Tous les deux ans, la Fondation vaticane Centesimus Annus décerne un prix « à des auteurs qui veulent aider, par leurs études, leurs réflexions et leurs publications, à apprendre de nouveau à poser un regard de sagesse sur le présent et sur l’usage de l’argent », souligne Mgr Scotti.
Les lauréats 2015 du concours international “Economie et Société” de la Fondation « Centesimus Annus – Pro Pontifice (CAPP) » ont été présentés ce 26 février au Vatican par Mgr Giuseppe Antonio Scotti, président de la « Fondation vaticane Joseph Ratzinger-Benoît XVI » et membre du jury, M. Domingo Sugranyes Bickel, président de la Fondation CAPP, M. Massimo Gattamelata, secrétaire général et par le P. Michael Konrad, secrétaire du jury.
Durant son intervention, Mgr Scotti s’est demandé s’il était « suffisant de décerner des doctorats à ceux qui font ce type de recherches » : « Non, certes, un prix ne suffit pas. C’est peu de chose. C’est seulement un signe sur le chemin. Mais il indique quel est le chemin à parcourir si l’on veut que l’argent ne prédomine pas sur nous et sur notre avenir. »
A.K.
Intervention de Mgr Giuseppe Antonio Scotti
Il y a deux ans, lorsqu’a été présentée dans ce lieu la remise du prix biennal « Économie et société », dont l’objectif est de faire connaître et de promouvoir la Doctrine sociale de l’Église, je soutenais que « s’il en était besoin, la grave crise économique que nous vivons dans le monde occidental, et pas seulement en Italie, rend évident pour tous qu’il est indispensable de « penser à l’économie » pour donner une espérance et un avenir à tous ».
Dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François a invité toute l’humanité à être encore plus réaliste que ce que je soutenais alors en ce lieu. En effet, évaluant les dynamiques économiques qui se sont imposées à notre temps, il écrit au numéro 53 : « De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. Une telle économie tue. Il n’est pas possible que le fait qu’une personne âgée réduite à vivre dans la rue, meure de froid ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une. Voilà l’exclusion. On ne peut plus tolérer le fait que la nourriture se jette, quand il y a des personnes qui souffrent de la faim. C’est la disparité sociale. Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible. Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter. Nous avons mis en route la culture du “déchet” qui est même promue. Il ne s’agit plus simplement du phénomène de l’exploitation et de l’oppression, mais de quelque chose de nouveau : avec l’exclusion reste touchée, dans sa racine même, l’appartenance à la société dans laquelle on vit, du moment qu’en elle on ne se situe plus dans les bas-fonds, dans la périphérie, ou sans pouvoir, mais on est dehors. Les exclus ne sont pas des ‘exploités’, mais des déchets, ‘des restes’. »
Le pape nous a habitués désormais à l’expression « culture du déchet » et peut-être ne nous laissons-nous pas toujours toucher jusqu’au fond par la dénonciation qu’il fait d’une culture « déviée » au point d’en arriver à éliminer les personnes. Nombreux en effet sont ceux qui considèrent que l’économie peut jouer le rôle de producteur absolu d’objectifs et de valeurs, auxquels soumettre tous les secteurs et tous les recoins de la dimension humaine. Ceci est aussi justifié par le fait que, dit-on, nous vivons à l’époque de la ‘post-idéologie’ et de la ‘post-politique’. Certes, ce serait un aspect intéressant à examiner. Mais il y a aussi un autre domaine de recherche. On pourrait aussi lire la culture actuelle à partir de la Parole de Dieu. Et ici, puisque nous parlons d’un prix décerné à des auteurs qui veulent aider, par leurs études, leurs réflexions et leurs publications, à apprendre à nouveau à poser un regard de sagesse sur le présent et sur l’usage de l’argent, il me semble approprié de rappeler ce que dit l’Ecclésiaste : « Qui aime l’argent n’a jamais assez d’argent, et qui aime l’abondance ne récolte rien. Cela aussi n’est que vanité. » (5,9).
C’est encore le pape François qui écrit au numéro 55 d’Evangelii gaudium : « Une des causes de cette situation se trouve dans la relation que nous avons établie avec l’argent, puisque nous acceptons paisiblement sa prédominance sur nous et sur nos sociétés. La crise financière que nous traversons nous fait oublier qu’elle a à son origine une crise anthropologique profonde : la négation du primat de l’être humain ! Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain. La crise mondiale qui investit la finance et l’économie manifeste ses propres déséquilibres et, par-dessus tout, l’absence grave d’une orientation anthropologique qui réduit l’être humain à un seul de ses besoins : la consommation. »
J’ai rappelé ce qu’a écrit le pape François ; j’ai fait référence à la Parole de Dieu ; on peut alors se poser une question : cette manière de lire le présent et d’évaluer la dimension économique est-elle légitime ? La raison humaine peut-elle se laisser provoquer par la foi ? L’économie peut-elle être soumise à la Parole de Dieu ?
La remise du prix de « Centesimus annus » non seulement affirme que la raison peut utilement se laisser provoquer par la foi, mais ose dire quelque chose de plus. Elle affirme que nos paroles de tous les jours, les paroles que nous exprimons dans les moments importants de la vie (pensons, par exemple, à l’installation du Président Mattarella quand il a affirmé que « la première condition pour rapprocher les Italiens des Institutions est de comprendre la politique comme un service du bien commun, patrimoine de chacun et de tous ») ne peuvent être utilisées qu’à condition de recommencer à avoir de l’estime pour la raison et de permettre à la foi de la provoquer.
C’est seulement ainsi que les mots que nous continuons pourtant d’employer, comme « bien commun », « subsidiarité », « solidarité » – qui d’ailleurs ne sont pas autre chose que les termes avec lesquels se décline la doctrine sociale de l’Église – peuvent parler de manière nouvelle et conduire à une vie juste, bonne, ordonnée, où personne n’est considéré comme un « rebut ».
Un prix peut-il suffire à cela ? Est-il suffisant de décerner des doctorats à ceux qui font ce type de recherches ? Je suppose que la réponse est facile pour tout le monde. Non, certes, un prix ne suffit pas. C’est peu de chose. C’est seulement un signe sur le chemin. Mais il indique quel est le chemin à parcourir si l’on veut que l’argent ne prédomine pas sur nous et sur notre avenir.
Traduction de Zenit, Constance Roques