Interview de Valentina Alazraki (Televisa) © capture de Zenit / Televisa YouTube

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Interview de Valentina Alazraki (5) : Le pape dit « non » au jugement médiatique

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La clé, ce sont ceux qui sont loin, sans négliger les autres

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« Si tu critiques l’Église, ça va, la critique fait du bien », déclare le pape François qui appuie toutefois son argument d’un exemple : « Sainte Catherine de Sienne critiquait les cardinaux et parfois elle donnait des coups de bâton au pape. Et elle était sainte ! ». Le pape reconnaît qu’il s’insurge contre « les préjugés, le jugement médiatique » mais « l’opinion, non ; l’opinion ouverte, non.  Cela nous aide tous. Je crois que le jugement médiatique est injuste ».

C’est ce qu’il a confié à la journaliste Valentina Alazraki, correspondante au Vatican de la télévision mexicaine, Televisa, dans un long entretien en espagnol, paru dans L’Osservatore Romano du 28 mai 2019 et dont Zenit a déjà publié 3 parties (le 28 mai – sur la violence fait aux femmes -, le 29 mai – sur le cas McCarrick – le 3 juin – sur la finance et les injustices au Mexique et le 4 juin – sur les médias, le Chili et les nominations ).

Aux personnes qui trouvent que « le pape préfère ceux qui sont loin », celui-ci répond: « C’est un compliment pour moi ! C’est ce que faisait Jésus, et on l’en accusait ». Mais il explique aussitôt : « Je ne préfère pas, non. Je préfère… non ! Mais priorité… oui ! ». De toutes façons, poursuit-il, « cette préférence pour ceux qui sont loin, Jésus l’avait et on le lui a reproché. Il ne négligeait pas les autres, j’essaie de ne pas négliger les autres », mais « Jésus allait toujours chercher ceux qui étaient loin, il allait les chercher, il sortait. C’est cela la clé ».

Voici notre traduction d’un passage de cette longue interview.

HG

VA – Beaucoup de personnes n’ont pas aimé parce que vous avez rapporté toutes ces statistiques et que vous avez beaucoup parlé du diable, comme si c’était la faute du diable.

Pape François – C’est la vérité, ma fille ! C’est le diable qui nous a aidés dans tout cela, qui entre en nous. J’ai abordé le problème du diable quand j’ai parlé de la pédophilie mondiale, la pédophilie… et je me suis arrêté et j’ai dit : « cela ne peut pas s’expliquer parce que cela n’a pas de sens », en reprenant une définition d’un philosophe français. Cela n’a pas de sens. Ici, nous voyons seulement l’esprit du mal qui induit tout cela. Et je dis la vérité, je n’arrive pas à m’expliquer le problème de la pédophilie, sans y voir l’esprit du mal. Je suis croyant et Jésus nous a enseigné que le diable est comme cela.

VA – Je me souviens que peu de temps avant la rencontre, il me semble lors de l’audience générale, vous aviez déjà dit quelque chose sur le diable, que ceux qui critiquent l’Église ou qui critiquent le pape, ou qui critiquent en général, disons, l’Église, sont des amis ou des cousins ou des parents du diable. Alors ma question est la suivante : avez-vous dit quelque chose comme cela pendant une audience ?

Pape François – Je ne me souviens pas du texte, mais non. Je ne vois pas cela ainsi, on m’a mal compris.

VA – Cela a dû vous échapper alors…

Pape François – Non, non, il faut voir ce que j’ai dit. Je suis incapable de dire quelque chose comme cela parce que je ne crois pas qu’il en soit ainsi. Si tu critiques l’Église, ça va, la critique fait du bien. Ce texte, cherche-le, parce que ce n’est pas ce que j’ai dit, il y a une erreur, quelque chose m’a échappé mais je n’ai pas dit cela. C’est vrai que le diable nous tente tous, mais il tente aussi ceux qui sont critiqués [il rit]. Peut-être sommes-nous aussi pécheurs que ceux qui nous critiquent, ou peut-être que celui qui nous critique est un saint. Sainte Catherine de Sienne critiquait les cardinaux et parfois elle donnait des coups de bâton au pape. Et elle était sainte ! Et pourtant, tu ne dis pas que sainte Catherine de Sienne avait le diable en elle ! Cherche ce texte parce que ce n’est pas vrai, il y a une erreur d’information.

VA – Dans votre dernier discours, justement après la rencontre, quand vous avez parlé de la presse, là-bas, oui, je crois qu’il y avait une certaine allusion à la pression médiatique. Parfois, derrière cette pression médiatique, il y a des groupes de pouvoir. Mais avant, par exemple, à la Curie, en décembre, vous aviez remercié, pour le travail accompli, la presse et les victimes, parce qu’elles avaient contribué à découvrir les cas d’abus. Alors, la manière dont vous voyez la presse n’est pas très claire.

Pape François – Il y a de tout, ma fille, il y a de tout. C’est une belle « macédoine » ! J’ai parlé du jugement médiatique à ces prêtres en Espagne. Le tort causé par la presse espagnole là-bas. Pas toute la presse espagnole, un petit groupe de la presse espagnole. Et ils ont été jugés innocents. Qui rachète ces hommes maintenant ? L’un d’eux a déjà demandé la réduction à l’état laïc parce qu’il a été psychologiquement détruit. Ici, j’attaque les préjugés, le jugement médiatique avec force. L’opinion, non ; l’opinion ouverte, non.  Cela nous aide tous. Je fais encore allusion à mon voyage de retour du Chili et je pense à ces deux ou trois personnes qui m’ont aidé, avec des opinions respectueuses et non avec des jugements. Cela m’a aidé. La presse, seulement la presse ; je crois que le jugement médiatique est injuste. L’opinion, ce sont toujours les pour et les contre, c’est l’équilibre dans le jugement.

VA – Je me permets une seule référence personnelle, parce qu’il y a quelque chose qui m’a un peu frappée, après mon intervention lors de la rencontre, à la session des questions. J’avais parlé de l’Église en tant que mère, parce que je suis mère et évidemment, c’est comme cela que je la vois. Alors un évêque m’a dit : « Bien, mais si l’Église est mère, elle n’est pas seulement mère des victimes, mais aussi de ceux qui ont commis des abus et de ceux qui les ont couverts ». Je ne savais pas quoi répondre, Pape  François. J’ai dit : « Je suis maman, si un de mes fils se comporte mal, une de mes filles, je les punis, même si ce sont mes enfants, parce que je dois leur donner l’exemple ».

Pape François – Non ! Être mère, c’est faire ce que vous faites avec vos enfants : vous les punissez, parce que vous continuez d’être une mère, vous ne lui dites pas : « Tu n’es plus mon enfant ». Je pense aux mères des détenus, par exemple. Une mère, oui, elle punit, elle tolère, mais elle continue d’être mère. Et l’Église doit punir, elle doit imposer des peines sévères, sur ce point nous sommes tous d’accord.

VA – Pape François, heureusement, il n’y a pas que des abus dans la vie de l’Église, il y a beaucoup de choses positives, disons, et beaucoup de sujets. Et nous ne pouvons pas non plus réduire votre pontificat à cet unique thème. Parfois, de nombreuses personnes ont des doutes, sont perplexes devant certaines de vos affirmations. Par exemple, il y a des gens qui disent : « il me semble que le pape préfère ceux qui sont loin ».

Pape François – C’est un compliment pour moi ! C’est ce que faisait Jésus, et on l’en accusait. Et Jésus dit : « ce sont les malades qui ont besoin du médecin, pas les bien-portants, ceux qui sont loin ». Jésus était continuellement accusé : il va avec les pécheurs, il mange avec les pécheurs, il s’unit aux estropiés…

VA – Préférez-vous ceux qui sont dehors ou ceux qui sont dedans ?

Pape François – Je ne préfère pas, non. Je préfère… non ! Mais priorité… oui ! Priorité, oui. Si tu as déjà quelqu’un chez toi pour prendre soin de toi, je vais chercher les autres. Je m’assure aussi qu’on s’occupe des autres et je vais encore en chercher d’autres. Si un pasteur ne prend pas bien soin de ceux de dedans, je le réprimande.

VA – Ceci est un autre sujet. Nombreux sont ceux qui se plaignent, qui disent que vous réprimandez beaucoup les vôtres. Le savez-vous ? Savez-vous ce qu’on m’a dit ? « On dirait le chef de l’opposition ». On m’a dit : « Il nous réprimande continuellement, nous les évêques et les prêtres, et vous savez quoi ? Lui, il est bon et nous, nous sommes les méchants ».

Pape François – Et bien, d’un côté les journalistes m’accusent de tolérer, que je tolère trop la corruption de l’Église, et de l’autre, si je les réprimande, il me disent : « il les réprimande trop ». C’est beau. Comme cela, je me sens pasteur. Merci.

VA – Je le leur dirai.

Pape François – Oui. De toutes façons, cette préférence pour ceux qui sont loin, Jésus l’avait et on le lui a reproché. Il ne négligeait pas les autres, j’essaie de ne pas négliger les autres.

VA – Ce qui se produit c’est que, parfois, ils se sentent négligés. Par exemple, vous allez dans une paroisse mais avant, vous vous arrêtez dans un camp de Roms devant la paroisse, vous arrivez tard à la paroisse et les paroissiens ne vous voient peut-être pas passer parce que vous vous êtes arrêté dans le camp de Roms et ils disent : « Pourquoi s’est-il arrêté dans le camp des Roms si les paroissiens, c’est nous ? ». On entend de tout.

Pape François – Quand je vais dans une paroisse, quoi qu’il en soit, ce que je fais est entièrement programmé. C’est-à-dire que, si je m’arrête dans un lieu, ce n’est pas par hasard. Il est marqué dans le programme que je dois m’y arrêter. De toutes façons, c’est possible, c’est une famille, c’est cela l’Église. C’est clair, Jésus allait toujours chercher ceux qui étaient loin, il allait les chercher, il sortait. C’est cela la clé. Je ne le fais pas toujours et je me sens coupable, parfois, je me trouve dans le péché pour avoir négligé cela. Mais je crois que c’est mon devoir et que je dois le faire.

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Hélène Ginabat

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