Rite romain: Ac 2, 1-11 ; 1Co 12,3-7 . 12-13 ; Jn 20, 19-23

[Rite ambrosien, à Milan: Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; 1Co 12, 1-11 ; Jn 14, 15-20]

1)      La fête de l’Eglise

La Pentecôte est mystère d’amour et de communion vécue, de consolation durable et de joie partagée.

C’est la joie par la Présence du Christ parmi nous.

C’est la joie par la certitude que le Maître, le Seigneur est vivant, qu’Il est avec les Siens, d’hier et d’aujourd’hui, de toujours, et qu’Il leur/nous donne son Esprit, guide dans la connaissance de la Vérité[1], qui les/nous rend vraiment libres et les/nous fait vivre dans la paix.

Partageons cette joie et célébrons aujourd’hui la grande fête de la Pentecôte, dont la liturgie nous fait revivre la naissance de l’Eglise. « Nous pouvons dire que l’Eglise a eu son début solennel avec la venue du Saint Esprit » (Benoît XVI). Aujourd’hui, c’est la fête de l’Eglise ; c’est notre fête ; c’est la fête du Saint Esprit ; la fête de Dieu-Amour. « Invoquons-Le. Bénissons-Le. Vivons-Le. Répandons-Le » (Paul VI).

   Avant de monter au ciel, Jésus avait ordonné à ses disciples de ne rien faire seuls, mais de rester ensemble, en communauté, et d’attendre le don du Saint Esprit. C’est ainsi que l’Eglise naissante se réunit, petit groupe de croyants avec Marie et avec les apôtres qui, en attendant, étaient redevenus douze après s’être adjoints  Matthias. Et ainsi, cinquante jours après Pâques, le Saint Esprit descendit sur la communauté des disciples - «unanimes, assidus dans la prière » - rassemblés « avec Marie, la mère de Jésus » et avec les douze apôtres (cf. Ac. 1,14 ; 2,1).

   La concorde est la condition du don du Saint Esprit et la prière est la condition de la concorde. Mais  une autre condition s’impose pour recevoir ce don, c’est la nécessité de rester vigilants,  dans l’attente du Seigneur.

   Nous donnons souvent la priorité à l’activité, à une œuvre qui nous engage jusqu’à la limite de nos forces et parfois même au-delà. Or nous serions plus libres, joyeux et féconds si nous consacrions plus de temps à la Parole de Dieu, dans laquelle se déploient notre volonté et notre action.

    Certes, le Seigneur a besoin de notre action et de notre dévouement, mais nous, nous avons besoin de sa présence. Nous devons apprendre le courage de « l’inactivité » et l’humilité de l’attente de la Parole et de Ses Paroles. Ecouter en silence et dans la communion la parole de Dieu vaut mieux que bien des paroles humaines ; et les moments de prière seront plus fructueux que beaucoup de nos actions.

2)      Le don de l’Esprit et la certitude du cœur

Pendant la passion du Christ les Apôtres se sont enfuis. Dès que la nouvelle de la Résurrection s’est répandue, les disciples ne voulurent pas y croire. Il fallut quarante jours pour que Jésus ressuscité puisse les ramener à la surface de la vie, faisant naître dans leur esprit la confiance et la certitude. La Pentecôte a signé leur naissance : les langues de feu les secouèrent et, en ce matin de Paradis, tout devint clair pour eux. Vraiment tout : la nature et la mission du Christ, les persécutions et le martyre qui les attendaient pour accomplir leur mission de fondation de l’Eglise. Leur cœur brûla d’une certitude, d’une douceur et d’une joie immenses. L’Esprit agit toujours de cette façon dans nos cœurs, avec une douce force et une forte douceur. Il est, avant tout, Esprit de Vérité et la vérité est de voir clair dans les choses et en nous, avoir la certitude que Dieu nous aime, que nous pouvons l’aimer et trouver refuge en Lui. 

   Le Saint Esprit, qui a transformé les Apôtres en un instant, continue de nous transformer dans l’Eglise, nous, têtes dures et cœur fermé : il suffit de Lui ouvrir la porte de notre cœur. Alors Il entre avec le Fils et le Père et fait de nous la demeure de Dieu, qui est, Lui-même, la demeure de l’homme et de toute l’humanité.

   Loin de Dieu, l’humanité se cherche, elle tente d’obtenir son salut par la satisfaction de l’égoïsme propre à chacun, elle tombe dans une opposition radicale où plus personne ne comprend  son voisin. Et sans la compréhension, même l’égoïsme est insatisfait.

   Le « Saint Esprit » crée la compréhension parce que c’est l’amour qui vient de la croix, du don total de Jésus Christ. Sans s’attarder à parler dans le détail des enseignements  doctrinaux et pratiques de la Pentecôte, je me contenterai de rappeler la formule avancée par saint Augustin pour tenter de résumer l’histoire de la Pentecôte : l’histoire du monde, affirme saint Augustin, consiste en une lutte entre deux amours distincts : l’amour de soi  jusqu’à la haine de Dieu et l’amour de Dieu jusqu’à l’abandon de soi. Mais cet amour de Dieu est la rédemption du monde et de soi.

   Dès l’aube du jour de la Résurrection, Jésus donna un nom à ce soi : Marie. C’est le salut de « l’homme » : Dieu appelle chaque être humain par son nom. Dieu nous connaît de toute éternité. Nous ne sommes pas les fils du hasard et du chaos, nous sommes les fils de l’Amour. C’est dans l’Esprit que Dieu nous aime et c’est dans l’Esprit que nous l’aimons. C’est pourquoi notre vie est cette relation d’amour dans laquelle nous sommes appelés et nous répondons, dans laquelle nous L’appelons et Il répond à chacun de nous, et nous devenons, dans l’Eglise et avec elle, lieu de rencontre avec le Verbe et temple de l’Esprit.

3)Témoignage d’unité et de pardon

Dans la première lecture de la messe d’aujourd’hui, saint Luc décrit la venue de l’Esprit en utilisant les symboles classiques qui accompagnent l’action de Dieu : le vent, le tremblement de terre et le feu. Mais dans sa narration vient s’ajouter un symbole : les langues se divisent et se posent sur chacun des assistants, de sorte qu’ils « se mirent à parler dans d’autres langues ».  Avec ceci, le devoir d’unité et d’universalité auquel l’Esprit appelle son Eglise devient clair. L’auteur sacré souligne longuement que la foule accourue était composée d’hommes et de femmes de différentes nationalités (2,19-11). Et il ajoute : « chacun les entendait parler dans sa propre langue » (2,8). C’est dire que l’Esprit n’a pas sa langue propre, qu’Il n’est pas lié à une langue et une culture particulière, mais qu’Il s’exprime à travers toutes les langues. Avec la venue de l’Esprit à la Pentecôte et la naissance de la communauté chrétienne, commence pour l’humanité une nouvelle histoire, inverse de celle de la tour de Babel.

   Dans l’histoire de la Genèse (11, 1-9) on lit que les hommes ont cherché à égaler  Dieu en  menant une conquête personnelle  plutôt qu’en L’accueillant comme un don. C’est l’éternelle tentation de l’homme de vouloir construire une ville sans Dieu et de chercher le salut en soi-même. Or, sans Dieu, l’homme ne trouve que la confusion et la dispersion. A Babel, les hommes de même langue ne se comprennent plus. A  la Pentecôte, au contraire, les hommes de langues et de cultures différentes s’assemblent et se comprennent. Le devoir que l’Esprit confie à son Eglise est celui d’imprimer à l’histoire de l’humanité un mouvement de réunification dans l’Esprit, dans la liberté et autour de Dieu.

   L’Esprit transforme un groupe de personnes apeurées, enfermées dans le Cénacle en témoins conscients et courageux. Il ouvre les disciples au monde et leur donne le courage de s’avancer en public, en racontant à tous « les grandes œ uvres de Dieu ». Cependant il ne faut pas oublier que Jésus Ressuscité donne l’Esprit en vue de la mission, mais aussi en vue du pardon des péchés. En effet, Jean l’évangéliste établit une relation étroite entre l’Esprit, la communauté des disciples et le pardon.

   Dans l’Eglise, lieu de la fête et du pardon (Jean Vanier), les vierges consacrées ont une place particulière. Même vivant dans le monde, elles vivent de la prière de louange à Dieu et intercession pour qu’Il accorde son pardon au monde. Elles témoignent que le don total de soi à Dieu ne consiste pas à se confier à quelque chose, mais à Quelqu’un, et que dans la foi qui transforme le cœur, il est possible d’accueillir, chaque jour, Dieu  présent en elles (et en nous) avec son Esprit : «L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm, 5,5). Leur existence vécue de façon conjugale avec le Christ témoigne de la tendresse, de la fidélité et de la miséricorde. Leur vie et leur mission est d’accueillir Dieu pour en faire don au monde.

   La qualité d’épouse du Christ donne à la personnalité de la femme un développement affectif considérable et fait valoir l’aspect positif de la virginité parce qu’elle est un renoncement dans l’unique but d’une plénitude d’ordre supérieur. Par ailleurs, l’engagement virginal est destiné, selon le dessein de Dieu, à susciter une fécondité spirituelle. L’appel est un don de Dieu fait à quelqu’un en particulier : « ce n’est pas vous qui  m’avez  choisi, c’est moi qui vous ai choisis » (Jn 15,16), qui devient un don de la personne humaine à travers la consécration à la virginité : « Sous l’impulsion de l’Esprit Saint, les Vierges consacrées vouent à Dieu leur chasteté pour un plus grand amour du Christ et une grande disponibilité à tous. Elles s’adonnent en effet à la prière, à la pénitence, au service de leurs frères et au travail apostolique, suivant leur état et leur charisme respectif » (Préliminaire n°2 du Rite de la consécration des Vierges).

 Pour les vierges qui suivent le chemin ouvert par la Vierge, l’amour virginal consacré au Christ est source de maternité spirituelle. Il est très surprenant de constater que, pour exprimer sa paternité spirituelle, saint Paul ait utilisé une image exclusivement féminine : celle de l’accouchement dans la douleur : « Mes petits enfants, écrit-il aux Galates (4,19), que, dans la douleur, j’enfante à nouveau »[2] .

 NOTES

[1] Chez saint Jean, le sens du mot « vérité » signifie la réalité divine aussi bien que la connaissance de cette réalité. L’interprétation traditionnelle, catholique particulièrement, a pris « la vérité » surtout au sens dogmatique. L’Esprit guide l’Eglise à travers les conciles, le Magistère et la Tradition. C’est là un aspect important de l’action de l’Esprit de Vérité –le plus important, dirions-nous – mais pas le seul. C’est un aspect plus personnel que nous devons prendre en considération : l’Esprit Saint nous introduit à la vie véritable du Christ. Pour saint Irénée, l’Esprit Saint est notre « communion avec Dieu », et pour saint Basile, « l’Esprit fait de nous les amis intimes de Dieu ».

[2] On rappellera que pour montrer la fécondité de la souffrance, Jésus lui-même a utilisé la comparaison avec la femme qui accouche : Il faisait ainsi comprendre à ses disciples quels fruits pouvait produire leur participation à  sa passion (Je 16,21). Ceci signifie que les images féminines sont les mieux adaptées pour exprimer la fécondité spirituelle des hommes aussi bien que des femmes.