Rite Romain: Ex 34, 4b-6. 8-9; Dn 3,52.56; 2 Co 13, 11-13; Jn 3, 16-18
[Rite Ambrosien, à Milan: Ex 3,1-15; Ps 67; Rm 8,14-17; Jn 16,12-15]
Prémisse
La Trinité est un mystère lumineux: « De même que dans trois soleils, contenus l’un dans l’autre, dit Saint Jean Damascène, il y aurait une seule lumière par compénétration intime » (Saint Jean Damascène). La révélation de la Très Sainte Trinité se résume de manière simple et profonde dans la courte phrase de la première lecture de Saint Jean: « Dieu est amour ». Il ne l’est pas uniquement par rapport à nous ou à l’univers créé. Il l’est en lui-même, dans son intimité, essentiellement, infiniment, éternellement. D’ailleurs l’amour est vraiment lui-même dans la relation avec un autre qui le constitue. Pour être charité, l’amour doit tendre vers l’autre (Saint Grégoire Le Grand).
1) Vivre et cohabiter
La foi chrétienne a deux grands Mystères : l’Unité et Trinité[1] de Dieu et l’Incarnation, passion, mort et résurrection de Jésus Christ.
Toutefois, malgré l’importance que la Trinité revêt pour notre foi, on a souvent l’impression que pour beaucoup celle-ci n’est rien de plus qu’une vérité à laquelle il faut croire, un mystère absolument incompréhensible, sur lequel on ne se pose pas beaucoup de questions.
La Trinité est un dogme qui peut paraître loin et ne pas toucher la vie. Au contraire celle-ci est la révélation du secret du vécu de la vie, de la sagesse sur la vie, sur la mort, sur l’amour, et elle nous dit : en tout premier, c’est un lien de liberté, c’est-à-dire une communion d’amour.
Un seul Dieu en trois personnes: Dieu n’est pas en soi solitude, mais communion, l’océan de son essence vibre d’un infini mouvement d’amour, réciprocité, échange, rencontre, famille, fête. Quand « au commencement » Dieu dit: « Faisons l’homme à notre image et ressemblance », l’image dont il parle n’est pas celle du Créateur, pas celle de l’Esprit, ni celle du Verbe éternel de Dieu, mais elle est toutes ces choses à la fois.
Face à la révélation de la Trinité, il ne nous est pas demandé seulement le silence mais aussi la stupeur et la joie, car il s’agit, oui, d’une réalité inaccessible, infiniment plus grande que nous, mais aussi d’une réalité lumineuse: elle éclaire l’homme dans son esprit et dans son cœur, dans la contemplation et l’action.
Cette révélation ne vient pas simplement satisfaire notre besoin de connaître Dieu; elle touche directement au destin de l’homme et de la création. Le salut, en tant que communion d’amour entre Dieu et l’homme, reflète les caractères des deux interlocuteurs qui la constituent: Dieu et l’homme. Alors l’homme ne peut être compris sinon à partir de Dieu: fait à l’image de Dieu, il est façonné sur le Christ, image parfaite de Dieu (Col 1,15). Les questions et réponses sur Dieu sont donc d’une importance fondamentale pour comprendre l’homme.
En connaissant le Père (l’Aimant[2]), le Fils (l’Aimé) et l’Esprit (l’Amour), nous entrevoyons que, dans son intimité la plus profonde, Dieu est dialogue, une vie d’amour entre trois Personnes. C’est ici que réside l’originalité de la conception chrétienne de Dieu, et c’est ici que l’homme trouve l’explication la plus vraie sur lui-même. L’homme sent que la nostalgie de la communauté, de la solidarité et du dialogue ne peut être supprimée; il en a besoin pour vivre et grandir, il en a besoin plus que de l’air qu’il respire. Mais ce n’est qu’à la lumière de la Trinité que cette constatation acquiert cette profondeur insoupçonnable: nous sommes faits pour nous rencontrer, pour dialoguer et aimer, parce que nous sommes « à l’image de Dieu », et que Dieu est, justement – d’après ce que nous comprenons – une communauté d’amour.
2) La vie est amour
La vocation à la communauté est la trace de la Trinité dans l’homme et « Tu vois la Trinité quand tu vois l’amour » (Saint Augustin[3]) que le pape émérite Benoît XVI explique ainsi: « En effet, l’Esprit est la puissance intérieure qui met leur cœur au diapason du cœur du Christ, et qui les pousse à aimer leurs frères comme Lui les a aimés » (Lett. Enc. Deus Caritas est, n. 19). L’Esprit nous introduit au rythme même de la vie divine, qui est une vie d’amour, en nous faisant participer personnellement aux relations qui s’écoulent entre le Père et le Fils. Si Paul, en énumérant les fruits de l’Esprit, met l’amour à la première place, cela a un sens: « voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, etc. » (Gal 5,22). Et, comme par définition l’amour unit, cela signifie avant tout que l’Esprit est créateur de communion au sein de la communauté chrétienne, comme nous disons au début de la messe en utilisant l’expression de saint Paul: « … que la communion du Saint Esprit [soit celle qui est opérée par lui] soit avec vous » (2 Cor 13,13). Mais d’un autre côté, il est vrai aussi que l’Esprit nous stimule à nouer des relations de charité avec tous les hommes. Donc, quand nous aimons nous faisons une place à l’Esprit, lui permettons de s’exprimer pleinement.
Plus que sur le Mystère des Trois Personnes, les textes de la liturgie d’aujourd’hui attirent, en effet, davantage notre attention sur la réalité d’amour qui est contenue dans ce premier et suprême Mystère de notre foi. Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont Un, parce qu’ils sont amour et que l’amour est la force vivifiante absolue, que l’unité créée par l’amour est encore plus « unité » qu’une unité purement physique. Le Père donne tout au Fils : le Fils reçoit tout du Père avec reconnaissance ; et le Saint Esprit est comme le fruit de cet amour réciproque entre le Père et le Fils.
Donc, le passage tiré aujourd’hui de l’Evangile de Saint Jean nous fait réfléchir et contempler l’étonnante profondeur et gratuité de l’amour du Père qui nous donne son Fils. En se faisant chair[4] Celui-ci touche l’homme dans sa réalité concrète quelle que soit sa situation. Dieu a assumé la condition humaine pour la guérir de tout ce qui la sépare de Lui, pour nous permettre de l’appeler, en son Fils Unique, « Abbà, Père » et être de vrais fils de Dieu. Saint Irénée affirme: « C’est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : afin que l’homme, en entrant en communion avec le Verbe et en recevant ainsi la filiation divine, devienne fils de Dieu » (Adversus haereses, 3, 19,1: PG 7,939).
Le Verbe de Dieu s’est fait chair non pas par obligation juridique, mais par exigence de libre amour, grâce à une surabondance d’amour. La Trinité n’est rien d’autre que ce mystère surabondant d’amour qui, du ciel, s’est déversé sur la terre, surmontant chaque frontière, chaque limite. Dieu nous fait don de son Fils aimé, mais n’oublions pas que ce don est pour tous : pour le monde entier.
Si bien que Saint Jean, dans ce même passage de l’Evangile du jour, poursuit en disant que Dieu a envoyé son Fils pour sauver le monde, pas pour le juger. Mais ceci n’enlève rien au fait que la présence du don détermine une crise : le don du Père peut être accuei
lli ou refusé.
3) La vie est accueillir la Vie
Quelle est notre vocation ? Celle de vivre la vie trinitaire : il n’y a pas d’autre vocation que celle-ci. Chacun de nous est appelé à vivre la vie de Dieu. Et la vie de Dieu c’est la Très Sainte Trinité. C’est notre vocation. Notre vocation n’est pas de faire école, défaire avancer un laboratoire, de travailler à la maison, de nous occuper des enfants ; notre vocation n’est même pas de prier. Notre vocation c’est Dieu lui-même, c’est être en Lui, vivre en Lui. Notre vocation nous appelle à croire à l’amour, à l’accueillir, à le vivre.
Qui, au moins une fois dans la journée, ne fait pas le signe de croix ou ne récite pas le Notre Père ? Ces Gestes indiquent notre appartenance naturelle à Dieu, qui veut faire de nous des êtres divins, comme Lui. Et ça, les saints l’avaient très bien compris, en incarnant dans leur vie le modèle d’amour trinitaire sur les routes du monde, pauvrement comme St François d’Assise, paternellement avec Saint Pio de Pietrelcina, charitablement comme Mère Teresa de Calcutta, de manière cachée, derrière les grilles d’un monastère de clôture comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, familièrement comme les Epoux Martin parents de la Sainte de Lisieux.
De tous les saints, Marie est la créature la plus proche de la Très Sainte Trinité : fille du Père, Mère du Fils, Epouse du Saint Esprit. La Vierge Marie, dans sa docile humilité, s’est faite humble servante de l’Amour : elle a su accueillir la volonté du Père en concevant son Fils par œuvre du Saint Esprit. En Elle, le Tout Puissant a pu ériger un temple digne de Lui, faisant de ce temple un modèle et une image pour l’Eglise, maison de communion pour chaque homme et chaque femme.
Aide-nous Marie, reflet de la trinité, à grandir dans la foi et à accueillir dans notre vie le mystère trinitaire, un mystère qui nous parle d’amour, d’accueil et de communion.
Que les Vierges consacrées dans le monde soient pour nous un exemple, elles qui, dans le quotidien de leur vie, veillent sur l’appel à la sainteté en menant une existence simple, par le biais d’un travail « profane ». Par leur style de vie dans le monde, elles marquent la présence du Christ dans la vie quotidienne, pour transformer le monde selon le Cœur du Dieu trine. Ces femmes font cela en mettant en pratique les conseils évangéliques. En effet « la vie consacrée, par conséquent, est appelée à approfondir continuellement le don des conseils évangéliques par un amour toujours plus sincère et plus fort dans une dimension trinitaire : amour du Christ, qui appelle à l’intimité avec lui ; amour de l’Esprit Saint, qui dispose l’âme à accueillir ses inspirations ; amour du Père, origine première et but suprême de la vie consacrée. Elle devient ainsi confession et signe de la Trinité, dont le mystère est montré à l’Église comme modèle et source de toute forme de vie chrétienne. » (Saint Jean Paul II, Ex. Ap. Post-Sinodale Vie Consacrée, n. 21)
LECTURE PATRISTIQUE: Saint Athanase, Évêque (296 – 373)
De la Lettre 1 à Sérapion, 28-30 (PG 26, 594-595. 599)
Lumière, splendeur et grâce de la Trinité
Étudions la tradition antique, la doctrine et la foi de l’Église catholique. Le Seigneur l’a donnée, les Apôtres l’ont annoncée, les Pères l’ont gardée. C’est sur elle, en effet, que l’Église a été fondée et, si quelqu’un s’en écarte, il ne peut plus être chrétien ni en porter le nom.
Il y a donc une Trinité sainte et parfaite, reconnue comme Dieu dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit; elle ne comporte rien d’étranger, rien qui lui soit mêlé de l’extérieur ; elle n’est pas constituée du Créateur et du créé, mais elle est tout entière puissance créatrice et productrice. Elle est semblable à elle-même, indivisible par sa nature, et son activité est unique. En effet, le Père fait toutes choses par le Verbe dans l’Esprit Saint, et c’est ainsi que l’unité de la sainte Trinité est sauvegardée. C’est ainsi que dans l’Église est annoncé un seul Dieu, qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous. Au-dessus de tous, comme Père, comme principe et source ; par tous, par le Verbe ; en tous, dans l’Esprit Saint.
Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, à propos des dons spirituels, rapporte toutes choses à un seul Dieu, le Père, comme à un seul chef, lorsqu’il dit : Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit ; les ministères dans l’Église sont variés, mais c’est toujours le même Dieu, qui fait tout en tous. Car les dons que l’Esprit distribue à chacun sont donnés de la part du Père par le Verbe. En effet, tout ce qui est au Père est au Fils ; c’est pourquoi les biens donnés par le Fils dans l’Esprit sont les dons spirituels du Père. Quand l’Esprit est en nous, le Verbe qui nous le donne est en nous, et dans le Verbe se trouve le Père. Et c’est ainsi que s’accomplit la parole : Nous viendrons chez lui et nous irons demeurer auprès de lui. Là où est la lumière, là aussi est son éclat ; là où est son éclat, là aussi est son activité et sa grâce resplendissante.
C’est cela encore que Paul enseignait dans la seconde lettre aux Corinthiens : Que la grâce de Jésus Christ notre Seigneur, l’amour de Dieu et la communion de l’Esprit Saint soient avec vous tous. En effet, la grâce et le don accordés dans la Trinité sont donnés de la part du Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint. De même que la grâce accordée vient du Père par le Fils, ainsi la communion au don ne peut se faire en nous sinon dans l’Esprit Saint. C’est en participant à lui que nous avons l’amour du Père, la grâce du Fils et la communion de l’Esprit Saint.
NOTES
[1] Le mystère trinitaire est à la base de la foi chrétienne, mais paradoxalement, même si la foi des premiers chrétiens était en fait déjà trinitaire (cf. Mt 28,16 e 1 Cor), le mot Trinité n’apparaît qu’à la fin du IIème siècle ap. Jc avec Théophile d’Antioche, pour indiquer le mystère qui est à la fois Un et révélé en trois Personnes: le Père, le Fils, le Saint Esprit.
2 Et St Augustin écrit avec émotion dans son « De Trinitate » : « Pour le chrétien, croire en Dieu signifie proclamer avec les lèvres et le cœur que Dieu est Amour. Cela signifie donc reconnaître que Dieu n’est pas solitude : pour aimer, il faut être au moins deux, dans un rapport si riche et fécond qu’il s’ouvre à tout ce qui est autre. Le Dieu d’amour est communion entre l’Amant, l’Aimé et l’Amour reçu et donné, le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Croire en cet Amour éternel signifie croire que Dieu est Un en Trois Personnes, dans une communion si parfaite qu’elles ne font qu’un dans l’amour, et en même temps dans un rapport si réel, subsistant dans l’essence divine unique, qu’elles sont en fait Trois à donner et à recevoir l’amour, à se rencontrer et à s’ouvrir à l’amour : « En vérité, tu vois la Trinité, si tu vois l’amour » (Augustin, De Trinitate, 8, 8, 12). « Voici qu’ils sont trois : l’Amant, l’Aimé et l’Amour » (ib., 8, 10, 14).
[3] Nous ne serons jamais assez reconnaissants à Augustin d’avoir centré son discours sur la Trinité sur la parole de Jean: “Dieu est amour” (1 Jn 4,10). Dieu est amour : c’est pourquoi, conclut Augustin, il est Trinité ! “ L’amour suppose quelqu’un qui aime, ce qui est aimé et l’amour en soi”- Le Père est, dans la Trinité, celui qui aime, source et commencement de
tout; le Fils est celui qui est aimé; le Saint Esprit est l’amour avec lequel ils s’aiment.
[4] “le Verbe se fit chair” (Jn 1,14). Ici le mot “chair”, dans le langage juif, indique l’homme dans son intégralité, tout l’homme, mais sous l’aspect de sa caducité et temporalité, de sa pauvreté et contingence.
Traduction d’Océane Le Gall