Rite romain : Dt 8,2-3.14b-16a ; Ps 147 ; 1Cor 10,16-17 ; Jn, 6,51-58
[Rite ambrosien, à Milan : Dt 8,2-3.14b-16a ; Ps 147 ; 1Co 10,16-17 ; Jn 6, 51-58]
1) Pain de Vie et d’Amour
Pour entrer dans le mystère de l’Eucharistie, il est, me semble-t-il, nécessaire de se souvenir des paroles de Jésus : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique pour que le monde soit sauvé par lui « (cf. Je 3,16).
L’Eucharistie est le sacrement qui perpétue ce don qui vient de l’amour fidèle de Dieu.
C’est pourquoi, pour la fête du Corps et du Sang du Christ, la liturgie propose comme première lecture de la messe de ce jour un passage du Deutéronome qui est une invitation à se souvenir que, pendant l’exode, Dieu a toujours été près du peuple d’Israël. Dans son amour fidèle, Dieu n’a pas hésité à mettre à l’épreuve les Hébreux au désert, mais il a toujours été près d’eux et Il leur a donné la manne pour qu’ils puissent poursuivre la route jusqu’à la terre promise.
Dans la deuxième lecture, saint Paul nous parle de la finalité de l’Eucharistie qui est de « former un seul corps » (cf. 1Co, 17), d’être tous en communion avec le Christ et d’être frères entre nous, en d’autres termes, d’être l’Eglise nourrie du pain eucharistique partagé. Communion signifie échange, partage. Or la règle fondamentale du partage s’énonce ainsi : ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi. Mais qu’est-ce qui est vraiment « à moi » ? La misère, le péché : c’est cela seul qui est exclusivement à moi. Et Jésus, qu’a-t-il « à lui » ? La sainteté, la perfection de toutes les vertus. Dès lors, la communion consiste en ceci que moi je donne à Jésus mon péché et ma pauvreté, et Lui, me donne sa sainteté. C’est là que se réalise « le merveilleux échange », comme le définit la liturgie.
Dans la troisième lecture, un passage du chapitre 6 de l’Evangile de saint Jean nous montre la volonté de Jésus de nourrir tous les hommes de sa chair et de les désaltérer de son sang pour qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.
Quand nous recevons la communion, le prêtre dit « le Corps du Christ », et le fidèle répond « Amen ». Nous devons donc être membres du Corps du Christ pour que notre Amen soit vrai. C’est un mystère d’unité, de piété et de charité. Un seul pain, un seul corps, fait de beaucoup d’autres. Le pain n’est pas fait d’un seul grain de blé, mais d’un grand nombre de grains. « Au baptême vous avez été imprégnés d’eau. Le Saint Esprit est alors venu en vous comme le feu qui cuit les pâtes. Soyez donc ce que vous recevez et recevez ce que vous êtes » (Saint Augustin).
Il n’en est pas moins important de souligner certains points qui ne sont pas des détails insignifiants. Dans l’Evangile de Jean, nous constatons que l’Apôtre préfère le mot « chair »1 au mot « corps ». Il veut, probablement, mettre en évidence le réalisme de l’incarnation (« le Verbe s’est vraiment fait chair ») par opposition aux opinions qui tendaient à dénier au Fils de Dieu la capacité à assumer une vraie et totale humanité. Puis on notera la dimension universelle : cette sainte nourriture est pour la vie du monde entier, et enfin, une insistance qui n’a rien de fortuit : manger la chair et boire le sang est indispensable à la vie. Le Christ est la vraie nourriture pour la vraie vie des hommes.
La bienheureuse Mère Thérèse de Calcutta disait à se sœurs qu’elles « devaient traiter les malades comme le prêtre traite l’hostie consacrée » et elle ajoutait cette expérience, fruit de la Communion et de l’Adoration : « Quand j’adore Jésus dans l’Eucharistie, je vois les pauvres, et quand je suis auprès des pauvres, je vois Jésus ».
2) Appel, cheminement et adoration
La célébration de la fête du Corps et du Sang du Christ ne consiste pas seulement à célébrer une messe avec une solennité particulière. Une procession est aussi prévue dans les rues de la ville ou du village.
Dans toutes les paroisses de la terre, l’Eglise, le peuple de Dieu réuni autour de l’Eucharistie, avance aujourd’hui devant tout le monde avec une ambition des plus généreuses : celle de posséder et offrir, sous la forme d’un morceau de pain et d’une gorgée de vin, la chair et le sang de Jésus, de celui qui s’est dit le Christ, le Fils de Dieu fait homme, de celui qui est le Rédempteur de l’homme et du monde entier.
Pendant la procession, un peu de ce pain « consacré » est placé dans un précieux ostensoir et est porté par les rues, entre les mains du prêtre, pour être adoré comme le sacrement dans lequel le Seigneur du monde est réellement présent.
Personne n’est obligé d’y croire. Mais la certitude d’un peuple qui grandit dans le monde et qui est ici présent invite tous les hommes à « vérifier » quelle part de vérité peut exister dans ce qu’il est proposé de croire.
Pour tous, croyants ou pas, c’est aujourd’hui une grande occasion de repenser à cette foi de l’Eglise. Le croyant doit en retrouver les raisons pour la raffermir en lui-même. Celui qui ne croit pas encore doit se confronter aux raisons qu’on lui donne. De toutes ces raisons, la plus importante est la « résistance » de cette foi qui, jusqu’à nos jours, « fait » les martyrs (on en dénombre quelque quarante-cinq millions au XXe siècle) et les saints qui donnent toute leur vie par amour pour ce Christ présent dans l’Eglise, dans l’Eucharistie, dans nos frères.
La procession d’aujourd’hui est différente de celle du Jeudi Saint, lorsque, après la première Cène eucharistique, les apôtres accompagnèrent le Christ au Mont des Oliviers. C’est un cheminement avec le Christ Ressuscité, donc plein de joie, d’étonnement serein, d’adoration, qu’est la prière qui se fait regard. « L’adoration est la prière qui prolonge la célébration et la communion eucharistique dans laquelle l’âme continue de se nourrir : elle se nourrit d’amour, de vérité, de paix ; elle se nourrit d’espérance parce que celui auquel on s’adresse ne nous juge pas, ne nous écrase pas, mais nous libère et nous transforme » (Benoît XVI, 2 mai 2008).
Dans cet « exode » eucharistique, les Vierges consacrées dans le monde offrent un exemple. Dans l’Eucharistie, le Christ ne cesse d’aller vers le monde. Ces femmes, dévouées à Lui, avec Lui vont vers le monde. C’est une partie de leur vocation spécifique que de Le porter, présent sous l’espèce du pain et présent dans leur cœur, sur les chemins du monde qu’elles Lui confient en s’en remettant à Sa bonté. A l’exemple des Vierges consacrées, que notre personne soit une maison pour Lui et avec Lui, et que chaque jour de notre vie soit pénétrée de sa présence.
Elles vivent de l’Eucharistie et témoignent que l’Eucharistie assumée avec foi engendre une vraie communion avec Dieu et donc avec le prochain. Le Pain consacré et partagé est le signe visible de cette communion. Il est sacrement de charité et le geste de le rompre et de le distribuer doit être un signe d’amour et d’accueil. L’Eucharistie est le Pain de chaque jour pour le chemin des personnes réunies, appelées à louer Dieu et à vivre de Lui.
Avec l’Eucharistie, le Seigneur ne nous laisse pas seuls dans ce cheminement. Il est toujours avec nous. Toujours. Mieux même : Il désire partager notre sort jusqu’à s’identifier à nous. Mais n’oublions pas qu’il ne suffit pas d’avancer. Sans critères de référence, nous risquons de nous égarer, de finir dans un précipice, ou bien de nous éloigner pl
us rapidement du but, s’Il ne nous montre pas le chemin. Dieu nous a créés libres, mais Il ne nous a pas laissés seuls : Il s’est fait Lui-même « chemin » et Il est venu marcher avec nous pour donner à notre liberté la capacité de discernement qui nous permette de choisir la bonne route et de la suivre.
Cheminer avec le Christ est liberté, et s’agenouiller devant l’eucharistie l’est aussi parce que c’est une affirmation de notre liberté. Celui qui s’incline devant Jésus ne peut et ne doit se prosterner devant aucune puissance terrestre, si forte soit-elle. Nous chrétiens, nous agenouillons en adoration uniquement devant le Saint Sacrement parce que nous savons et nous croyons qu’Il est présent, Lui, l’unique vrai Dieu, qui a créé le monde et l’a tant aimé qu’Il a donné son Fils unique (Je 3,6).
Lecture Patristique : Saint-Augustin
Commentaire du Psaume 137
“Je vous adorerai dans votre saint temple ». Quel est ce saint temple ? Celui où nous devons habiter, où flous devons adorer. Car nous courons pour adorer Dieu. Notre cœur gonflé veut enfanter, et cherche où il pourra le faire. Or, quel est ce lieu où il faut adorer Dieu? Quel est ce monde? Quel est cet édifice ? Quel est son trône dans le ciel, au milieu des étoiles? Nous le cherchons dans les saintes Ecritures et nous le trouvons dans la Sagesse: « Pour moi», dit-elle, « j’étais avec lui, et chaque jour je faisais ses délices ». Puis elle chante les oeuvres de Dieu et nous indique son trône. Quel est-il? « Quand Dieu », dit- elle, « affermissait les nuées en haut, quand il établissait son trône au-dessus des vents ». Mais son trône est aussi son temple. Où donc irons-nous? Est-ce pardessus les vents qu’il nous faudra l’adorer? S’il faut l’adorer par-dessus les vents, les oiseaux l’emportent sur nous.
Mais si nous appelons âmes les mêmes vents, c’est-à-dire, si les vents sont une figure symbolique des âmes, selon cette expression d’un autre psaume : « Il a volé sur les ailes des vents »c’est-à-dire sur les vertus des âmes, ce qui fait qu’un souffle de Dieu prend le nom de vent ou d’âme ; non point qu’il nous faille entendre par là ce vent qui pousse notre corps et qui est sensible, mais quelque chose d’invisible qui échappe à la perspicacité de nos yeux, à la sensibilité de nos oreilles, au discernement de l’odorat, à la perception du goût, au toucher des mains : mais une certaine vie, qui nous anime et que l’on appelle âme; si, dis-je, nous entendons ainsi les vents, il n’est pas nécessaire de chercher des ailes visibles, pour voler avec les oiseaux et adorer Dieu dans son temple; mais nous trouverons que Dieu est assis au-dessus de nous-mêmes, si nous voulons lui être fidèles.
Voyez si tel n’est point le sens de ces paroles de l’Apôtre : « Le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple ». Il est certain néanmoins, il est évitent que Dieu habite dans les anges. Donc lorsque dans la joie qui nous vient des biens spirituels, et non des biens terrestres, nous chantons des hymnes à Dieu en présence des anges, cette congrégation des anges devient le temple de Dieu, et nous adorons le Seigneur dans son temple. Quant à l’Eglise de Dieu, elle est sur la terre et dans le ciel ; l’Eglise de la terre se compose de tous les fidèles, l’Eglise du ciel de tous les anges. Mais le Seigneur des anges est descendu vers l’Eglise d’ici-bas, et ses anges le servaient, lui qui était venu pour nous servir 3. «Car», nous dit-il, «ce n’est point pour être servi, mais pour servir, que je suis venu ». Que nous a-t-il servi, sinon ce qui fait aujourd’hui notre nourriture et notre breuvage? Si donc le Maître des anges a bien voulu nous servir, ne désespérons pas d’être un jour les égaux des anges. Celui qui est plus grand que les anges s’est donc abaissé jusqu’à l’homme, le Créateur des anges s’est revêtu de l’homme, le Maître des anges est mort pour l’homme. « Je vous adorerai dans votre saint temple » : c’est-à-dire, dans ce temple qui n’est pas fait de la main des hommes, mais que vous avez fait.
« Je confesserai votre nom dans votre miséricorde et votre vérité ». Tels sont les deux attributs que nous voulons chanter, comme il est dit dans un autre psaume « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». Tels sont, ô mon Dieu, les deux attributs que nous confessons. Votre miséricorde et votre vérité ; c’est par la miséricorde que vous jetez sur le pécheur un regard favorable, et par la vérité que vous tenez à vos promesses. « Je vous confesserai dans votre miséricorde et dans votre vérité ». Et c’est là ce que je veux vous rendre selon les forces que je tiens de vous, en exerçant la miséricorde et la vérité; la miséricorde par l’aumône, la vérité dans mes jugements. C’est en cela que Dieu nous aide, en cela que nous méritons Dieu ; et dès lors, toutes les voies du Seigneur sont la miséricorde et la vérité ; il ne vient à nous par aucune autre voie, et nous n’avons aucune autre voie pour aller à lui.
NOTE
1 Le terme utilisé par saint Jean pour « chair » est « sarx », qui correspond à l’hébreu « basar » : ce terme sémitique ne signifie pas tant la chair au sens matériel, comme nous l’entendons, mais l’humanité, la personne. Dans le langage de la Bible, l’expression « chair et sang » désigne la personne humaine dans sa réalité historique, l’homme total dans sa manifestation concrète. Par conséquent, l’expression « manger la chair » ne fait pas référence à l’anthropophagie, à une forme de cannibalisme, mais elle indique plutôt le fait d’entrer en communion totale avec le Sauveur.