Le pape François vénère l'icône de la Vierge à l'Enfant que lui offre le patriarche Elie II © L'Osservatore Romano

Le pape François vénère l'icône de la Vierge à l'Enfant que lui offre le patriarche Elie II © L'Osservatore Romano

Géorgie: visite du pape au patriarche orthodoxe Elie II (texte complet)

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Un engagement à la prière mutuelle

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« L’amour du Seigneur nous élève parce qu’il nous permet de nous élever au-dessus des incompréhensions du passé, des calculs du présent et des craintes de l’avenir », déclare le pape François au siège du patriarcat orthodoxe de Tbilissi (Géorgie) ce vendredi 30 septembre 2016, dans le sillage de saint Jean-Paul II. Le pape y a aussi rencontré le monde de la culture.
Le patriarche s’était lui-même rendu à l’aéroport pour accueillir le pape François dès sa descente d’avion, malgré sa difficulté à se déplacer et à monter des marches, et il l’a accueilli au palais patriarcal en disant: « Pape François, bien-aimé frère en Christ ».
Le catholicos, âgé de 83 ans, a prononcé son discours, en géorgien, très lentement, avec effort. Patriarche depuis décembre 1977, il a reçu le pape Jean-Paul II le 8 novembre 1999. Ils ont signé un appel commun à la paix, déjà, sur fond de « terrorisme ».
Récemment, le patriarche a adressé un message au pape François à l’occasion du séisme qui a frappé l’Italie le 24 août dernier, dont des familles d’employés du Vatican.
Alors que des observateurs ont insisté sur le fait que le patriarcat de Géorgie n’a pas signé l’accord théologique sur primauté et synodalité élaboré récemment à Chieti (Italie) entre orthodoxes et catholiques, et qu’il n’ait pas été prévu que le patriarche et le pape prient ensemble, le cardinal Kurt Koch, chargé du dialogue oecuménique, a préféré insister sur l’importance de cette rencontre, l’originalité de l’Eglise orthodoxe géorgienne et son importance pour l’identité nationale, et sur le baiser de paix échangé déjà avec saint Jean-Paul II et la promesse faite alors d’une prière ensemble à venir.
Le patriarche a offert au pape une précieuse icône de la  Vierge à l’Enfant, entourée d’anges que le pape a vénérée. Le pape a offert au patriarche le facsimilé d’un précieux manuscrit que le patriarche a embrassé.
Il s’agit du « Codex Pauli », publié à l’occasion du deux-millième anniversaire de la naissance de saint Paul: un tome unique de 424 pages, enrichi d’une sélection de frises, encadrements, miniatures et dessins, tirés de différents manuscrits de l’Abbaye de Saint Paul-hors-les-Murs, en particulier de la Bible carolingienne, gardé depuis plus de mille ans par les moines bénédictins. La couverture, en cuir blanc de vachette en velours ras, est ornée de huit panneaux de bronze inspirés de la porte byzantine de la Basilique de Saint Paul-hors-les-Murs, avec des scènes tirées, en couverture, des mystères de la vie du Christ et de la vie de l’Église naissante, en quatrième de couverture. Les huit coins sont décorés avec une épée, symbole de saint Paul.
Au terme de leurs deux discours, le pape et le patriarche ont porté un toast, se bénissant mutuellement. Il se sont aussi promis une prière mutuelle. Et le pape a souhaité notamment que la Géorgie avance dans la « liberté ». Le patriarche a souligné que la visite du pape François était un moment « historique » et qu’elle allait « fortifier » leurs relations. Cet échange de paroles a été improvisé spontanément.
Après un chant exécuté par le Choeur patriarcal – qui a interprété des cantiques composés par le patriarche – , le pape François est reparti vers l’église Saint-Simon-Bar-Sabbas pour rencontrer la communauté assyro-chaldéenne catholique et pour une prière commune pour la paix. C’était la première visite d’un pape dans une église chaldéenne. Le patriarche irakien Sako a fait le voyage pour accueillir le pape.
Voici le texte officiel en français de l’allocution du pape François.
AB/CR
Discours du pape François
Je remercie Votre Sainteté. Je suis profondément ému d’entendre l’“Ave Maria” que Votre Sainteté a elle-même composé. Seulement d’un cœur qui aime beaucoup la Sainte Mère de Dieu, un cœur de fils et aussi d’enfant, peut sortir une chose aussi belle.
C’est pour moi une grande joie et une grâce particulière de rencontrer Votre Sainteté et Béatitude, ainsi que les vénérables Métropolites, Archevêques et Evêques membres du Saint Synode. Je salue Monsieur le Premier Ministre et vous aussi, illustres représentants du monde académique et de la culture.
Sainteté, vous avez inauguré une nouvelle page dans les relations entre l’Eglise Orthodoxe de Géorgie et l’Eglise Catholique, en accomplissant la première visite historique au Vatican d’un Patriarche géorgien. A cette occasion, vous avez échangé avec l’Evêque de Rome le baiser de la paix ainsi que la promesse de prier l’un pour l’autre. Les liens significatifs qui existent entre nous depuis les premiers siècles du christianisme ont pu ainsi se renforcer. Ils se sont développés, et ils se maintiennent respectueux et cordiaux, comme le manifestent aussi l’accueil chaleureux réservé ici à mes envoyés et représentants, les activités d’étude et de recherche de fidèles orthodoxes géorgiens aux Archives Vaticanes et dans les Universités pontificales, la présence à Rome d’une de vos communautés accueillie dans une église de mon diocèse, et la collaboration, surtout de caractère culturel, avec la communauté catholique locale.
En tant que pèlerin et ami, je suis arrivé sur cette terre bénie, alors que, pour les catholiques, l’Année jubilaire de la Miséricorde atteint son apogée. Le saint Pape Jean-Paul II lui aussi était venu ici – la première fois pour un successeur de Pierre – à un moment très important, au seuil du jubilé de l’an 2000: il était venu renforcer «les liens profonds et forts» avec le siège de Rome (Discours lors de la cérémonie de bienvenue, Tbilisi, 8 novembre 1999: Insegnamenti 22,2 [1999], 843), et rappeler combien était nécessaire, au seuil du troisième millénaire, «la contribution de la Géorgie, antique carrefour de cultures et de traditions, pour l’édification […] d’une civilisation de l’amour» (Discours au Palais patriarcal, Tbilisi, 8 novembre 1999:Insegnamenti 22,2 [1999], 848).
A présent la Providence divine nous fait nous rencontrer de nouveau et, face à un monde assoiffé de miséricorde, d’unité et de paix, elle nous demande que ces liens entre nous reçoivent un nouvel élan, connaissent une ferveur renouvelée, ce dont le baiser de la paix et notre accolade fraternelle sont déjà un signe éloquent. L’Eglise Orthodoxe de Géorgie, enracinée dans la prédication apostolique, en particulier dans la figure de l’Apôtre André, et l’Eglise de Rome, fondée sur le martyre de l’Apôtre Pierre, ont ainsi la grâce de renouveler aujourd’hui, au nom du Christ et à sa gloire, la beauté de la fraternité apostolique. Pierre et André, en effet, étaient frères: Jésus les a appelés à laisser les filets et à devenir, ensemble, pêcheurs d’hommes (cf.Mc 1, 16-17). Cher frère, laissons-nous regarder de nouveau par le Seigneur Jésus, laissons-nous attirer encore par son invitation à laisser ce qui nous empêche d’être ensemble des annonciateurs de sa présence.
Pour cela, l’amour qui a transformé la vie des Apôtres nous soutient. C’est l’amour sans égal que le Seigneur a incarné: «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis» (Jn 15, 13)et qu’il nous a donné, afin que nous nous aimions les uns les autres comme lui nous a aimés (cf. Jn 15, 12). A ce sujet, le grand poète de cette terre semble aussi nous adresser quelques-unes de ses paroles célèbres: «As-tu lu comment les Apôtres écrivent au sujet de l’amour, comment ils disent, comment ils le louent? Le connais-tu? Tourne ton esprit vers ces paroles: «l’amour nous élève» et rien d’autre.» (S. Rustaveli,Le Chevalier dans la peau de tigre, Tbilisi 1988, stance 785). Vraiment, l’amour du Seigneur nous élève parce qu’il nous permet de nous élever au-dessus des incompréhensions du passé, des calculs du présent et des craintes de l’avenir.
Le peuple géorgien a témoigné au cours des siècles de la grandeur de cet amour. Il y a trouvé la force de se relever après d’innombrables épreuves; c’est en lui qu’il s’est élevé jusqu’aux sommets d’une extraordinaire beauté artistique. Sans l’amour, en effet, comme l’a écrit un autre grand poète, «Le soleil ne règne pas dans la coupole du ciel» et pour les hommes «Il n’existe ni beauté, ni immortalité» (G. Tabidze, «Sans l’amour» in Galaktion Tabidze, Tbilisi 1982, 25). L’immortelle beauté de votre patrimoine culturel trouve sa raison d’être dans l’amour. Beauté qui s’exprime sous de multiples formes parmi lesquelles, par exemple, la musique, la peinture, l’architecture et la danse. Vous en avez donné, cher frère, une digne expression, en composant en particulier de précieux hymnes sacrés, certains également en langue latine, particulièrement chers à la tradition catholique. Ils enrichissent votre trésor de foi et de culture, don unique fait à la chrétienté et à l’humanité, qui mérite d’être connu et apprécié de tous.
On doit surtout l’histoire glorieuse de l’Evangile sur cette terre à Sainte Nino, qui est assimilée aux Apôtres: elle a diffusé la foi avec le signe particulier de la croix faite en bois de vigne. Il ne s’agit pas d’une croix dépouillée, parce que l’image de la vigne, outre le fruit qui excelle sur cette terre, représente le Seigneur Jésus. En effet, il est «la vrai vigne», et il a demandé à ses Apôtres de rester fortement greffé sur lui, comme des sarments, pour porter du fruit (cf. Jn 15, 1-8). Pour que l’Evangile porte du fruit encore aujourd’hui, il nous est demandé, cher Frère, de rester encore plus fermes dans le Seigneur et uni entre nous. Que la multitude des saints que compte ce pays nous encourage à mettre l’Evangile avant toute chose et à évangéliser comme par le passé, plus encore que par le passé, libres des liens des préjugés et ouverts à la nouveauté éternelle de Dieu. Les difficultés ne sont pas des empêchements mais des stimulants à mieux nous connaître, à partager la sève vitale de la foi, à intensifier la prière les uns pour les autres et à collaborer avec charité apostolique dans le témoignage commun, à la gloire de Dieu dans les cieux et au service de la paix sur la terre.
Le peuple géorgien aime célébrer, en trinquant avec le fruit de la vigne, les valeurs les plus chères. Avec l’amour qui élève, un rôle particulier est réservé à l’amitié. Le poète rappelle encore: «Celui qui ne cherche pas un ami est ennemi de lui-même» (S. Rustaveli, Le Chevalier dans la peau de tigre, stance 847). Je désire être un ami sincère de cette terre et de cette chère population, qui n’oublie pas le bien reçu et dont le trait hospitalier s’accorde avec un style de vie naturellement plein d’espérance, même dans les difficultés qui ne manquent jamais. Cet aspect positif trouve aussi ses racines dans la foi qui porte les Géorgiens à invoquer, autour de sa table, la paix pour tous et à se souvenir même des ennemis.
Avec la paix et le pardon nous sommes appelés à vaincre nos vrais ennemis, qui ne sont pas de chair ni de sang, mais qui sont les esprits du mal, en nous et en dehors de nous (cf. Ep 6, 12). Cette terre bénie est riche des valeureux héros selon l’Evangile qui, comme saint Georges ont su terrasser le mal. Je pense à tant de moines et en particulier aux nombreux martyrs dont la vie a triomphé «par la foi et la patience» (Ioane Sabanisze, Martyre d’Abel, III): elle est passée par le pressoir de la souffrance en restant unie au Seigneur, et elle a, de cette manière, porté un fruit pascal, en irriguant le sol géorgien du sang versé par amour. Que leur intercession procure un soulagement à tant de chrétiens qui, encore aujourd’hui dans le monde, souffrent persécutions et outrages, et qu’elle renforce en nous le bon désir d’être fraternellement unis pour annoncer l’Evangile de la paix.
[Après l’échange des dons]
Merci, Sainteté. Que Dieu bénisse Votre Sainteté et l’Eglise Orthodoxe de Géorgie. Merci, Sainteté. Et qu’elle puisse avancer sur le chemin de la liberté.
Merci, Sainteté, de l’accueil et de vos paroles. Merci de votre bienveillance et aussi de cet engagement fraternel de prier l’un pour l’autre après nous être donnés le baiser de la paix. Merci.
 © Librairie éditrice du Vatican
 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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