« Au cœur des défis, je suis sûr que la coopération interreligieuse basée sur nos valeurs communes peut résoudre des problèmes d’intérêt commun et ouvrir la voie à une authentique fraternité », explique le cardinal Tauran.
Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a ouvert un congrès qui s’est tenu à Rome le 23 juin 2015, à l’occasion du Dialogue américain entre bouddhistes et catholiques.
A cette occasion, une délégation bouddhiste a rendu visite au pape François.
Voici notre traduction intégrale du discours du cardinal Tauran, prononcé en anglais.
A.B.
1- Salutations
Vénérés moines et nonnes bouddhistes, Directeur associés du Secrétariat pour les affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis, Révérends pères et sœurs, Mesdames et Messieurs, de la part du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, c’est pour moi une grande joie d’accueillir chacun de vous à ce Dialogue entre bouddhistes et catholiques intitulé « Souffrance, libération et fraternité ».
Dans le contexte de la globalisation et de la migration, le paysage religieux des Etats-Unis a subi des changements rapides et profonds avec la présence croissante des religions du monde y compris le bouddhisme. La présence, ici, de représentants des grandes traditions bouddhistes aux Etats-Unis – sri-lankaise, thaï, cambodgienne, vietnamienne, tibétaine, chinoise, zen, la Terre pure ainsi que de nouvelles traditions comme le bouddhisme Won et le Rissho Kosei-kai – témoigne du pluralisme religieux et culturel émergeant aux Etats-Unis. Dans un monde où la diversité est vu comme une menace, notre rassemblement aujourd’hui, dans l’amitié et la paix, est un signe de notre ouverture les uns à l’égard des autres et de notre engagement pour la fraternité humaine.
Je suis aussi heureux d’exprimer ma plus cordiale bienvenue à tous les participants catholiques. Il est gratifiant de voir que vous venez aussi de partout aux Etats-Unis. Je remarque que certains d’entre vous sont des responsables œcuméniques et interreligieux dans vos diocèses respectifs, ou sont actifs d’une autre façon dans le dialogue de l’Église avec les bouddhistes. Il est bon de voir les représentants du Dialogue monastique interreligieux ainsi que du mouvement des Focolari. Je suis heureux aussi de voir des représentants de programmes catholiques de sensibilisation sociale, des organismes de bienfaisance catholiques et la Société Saint Vincent de Paul. Je vous accueille tous, une fois encore, et je prie pour de nombreuses bénédictions sur chacun de vous pendant ces journées.
Permettez-moi de vous présenter brièvement le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (CPDI). Le CPDI a été établi en 1964 comme bureau central de l’Église catholique pour la promotion du dialogue interreligieux et il est chargé de favoriser la compréhension, le respect et la collaboration mutuels entre les catholiques et les adeptes d’autres religions, sur la base de valeurs communes. Le 28 octobre de cette année marque le cinquantième anniversaire de Nostra Aetate, la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non-chrétiennes qui a certainement inspiré les membres de l’Église catholiques depuis un demi-siècle pour promouvoir des relations de respect et de dialogue avec leurs prochains religieux. Bien que le CPDI soit le bureau central pour le dialogue de l’Église catholique, ce dialogue est principalement mené dans et à travers les Églises locales. Je voudrais saisir cette occasion pour vous remercier, chers amis bouddhistes, pour votre relation durable avec l’Église catholique. Je souhaite aussi exprimer mes remerciements profonds au Secrétariat pour les affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis, pour son travail acharné et son engagement à promouvoir le dialogue interreligieux au cours de ce demi-siècle. J’espère ardemment que ce dialogue nous donnera l’occasion de renouveler encore davantage notre respect mutuel, notre amitié et notre coopération.
2 Le dialogue entre bouddhistes et chrétiens en tant que pèlerinage intérieur
Le Document NA souligne que « Les hommes cherchent dans les différentes religions des réponses à ces mystères de la condition humaine qui, aujourd’hui comme dans les temps anciens, troublent profondément le cœur humain » (NA 1). Il précise en outre que « depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, on trouve chez divers peuples une certaine perception de ce pouvoir caché qui plane sur le cours des choses et sur les événements de l’histoire humaine […] » (NA 2). En ce qui concerne le bouddhisme, il affirme que « sous ses diverses formes, il réalise l’insuffisance radicale de ce monde changeant ; il enseigne une voie par laquelle les hommes, dans un esprit dévot et confiant, pourront soit acquérir l’état de libération parfaite, soit atteindre par leurs propres efforts ou par une aide supérieure, l’illumination suprême » (NA 2).
Nous sommes tous pèlerins et je vois ce dialogue entre bouddhistes et catholiques comme faisant partie de notre quête permanent pour saisir le mystère de nos vies et la Vérité ultime. Selon un adage du Père du désert, un frère vint voir Abba Moïse et lui demanda une parole. Le vieil homme répondit : « Va t’asseoir dans ta cellule et ta cellule t’enseignera quelque chose ». La cellule est une métaphore pour la cellule intérieure du cœur humain où l’on découvre le mystère de soi-même et de Dieu ou du Dharma. Un autre Père du désert, Antoine, compare la cellule à l’eau qui soutient la vie des poissons. Sans eau, les poissons mourraient physiquement ; sans cellule, le moine mourrait spirituellement. Si ce dialogue est un pèlerinage intérieur, que devrions-nous emporter avec nous pour le voyage ?
i Moins de bagages : surmonter les préjugés, les blessures, les craintes afin d’écouter son propre cœur et celui de son prochain religieux ;
ii Franchir des frontières : le pèlerinage nous invite à traverser nos frontières culturelles, religieuses, ethniques et linguistiques pour se connaître, se comprendre et se respecter mutuellement. Ainsi, nous voyageons ver l’ « autre bord », mais fermement enracinés dans nos croyances religieuses. « Franchir des frontières » peut alors transformer l’ignorance en compréhension, l’étranger en ami, l’hostilité en hospitalité et la divergence en convergence.
iii Rentrer chez soi : nous rentrons chez nous transformés par ce que nous avons expérimenté dans notre cellule. Vous retournerez aux Etats-Unis avec une nouvelle vision et mission à rapporter – ce que vous avez découvert au cours de ces journées de réflexion, de prière, d’échange de vues – dans vos communautés respectives et, par elles, à la société plus large.
3 Objectifs
Le thème de ce dialogue entre catholiques et bouddhistes, « Souffrance, libération et fraternité », est basé sur le Message du pape François pour la Journée mondiale de la paix 2à14, intitulé « Fraternité : fondement et route pour la paix », ainsi que sur le Message du CPDI pour la Fête du Vesakh 2014 intitulé « Bouddhistes et chrétiens pour favoriser la fraternité ». Le pape François déclare que « la fraternité est une qualité humaine essentielle, car nous sommes tous des êtres relationnels. La vive conscience d’être en relation nous amène à voir et à traiter chaque personne comme une vraie sœur et un
vrai frère ; sans cela, la construction d’une société juste, d’une paix solide et durable devient impossible » (n. 1). Dans mon Message pour Vesakh 2014, je déclarais que « nous vivons dans un monde trop souvent déchiré par l’oppression, l’égoïsme, le tribalisme, les rivalités ethniques, le fondamentalisme religieux et la violence. Un monde où « l’autre » est considéré et traité comme un être inférieur, une non-personne ou quelqu’un à craindre et, si possible, à éliminer ».
Je voudrais citer encore mes paroles du Message pour Vesakh 2014 nous invitant tous à transformer l’humanité centrée sur elle-même afin de bâtir un monde de fraternité : « Ancrés dans nos croyances religieuses différentes, nous sommes appelés, en particulier, à dénoncer ouvertement tous les maux sociaux qui nuisent à la fraternité ; à guérir les autres de ce qui les empêche de grandir dans la générosité désintéressée, à être les réconciliateurs qui brisent les murs de division dans la société, et à promouvoir une véritable fraternité entre les individus et les groupes » (n. 4). Après avoir discuté sur les thèmes « Souffrance, libération et fraternité » selon des perspectives bouddhistes et chrétiennes, vous passerez le dernier jour du programme à contempler et à considérer comment dénoncer ouvertement, être ceux qui guérissent et des réconciliateurs, tendre la main ensemble vers ceux qui sont dans le besoin, dans vos villes. Au cœur des défis, je suis sûr que la coopération interreligieuse basée sur nos valeurs communes peut résoudre des problèmes d’intérêt commun et ouvrir la voie à une authentique fraternité. Pour cette collaboration, vous pouvez compter sur ma solidarité et mes prières.
4 Gratitude
En conclusion, j’aimerais complimenter le Comité des évêques pour les affaires œcuméniques et interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis pour avoir organisé ce dialogue entre catholiques et bouddhistes à Rome, inaugurant une nouvelle ère de relations entre les bouddhistes et les chrétiens aux Etats-Unis. Je souhaite aussi féliciter le comité organisateur dirigé par le professeur Donald Mitchell pour avoir travaillé avec acharnement afin d’organiser ce remarquable dialogue. Mes remerciements vont en particulier au mouvement des Focolari qui accueille cette réunion au Centre Mariapolis. Je suis certain que vous tous, participants, apprécierez votre séjour dans ce cadre paisible et beau.
Une fois encore, je suis reconnaissant envers tous les participants pour votre présence, votre contribution et votre enthousiasme pour faciliter le dialogue interreligieux et la coopération mutuelle. Faisons de ces cinq jours de prière, d’écoute, de réflexion et de discussions de véritables journées qui promeuvent une plus grande compréhension et coopération entre nous pour le bien de la famille humaine. Puisse Dieu répandre sur chacun de vous sagesse, amour et fraternité.
Sur ces mots, je vous souhaite un dialogue fructueux et enrichissant.
© Traduction de Zenit, Constance Roques