« L’Europe est fatiguée. Nous devons l’aider à rajeunir, »: c’est l’invitation du pape François, à l’occasion de sa visite, dimanche 15 juin, à la Communauté de Sant’Egidio de Rome, à Sainte-Marie-au-Transtévère, pour une rencontre avec les pauvres, invitant à « aider l’Europe à retrouver ses racines », comme nous l’expliquions lundi 16 juin.
Il a été accueilli place Saint-Calixte par le cardinal vicaire Agostino Vallini, par le fondateur de la communauté, Andrea Riccardi, le président, Marco Impagliazzo, et le curé de Sainte-Marie-au-Transtévère, Mgr Marco Gnavi.
Puis le pape a rejoint à pied la place Sainte-Marie-au-Transtévère, où l’attendaient des immigrés sans domiciles, des gitans, des jeunes, des enfants, des handicapés, des membres de la communauté de Sant’Egidio. A l’intérieur de la basilique, il a rencontré les pauvres assistés par la communauté, et après avoir écouté des témoignages, a prononcé un discours dont voici notre traduction intégrale de l’italien.
Il s’achève sur cetet déclaration du pape: « C’est le temps de la miséricorde. » Il avait insisté là-dessus en recevant les prêtres de son diocèse le 6 mars dernier.
A.B.
Discours du pape François
Chers amis,
Je viens visiter la Communauté de Saint’ Egidio ici au Transtévère, où elle est née. Merci pour votre chaleureux accueil !
Nous voici rassemblés ici autour du Christ qui, d’en haut, nous regarde avec des yeux tendres et profonds, avec la Vierge Marie, qui nous serre dans ses bras. Cette ancienne basilique est devenue un lieu de prière quotidienne pour tant de romains et pèlerins. Prier dans le centre de la ville ne veut pas dire oublier les périphéries humaines et urbaines. Cela signifie écouter et accueillir ici l’Évangile de l’amour pour aller à la rencontre des frères et des sœurs dans les périphéries de la ville et du monde!
Chaque église, chaque communauté, est appelée à cela dans la vie frénétique et parfois confuse de la ville. Tout commence par la prière. La prière préserve l’homme anonyme de la ville des tentations qui peuvent être aussi les nôtres: ce nombrilisme qui fait que tout tourne autour de soi, l’indifférence, la victimisation. La prière est la première tâche de votre communauté, et consiste à écouter la Parole de Dieu – ce pain, le pain qui donne de la force, qui nous fait avancer – mais également de tourner les yeux vers Lui, comme dans cette basilique: « Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage », dit le Psaume (34,6).
Qui regarde le Seigneur, voit les autres. Vous avez vous aussi appris à voir les autres, en particulier les plus pauvres; et je vous souhaite de vivre ce qu’a dit le Prof. Riccardi, que parmi vous se confondent ceux qui aident et ceux qui sont aidés. Une attention qui, lentement, cesse d’être de l’attention pour devenir rencontre, étreinte: ceux qui aident se confondent avec ceux qui sont aidés. Qui est le protagoniste ? Tous les deux, ou, pour mieux dire, l’étreinte.
Jésus est présent dans les pauvres, il s’identifie à eux. Saint Jean Chrysostome écrit: « Le Seigneur s’approche de toi dans une attitude d’indigent…» (Dans Matthaeum Homil. LXVI, 3: PG 58, 629). Vous êtes et vous restez une Communauté avec les pauvres. Je vois aussi parmi vous beaucoup de personnes âgées. Je suis content que vous soyez leurs amis et proches. Le traitement des personnes âgées, tout comme celui des enfants, est un indicateur pour voir la qualité d’une société. Quand les personnes âgées sont rejetées, quand les personnes âgées sont tenues à l’écart et s’éteignent parfois sans affection, c’est mauvais signe ! Par contre quelle bonne chose cette alliance que je vois ici entre jeunes et personnes âgées où tout le monde reçoit et tout le monde donne !
Les personnes âgées et leur prière sont une richesse pour Sant’ Egidio. Un peuple qui ne veille pas sur ses personnes âgées, qui ne prend pas soin de ses jeunes, est un peuple sans avenir, une peuple sans espérance. Car les jeunes – enfants et jeunes – et les personnes âgées font avancer l’histoire. Les enfants, les jeunes avec leur force biologique, c’est juste. Les personnes âgées, en leur donnant la mémoire. Mais quand une société perd la mémoire, c’est fini, c’est fini. C’est moche de voir une société, un peuple, une culture qui a perdu la mémoire. La grand-mère de 90 ans qui a parlé – bravo ! – elle nous a dit qu’il y avait ce recours au rejet, cette culture du rejet. Pour maintenir un équilibre, où au centre de l’économie mondiale il n’y aurait pas l’homme et la femme, mais l’idole de l’argent, il est nécessaire de rejeter des choses.
On rejette les enfants: pas d‘enfant. On ne pense qu’au taux de natalité des enfants en Europe: en Italie, Espagne, France … Et on rejette les personnes âgées, avec des comportements derrière lesquels se cache l’euthanasie, une forme d’euthanasie. Ces personnes ne servent pas, et ce qui ne sert pas est alors rejeté. Celui qui ne produit pas est rejeté. Et aujourd’hui la crise est si grande que l’on rejettent les jeunes: quand nous pensons à ces 75 millions de jeunes de 25 ans et moins, qui sont « ni-ni » : ni travail, ni études. Sans rien.
Cela arrive aujourd’hui, dans cette Europe fatiguée, comme elle a dit. Dans cette Europe qui s’est lassée ; elle n’a pas vieillie, non, elle est fatiguée. Elle ne sait pas quoi faire. Un de mes amis m’a demandé il y a quelque temps pourquoi je ne parle pas de l’Europe. Je lui ai tendu un piège en lui disant: « Vous avez entendu quand j’ai parlé de l’Asie ? », et il s’est aperçu que c’était un piège ! Aujourd’hui je parle de l’Europe. L’Europe est fatiguée. Nous devons l’aider à rajeunir, à trouver ses racines. C’est vrai : elle a renié ses racines. C’est vrai. Mais nous devons l’aider à les retrouver.
Le changement de la société doit commencer par les pauvres et les personnes âgées. Jésus dit lui-même: « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » (Mt 21,42). Les pauvres aussi sont en quelque sorte « la pierre d’angle » pour la construction de la société. Aujourd’hui, malheureusement, une économie spéculative les rend de plus en plus pauvres, en les privant de l’essentiel, comme la maison et le travail. C’est inacceptable! Qui vit la solidarité n’accepte pas ça et agit. Et ce mot « solidarité », beaucoup voudraient le retirer du dictionnaire, car pour une certaine culture c’est comme un ‘gros mot’. Non ! La solidarité est un mot chrétien ! Et c’est pourquoi vous êtes la famille des sans-abris, des amis pour les personnes handicapées, qui expriment – si elles sont aimées – tant d’humanité. Je vois ici également tant de « nouveaux européens », des migrants arrivés ici après des voyages douloureux et risqués. La Communauté les accueille avec empressement et montre que l’étranger est un de nos frères à connaître et à aider. Et cela nous rajeunit.
D’ici, à Sainte-Marie-au-Transtévère, je salue tous ceux qui participent à votre communauté dans d’autres pays du monde. Je les encourage eux aussi à être des amis de Dieu, des pauvres et de la paix: qui vit ainsi sera béni dans la vie et une bénédiction pour les autres.
Dans certains pays qui souffrent à cause de la guerre, vous essayez d’entretenir la flamme de l’espérance pour la paix. Travailler pour la paix ne donne pas de résultats rapides, mais c’est un travail d’artisans patients, qui cherchent ce qui unit et écartent ce qui
divise, comme disait Jean XXIII.
On a besoin de plus de prière et plus de dialogue : cela est nécessaire. Le monde étouffe sans dialogue. Mais le dialogue n’est possible qu’à partir de sa propre identité. Je ne peux pas faire semblant d’avoir une autre identité pour dialoguer. Non, on ne peut pas dialogue comme ça. Je suis avec cette identité, mais je dialogue, parce que je suis une personne, parce que je suis un homme, je suis une femme, et l’homme et la femme ont cette possibilité de dialoguer sans négocier sa propre identité. Le monde étouffe sans dialogue : c’est pourquoi vous aussi vous donnez votre contribution pour promouvoir l’amitié entre les religions.
Continuez dans cette voie: prière, pauvres et paix. Et en marchant ainsi vous aidez à faire grandir la compassion dans le cœur de la société – qui est la vraie révolution, celle de la compassion et de la tendresse –, à faire grandir l’amitié au lieu des fantasmes de l’inimitié et de l’indifférence.
Que le Seigneur Jésus qui, du haut de la mosaïque serre dans ses bras la Très Sainte Mère, vous soutienne partout et vous serre tous dans ses bras avec elle dans sa miséricorde. Nous en avons besoin, nous en avons vraiment besoin. C’est le moment de la miséricorde. Je prie pour vous, et vous priez pour moi ! Merci.
Traduction d’Océane Le Gall