« Communiquer la famille: environnement privilégié de la réunion de la gratuité de l’amour »: c’est le titre du message du pape François pour la 49e Journée mondiale des communications sociales.
Le message du pape a été présenté le 23 janvier 2015 à Rome par Mgr Claudio Maria Celli, président du Conseil pontifical pour les communications sociales, par Mme Chiara Giaccardi, de la Faculté des Lettres de l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan, et par le professeur Magatti, de la Faculté des sciences politiques et sociales de la même université.
Le pape François appelle l’Église à réfléchir à la famille en vue de la préparation du deuxième Synode sur la famille en octobre 2015. Ce même thème était au centre des travaux des porte-parole des Conférences épiscopales, réunis à Lisbonne (Portugal) du 11 au 14 juin 2014.
Le texte du message est publié en français, en italien, en anglais, en allemand, en espagnol, en portugais et en polonais.
Le message annuel du pape François est habituellement publié à l’occasion de la fête liturgique du saint patron des journalistes, saint François de Sales, le 24 janvier.
Voici le texte intégral, dans sa traduction officielle en français.
Message du pape François
Communiquer la famille : milieu privilégié de la rencontre dans la gratuité de l’amour
Le thème de la famille se trouve au Centre d’une réflexion ecclésiale approfondie et d’un processus synodal qui comporte deux synodes, un extraordinaire – qui vient d’être célébré – et un synode ordinaire, convoqué pour octobre prochain. Dans ce contexte, il m’a semblé opportun que la famille soit le point de référence du thème de la prochaine Journée mondiale des communications sociales. La famille est du reste, le premier lieu où l’on apprend à communiquer. Retourner à ce moment originel peut nous aider autant à rendre la communication plus authentique et plus humaine qu’à considérer la famille d’un nouveau point de vue.
Nous pouvons nous laisser inspirer par l’icône évangélique de la visitation de Marie à Elisabeth (Lc 1, 39-56). « Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni » » (v. 41-42).
Tout d’abord, cet épisode nous montre la communication comme un dialogue qui se noue avec le langage du corps. En effet, la première réponse à la salutation de Marie, c’est l’enfant qui la donne en tressaillant de joie dans le sein d’Élisabeth. Exulter pour la joie de la rencontre est en quelque sorte l’archétype et le symbole de toute autre communication que nous apprenons bien avant de venir au monde. Le sein qui nous accueille est la première « école » de communication, faite d’écoute et de contact corporel, où nous commençons à nous familiariser avec le monde extérieur dans un environnement protégé et au rythme rassurant des battements du cœur de la maman. Cette rencontre entre deux êtres aussi intimes et encore aussi étrangers l’un à l’autre, une rencontre pleine de promesses, est notre première expérience de communication. Et c’est une expérience qui nous unit tous, parce que chacun de nous est né d’une mère.
Même après la naissance, nous restons dans un certain sens dans le « sein » que représente la famille. Un sein constitué de personnes différentes, en relation : la famille est le « lieu où l’on apprend à vivre ensemble dans la différence » (Exhort. Apost.Evangelii gaudium, n. 66). Différences de genres et de générations, qui communiquent avant tout afin de s’accueillir mutuellement, car il existe un lien entre elles. Et, plus large est l’éventail de ces relations, plus sont différents les âges, plus riche est notre cadre de vie. C’est le lien qui est au fondement de la parole, qui à son tour, le renforce. Nous n’inventons pas les mots : nous pouvons les utiliser parce que nous les avons reçus. C’est dans la famille que l’on apprend à parler dans la « langue maternelle« , c’est-à-dire la langue de nos ancêtres (cf. 2 M 7, 25.27). En famille on se rend compte que d’autres nous ont précédés, qu’ils nous ont mis dans la condition d’exister et de pouvoir à notre tour engendrer la vie et faire quelque chose de bon et de beau. Nous pouvons donner parce que nous avons reçu, et ce cercle vertueux est au cœur de la capacité de la famille à se communiquer et à communiquer ; et, plus généralement, c’est le paradigme de toute communication.
L’expérience du lien qui nous « précède » fait aussi de la famille le contexte où se transmet cette forme fondamentale de la communication qu’est la prière. Quand la maman et le papa font dormir leurs nouveau-nés, très souvent ils les confient à Dieu, pour qu’il veille sur eux ; et quand ils sont un peu plus grands, ils récitent ensemble avec eux des prières simples, se souvenant aussi avec affection d’autres personnes, des grands-parents, d’autres membres de la famille, des malades et de ceux qui souffrent, de toutes les personnes qui ont le plus besoin de l’aide de Dieu. Ainsi, en famille, la plupart d’entre nous ont appris la dimension religieuse de la communication, qui, dans le christianisme, est toute pleine d’amour, de l’amour de Dieu qui se donne à nous et que nous offrons aux autres.
C’est dans la famille que se développe principalement la capacité de s’embrasser, de se soutenir, de s’accompagner, de déchiffrer les regards et les silences, de rire et de pleurer ensemble, entre des personnes qui ne se sont pas choisies et qui pourtant sont si importantes l’une pour l’autre ; cela nous fait comprendre ce qu’est vraiment la communication comme découverte et construction de proximité. Réduire les distances, se rencontrer et s’accueillir mutuellement est un motif de gratitude et de joie : de la salutation de Marie et du tressaillement du bébé jaillit la bénédiction d’Élisabeth, suivie par le beau Cantique du Magnificat, dans lequel Marie fait l’éloge du dessein d’amour de Dieu sur elle et sur son peuple. D’un « oui » prononcé avec foi découlent des conséquences qui vont bien au-delà de nous-mêmes et se répandent dans le monde. « Visiter » signifie ouvrir les portes, et non pas se retirer dans ses appartements, sortir, aller vers l’autre. Ainsi la famille est vivante si elle respire en s’ouvrant au-delà d’elle-même, et les familles qui le font, peuvent communiquer leur message de vie et de communion, peuvent donner réconfort et espérance aux familles plus blessées et faire croître l’Église elle-même, qui est la famille des familles.
La famille est plus que tout autre le lieu où, vivant ensemble au quotidien, l’on fait l’expérience de ses propres et de celles des autres, des petits et des grands problèmes de la coexistence, de l’entente mutuelle. La famille parfaite n’existe pas, mais nous ne devons pas avoir peur de l’imperfection, de la fragilité, voire des conflits ; il faut apprendre à les affronter de manière constructive. Ainsi la famille où l’on s’aime malgré les propres limites et les péchés, devient une école de pardon. Le pardon est une communication dynamique, une communication qui s’use et se rompt et qui, à travers le repentir exprimé et accueilli, peut se renouer et faire grandir. Un enfant qui en famille, apprend à écouter les autres, à parler de façon respectueuse, en exprimant son point de vue sans nier celui d’autrui, sera dans la société un constructeur de dialogue et de réconciliation.
A propos des limites et de la communication, les familles avec des enfants souffrant d’un ou de plusieurs handicaps o
nt beaucoup à nous apprendre. Le déficit moteur, sensoriel ou intellectuel, comporte toujours la tentation de se renfermer ; mais il peut devenir, grâce à l’amour des parents, des frères et sœurs et d’autres personnes amies, une incitation à s’ouvrir, à partager, à communiquer de manière inclusive ; et il peut aider l’école, la paroisse, les associations à être plus accueillantes envers tous, sans exclure personne.
Ensuite, dans un monde où si souvent on maudit, on parle mal, on sème la zizanie, où le bavardage pollue notre environnement humain, la famille peut être une école de la communication comme bénédiction. Et ceci, même là où semble prévaloir de manière inévitable la haine et la violence, lorsque les familles sont séparées par des murs de pierre ou par des murs non moins impénétrables de préjugés et de ressentiments, quand il y aurait de bonnes raisons de dire « ça suffit maintenant » ; en fait, bénir au lieu de maudire, visiter au lieu de rejeter, accueillir au lieu de combattre est le seul moyen de briser la spirale du mal, pour témoigner que le bien est toujours possible et pour éduquer les enfants à la fraternité.
Aujourd’hui les médias plus modernes, qui surtout pour les plus jeunes sont désormais indispensables, peuvent tout aussi bien entraver qu’aider cette communication en famille et entre familles. Ils peuvent l’entraver s’ils deviennent un moyen de se soustraire à l’écoute, de s’isoler de la présence physique, avec la saturation de chaque instant de silence et d’attente, oubliant d’apprendre que « le silence fait partie intégrante de la communication et sans lui aucune parole riche de sens ne peut exister.» (Benoît XVI, Message pour les communications sociales 46e JMCS, 24.01.2012). Ils peuvent la favoriser s’ils aident à dire et à partager, à rester en contact avec ceux qui sont éloignés, à remercier et à demander pardon, à rendre toujours à nouveau possible la rencontre. Redécouvrant chaque jour ce centre vital qu’est la rencontre, ce « début vivant », nous saurons orienter notre relation à l’aide des technologies, plutôt que de nous laisser guider par elles. Dans ce domaine également, les parents sont les premiers éducateurs. Mais ils ne doivent pas être laissés seuls ; la communauté chrétienne est appelée à être à leurs côtés pour qu’ils sachent enseigner aux enfants à vivre dans un monde de communication, conformément aux critères de la dignité de la personne humaine et du bien commun.
Le défi qui se présente à nous aujourd’hui est donc de réapprendre à dire, pas simplement à produire et à consommer l’information. C’est dans cette direction que nous poussent les puissants et précieux moyens de la communication contemporaine. L’information est importante, mais elle n’est pas suffisante, parce que trop souvent elle simplifie, oppose les différences et les diverses visions incitant à prendre parti pour l’une ou l’autre, au lieu d’encourager une vision d’ensemble.
Ainsi, la famille, en fin de compte n’est pas un objet sur lequel on communique des opinions, ou un terrain où l’on se livre à des batailles idéologiques, mais un milieu où l’on apprend à communiquer dans la proximité, et elle est un sujet qui communique, une « communauté communicante« . Une communauté qui sait accompagner, célébrer et faire fructifier. En ce sens, il est possible de rétablir un regard capable de reconnaître que la famille continue d’être une grande ressource, et pas seulement un problème ou une institution en crise. Les médias ont tendance à présenter parfois la famille comme s’il s’agissait d’un modèle abstrait à accepter ou à rejeter, à défendre ou à attaquer, et non une réalité concrète à vivre ; ou comme s’il s’agissait d’une idéologie de l’un contre l’autre, plutôt que le lieu où tous nous apprenons ce que signifie communiquer dans l’amour reçu et donné. Dire signifie bien comprendre que nos vies sont tissées dans une seule trame unitaire, que les voix sont multiples et que chacune est irremplaçable.
La famille la plus belle, protagoniste et non pas problématique, est celle qui sait communiquer, en partant du témoignage, de la beauté et de la richesse de la relation entre homme et femme, et entre parents et enfants. Nous ne luttons pas pour défendre le passé, mais nous travaillons avec patience et confiance, dans tous les milieux que nous habitons au quotidien, pour construire l’avenir.
Du Vatican, le 23 Janvier 2015
Vigile de la fête de saint François de Sales
FRANCISCUS PP.
[Texte original: Italien](c) Librairie éditrice du Vatican