repères dans les affaires, dans le métier qui était donné de vivre, dans sa volonté personnelle, mais qui s’abandonnait totalement à la volonté de l’Autre.
La raison de vie du Maitre était devenue celle du disciple qu’était appelé à se mettre à disposition du Rédempteur. Cela impliquait une renonciation complète de soi-même. Renonciation radicale que nous pouvons clairement comprendre en lisant certaines scènes de l’Evangile y compris celle de l’Evangile de ce dimanche
Mais tout cela n’était pas vrai seulement pour les disciples d’ il y a deux mille ans, c’est aussi vrai pour chacun de nous, ce qui montre aussi ce que la « Sequela » ( suite) signifie et quelle est sa véritable essence, pour nous: c’est un changement intérieur d’existence qui permet notre exode[1] intérieur et extérieur.
2) Suivre Jésus est un exode vers l’Amour.
L’Evangile romain de ce dimanche nous présente le Messie qui se met en marche vers Jérusalem. Jésus prend la route de la Cité sainte (Lc 9,51) avec conscience, courage et décision. Mais l’expression grecque, traduite par l’adverbe « résolument », rend bien l’intensité de l’amour avec lequel le Fils de Dieu accueille et obéit à la volonté du Père.
Jésus-Christ sait qu’à Jérusalem son destin d’amour se réalisera et que sa mission de Rédempteur trouvera son plein accomplissement avec l’arrestation, le procès et la condamnation à mort. Mais sans hésitation et d’un cœur solide et volontaire il s’achemine vers la Cité Sainte, poussé par l’amour pour le Père et pour l’humanité entière.
Dans cet exode le passage de l’Evangile d’aujourd’hui nous parle de personnages anonymes que le Messie, Pèlerin d’éternité, appelle parce qu’il les aime.
Ce sont des personnes auxquelles chacun de nous peut s’identifier. Ces « anonymes » sont fascinés par le Christ et fort est leur désir de Le suivre de plus près. Celui-ci est devenu leur centre affectif et ils ont l’intuition qu’avec Lui leur vie ne sera plus ni banale ni même désespérée: Jésus transforme l’homme en saint, fait de lui un homme vrai. Alors cela vaut vraiment la peine de Le suivre même si, pour faire cela, ils doivent abandonner leurs vies dans les mains de Dieu.
Suivre Jésus est toujours un exode de soi-même comme a dit le pape François : « C’est le Christ qui vous a appelées à le suivre dans la vie consacrée et cela signifie accomplir continuellement un « exode » de vous-mêmes pour centrer votre existence sur le Christ et sur son Evangile, sur la volonté de Dieu, en vous dépouillant de vos projets, pour pouvoir dire avec saint Paul: « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Cet « exode » de soi-même, c’est se mettre sur un chemin d’adoration et de service » (Pape François, aux Supérieures Générales, 8 mai 2013). Et ceci ne vaut pas seulement pour les Sœurs, qui étaient en audience chez le pape.
Tous les chrétiens doivent suivre le Christ, ce qui implique, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, qu’il faille aller personnellement à sa recherche, qu’il faille aller avec Lui. Cette aventure implique aussi que l’on sorte de cet enfermement de soi, que l’on brise cet individualisme qui, souvent, caractérise la société de notre temps.
Mais pourquoi centrer notre vie sur le Christ ? Pourquoi tout quitter pour suivre cet homme qui ne promet ni argent ni terres, et ne parle « que » d’amour, de pauvreté et de perfection?
Pourquoi Lui seul a-t-il les paroles de la vie éternelle, des paroles qui expliquent la vie. Des paroles qui donnent « sens » et « unité » à une existence qui, autrement, serait perdue et fragmentée.
3) Suivre son Prochain: Dieu est avec nous.
Ses paroles transforment notre existence, la rendent heureuse dans la vérité d’un amour infini: c’est-à-dire la transforment en une vie sainte. La justice n’étanche par notre cœur. Le Christ appelle à Le suivre et il propose d’aller « au-delà » de la justice, non pas à force de théories sur l’amour, mais en vivant l’expérience de l’amour : expression d’un Amour qui se fait proche de nous et qui triomphe de la mort.
Le véritable antidote contre la mort n’est pas la vie (qui succombe à la mort), mais l’amour. Qui suit le Christ dans sa vie, vit dans l’amour de Dieu, possède déjà en lui la vie ressuscitée du Christ et, par cette résurrection anticipée qui imprègne sa vie ici-bas, il va à l’encontre de la mort et triomphe contre elle: Car l’amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l’abîme (Ct 8,6). Jean dans la première lettre dit : Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort dans la vie, puisque nous aimons nos frères. (Jn 1, 14). La grâce en Jésus-Christ devient « avènement ». La mort n’est plus une défaite. En Jésus-Christ la mort est devenue un geste d’amour.
Suivre le Christ est la vie du chrétien: l’Amour est le destin du disciple chrétien (cf. Ep. 1,5). Si nous le suivons, nous sommes amoureusement aux côtés du Christ qui se fait proche de nous. Si nous mettons nos pieds dans ses pas, nous nous rapprocherons certainement et quotidiennement de notre unique destination: Dieu, source de ce bonheur pour lequel nous sommes faits.
En Jésus-Christ Dieu est proche de nous (plus intime que nous-mêmes: Deus intimior intimo meo, disait saint Augustin) et notre prochain devient pour nous une personne à aimer. L’amour que l’on porte à Dieu est un amour parallèle à celui que l’on doit porter à nos frères. Nous devons réapprendre à écouter, à comprendre la Parole, dont chaque homme est porteur.
En Jésus-Christ le désir d’infini, le désir d’être Dieu se réalise car, en suivant Jésus, Chemin et Vérité, nous imitons Sa sainteté. Le disciple de Jésus ne récuse pas d’être semblable à Dieu, d’être avec Dieu: « Dii estis » (= soyez des Dieux, rappelle saint Paul, « Soyons des Dieux – commentait Bossuet – soyons des Dieux, le Christ le permet pour l’imitation de sa sainteté »). Le disciple l’est dans l’obéissance au Sauveur, dans l’abandon au Père.
Il y a des décennies on parlait de « Principe Espérance ». Le principe espérance[2], moi je préfère parler de principe miséricorde. Au nom de ce principe nous, Église Peuple de Dieu, nous sommes appelés à offrir l’amour du Christ à tous, en leur annonçant ses paroles et ses œuvres, sa proximité et son attachement à panser les plaies spirituelles et matérielles de l’humanité. Le dévouement de Jésus au Père e notre pauvre humanité, jusqu’au don sacrificiel de son existence nous révèle, et révèle au monde à travers nous, qui est Dieu: Un Amour qui se donne éternellement, un Amour qui, dans une gratuité absolue, se consacre à la création blessée et lacérée par le péché.
4) Suivre c’est imiter.
Suivre Jésus, ça n’est pas seulement s’identifier à Lui, c’est aussi l’imiter, surtout par la virginité. Les apôtres et les autres appelés par Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui n’ont pas adhéré à une organisation, mais sont entrés en communion avec le Seigneur qui les invitait à aller derrière Lui. Ils l’ont imité vraiment et avec amour, et leur cœur a changé, en cœur de pierre il s’est transformé en cœur de chair (cf. Ez 36,28). Suivre Jésus fut pour eux, et cela doit l’être pour nous, une profonde écoute de la vie et une identification au Christ, en devenant ses disciples.
Ici il est important de rappeler que le mariage chrétien et la virginité consacrée sont deux modes « opposés » de vivre dans l’Eglise la condition du disciple. Toutefois, ces deux modes coïncident avec le fait d’être un symbole accompli des noces du Christ avec l’Eglise, car nous sommes tous appelés à l’amour parfait.
Certes, pour ce qui est de la virginité il est important de rappeler, par exemple, ce qu’enseigne saint Augustin d’Hippone: « Suivez l’Agneau, car la chair de l’Agneau est vierge elle aussi.… Vous avez bien raison de le suivre, par la virginité du cœur et de la chair, partout où il va. Qu’est-ce en effet que suivre, sinon imiter ? Car le Christ lui-même a souffert pour vous et vous a laissé son exemple, comme dit saint Pierre apôtre « afin que nous suivions ses traces » (1 P 2, 21) ». L’amour envers le Christ ne pouvait se contenter de simples liens d’affection avec lui: celui-ci avait un besoin absolu de se manifester en imitant ses vertus et en se conformant, de manière spéciale, à sa vie toute consacrée au bien et au salut du genre humain.
Vous qui êtes des disciples du Seigneur, soyez réellement « virgo sacrata » et « sponsa Christi » en vertu d’une onction de l’Esprit: « L’Esprit consolateur […] aujourd’hui par notre ministère vous consacre avec une nouvelle onction spirituelle » (RCV 29); de même que dans la bénédiction finale il est dit: « L’Esprit saint […] aujourd’hui a consacré vos cœurs » (RCV 56).
Pour les vierges consacrées, l’amour sans réserve pour le Christ se fait « Sequela (suite) » sans condition et comporte une assimilation spéciale à l’Époux ; la « Sequela » (la suite) exige implicitement l’observance des conseils évangéliques, afin de conserver intègre la fidélité au Seigneur. A cet égard, le Pape leur recommande ceci : « veillez à ce que votre personne rayonne toujours la dignité d’épouse du Christ et exprime la nouveauté de l’existence chrétienne et l’attente sereine de la vie future ».
Lecture patristique
Jean Chrysostome
Suivre le Christ (sur Matth. 55, 1)
Il est dit dans l’Evangile de saint Jean « Que si le grain de froment ne meurt lorsqu’il est en terre, il demeure seul, mais qu’après qu’il est mort il rapporte beaucoup de fruit. (Jn 19,24).
Et pour étendre encore cette vérité plus loin, dans cet endroit de saint Matthieu, il montre que non seulement il faut qu’il meure lui-même, mais que tous ses véritables disciples s’y doivent aussi préparer. Il y a, leur dit-il, tant de biens renfermés dans ces souffrances passagères, qu’un de vos plus grands malheurs c’est de ne les vouloir pas accepter et de craindre de mourir; comme votre plus grand bonheur, c’est d’être toujours prêts à faire ce sacrifice. C’est ce qu’il montre clairement par toute la suite, quoique jusque-là il n’eût voulu découvrir cette vérité qu’en partie. Et remarquez, mes frères, la sagesse avec laquelle Jésus-Christ parle en cet endroit. Il n’engage et ne force personne. Il ne dit point: Quoique vous le vouliez, ou que vous ne le vouliez pas, il faut nécessairement que vous enduriez des maux. Il dit seulement: « Si quelqu’un veut venir après moi.» Je ne contrains et ne violente personne. Je laisse tout le monde à soi et libre de faire ce qu’il voudra. C’est pourquoi je dis: « Si quelqu’un veut.» Car c’est à des biens que je vous invite et non à des maux. Je ne vous appelle point à un état de misères ni aux rigueurs d’un supplice pour user envers vous de contrainte. Les biens que je vous propose sont assez grands pour vous attirer d’eux-mêmes à écouter ce que je vous dis. Mais ces paroles formaient l’exhortation la plus puissante qu’il pût employer. Celui qui violente et qui force quelqu’un, lui donne souvent de l’éloignement et augmente son aversion, Lorsqu’au contraire on laisse celui à (428) qui l’on propose une chose, libre de la faire ou de ne la faire pas, c’est un moyen bien plus puissant pour l’attirer à ce qu’on désire de lui. Car les paroles douces et obligeantes font plus d’effet sur nos esprits que la force et la contrainte.
C’est pour cette raison que Jésus-Christ dit sans user de violence: «Si quelqu’un veut,» etc. Les biens que je vous offre, dit-il, sont si grands et si considérables, qu’ils méritent assez que vous y couriez de vous-mêmes et que vous les désiriez de votre propre mouvement. Si quelqu’un vous proposait de grandes sommes d’argent, il ne vous ferait aucune violence en vous invitant à les recevoir. Si donc vous ne croyez point que l’on vous force dans ces rencontres, combien le devez-vous moins croire lorsqu’on vous offre tous les biens du ciel? Si la seule grandeur de ces biens inestimables qu’on vous propose ne vous attire par elle-même et ne vous entraîne à tâcher de les acquérir, vous êtes indignes de les recevoir; et quand vous les auriez reçus, vous n’en comprendriez pas le prix. C’est pourquoi Jésus-Christ ne contraint ici personne. Il nous laisse à nous et il se contente de nous exhorter à nous y porter de nous-mêmes.
Comme les apôtres paraissaient surpris de cette parole, il semble que Jésus-Christ leur dise: Il n’est point nécessaire que vous vous troubliez de la sorte. Si vous ne croyez point que ce que je vous propose vous soit une source de biens et le plus grand bonheur qui puisse vous arriver, je ne vous y forcerai pas. Je ne prétends contraindre personne. Je n’appelle à moi que celui « qui me veut suivre. » Et ne croyez pas, mes disciples, que j’appelle «me suivre », ce que vous avez fait jusqu’ici en m’accompagnant dans mes voyages, il faudra que vous enduriez bien d’autres travaux, et que vous passiez par des afflictions bien plus sensibles, si vous êtes résolus de me suivre de la manière que je l’entends. Et vous, Pierre, qui venez de confesser que je suis le Fils de Dieu, ne prétendez pas que pour cette confession, vous deviez attendre la couronne de la gloire. Ne vous imaginez pas que ce soit assez pour le salut et que vous n’ayez plus qu’à vivre dans une pleine assurance comme ayant satisfait à tout. Je pourrais assez, étant le Fils de Dieu, vous empêcher de tomber dans ces malheurs, et prévenir par ma puissance tous les périls qui vous pourront arriver, mais je ne le veux pas faire à cause de vous-même et pour votre propre bien, afin que vous contribuiez de votre part à votre bonheur, et que vos souffrances redoublent un jour votre gloire. Si quelqu’un aimait un athlète, il ne voudrait pas qu’on le couronnât, seulement parce qu’il est son ami. Il veut qu’il travaille et qu’il mérite sa couronne; et plus il l’aime, plus il désire qu’il s’efforce de s’en rendre digne. C’est ainsi que Jésus-Christ nous traite. Plus il chérit une âme, plus il veut qu’elle contribue pour sa part à son bonheur et à sa gloire. Il ne peut souffrir que sa grâce fasse tout en elle et qu’elle n’y réponde point par ses travaux.
NOTES
[1] Exode de odòs route, ex = de, c’est donc la sortie d’un lieu d’exil pour une terre de liberté. Les Juifs eurent leur exode de l’Egypte vers la Terre promise. Le Fils de Dieu, descendu du Ciel pour nous sauver, de la terre il est retourné à la Maison du Père en marchant vers Jérusalem, où l’attendait l’autel de la Croix.
[2] En 1964 Jürgen Moltmann a écrit « La Théologie de l’Espérance », une œuvre qui entra en dialogue avec les philosophies de l’Espérance, surtout avec la pensée d’Ernst Bloch, auteur de “Le Principe Espérance” (1954-1959).
Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo
"Suivre le Christ en qui vérité et amour coïncident", par Mgr Follo
Commentaire des lectures de la messe du 30 juin 2019