Le prof. Stanislaw Grygiel estime que la note dominante de la vie de Karol Wojtyla-Jean-Paul II est que c’était « un homme libre », qui a vécu une « grande histoire pascale, de la solitude au don, du temps à l’éternité ».
« Disciple » de Karol Wojtyla, avec lequel il a fait son doctorat à Lublin, et qu’il a rejoint à Rome, à l’Institut Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille, Stanislas Grygiel a publié, en 2013 son livre : « En dialogue avec Jean-Paul II » (« Dialogando con Giovanni Paolo II », chez Cantagalli).
Il témoigne de cette belle « amitié intellectuelle », mais pas seulement. Un témoignage qu’il a résumé pour la presse internationale, samedi, 26 avril, au Vatican, à la veille de la canonisation de Jean-Paul II.
D’emblée le prof. Grygiel pose la question fondamentale, tirée de l’œuvre poétique de Jean-Paul II « Triptyque Romain » : « Où es-tu source ? » »
La vérité vous rendra libres
Karol Wojtyla, homme de « vérité », « libre », « homme puissant, vir fortis », « appartenait », explique-t-il, à cette « source » au « Dieu révélé », ce qui faisait de lui un « homme libre, de lui et du monde, des opinions ».
Il rapporte ce propos du pape polonais, à propos de ce que « les gens disaient de lui » : « Cela ne m’importe pas, les gens ont parlé, parlent et parleront jusqu’à la fin. Nous, nous devons faire ce que nous devons faire. »
Cette liberté se reflétait dans deux autres aspects de sa personnalité, tout d’abord, une « pauvreté aristocratique » : « tout ce qu’il possédait était pour les autres, y compris lui-même ». Et de préciser : « Aristocratique, dans un sens profond, car il n’en faisait pas montre. »
Et puis sa sainteté, ce qui faisait qu’il n’avait pas peur : « Les hommes libres, pauvres et saints n’ont pas peur ».
Il disait que s’il y avait une seule phrase à conserver de la Bible, ce serait « la vérité vous rendra libres », même si la vérité n’est pas « commode », et peut même se révéler « mortellement dangereuse », comme l’a montré l’attentat du 13 mai 1981.
Il avait pressenti depuis un moment le danger qui se profilait, explique Stanislaw Grygiel : le 18 mai 1979 déjà, après la messe présidée au Mont-Cassin – au cimetière polonais -, et alors qu’on avait arrêté quelqu’un qui avait cherché à s’approcher de lui, il a regardé son ami Grygiel et il lui a dit : « Oui, déjà, ils me cherchent ».
La beauté spirituelle et corporelle
Quant à son enseignement, celui-ci souligne : « Il enseignait à vivre selon la beauté spirituelle et corporellement spirituelle de l’être humain, venant de la beauté crucifiée ».
Comme le chante le grand poète polonais de Cyprian Norwid (+1883): « La beauté de la personne humaine, de son corps transfiguré, a un caractère pascal, elle est via crucis, sous la croix » : et c’est là justement que « commence l’évangélisation » qui est « toujours nouvelle » et aussi « via pulchritudinis », voie de la beauté.
Il ne faudrait pas réduire l’évangélisation, avertit le disciple, à « un comité pour la nouvelle évangélisation, de doctes qui ne voient pas ».
La beauté de l’amour humain
Professeur, depuis le début, à l’Institut Jean-Paul II, le prof. Grygiel ne manque pas de souligner comment Jean-Paul II a « appris à aimer la beauté de l’amour » humain, qui implique de « mourir à soi pour ressusciter ». Et donc, pas un amour « temporaire », pas une union « par intérêt », de « passage » : l’épouse c’est la « maison » de l’époux.
Pour le prof. Grygiel la « destruction » qui vise la famille dans les sociétés modernes procède de la même dynamique que la destruction des nations, des sociétés elles-mêmes et de l’Eglise : « Ceux qui veulent détruire la société et l’Eglise cherchent à détruire le mariage et l’amour ».
Ce n’est « pas un hasard » si Jean-Paul II est le « pape du mariage et de la famille », déclare le professeur polonais.
« Je suis convaincu, précise-t-il, qu’il faut revenir à l’anthropologie de Jean-Paul II, qui est en adéquation avec sa vision de la vie de l’homme immergé dans le torrent de la beauté qui jaillit de la source qui est Dieu. »
Mais non sans une dimension dramatique, exprimée ne termes bibliques, sur fond de la Genèse : il diagnostique la menace du « serpent qui empoisonne notre cœur inquiet et nos pensées inquiètes », dans cette « postmodernité », où l’on croit parfois qu’il suffit, pour être heureux, de se comporter comme si nous étions Dieu, sans Lui, et de décider du bien et du mal, que pour être heureux il suffit de cueillir les fruits du centre du jardin ».
Les 75 ans canoniques
Jean-Paul II, souligne le prof. Grygiel est « conscient de cette postmodernité, » et de la « nécessité d’écouter la bonne nouvelle du torrent de la beauté divine qui nous appelle à changer la vie et qui transfigure ».
Il s’arrête là : « le salut de l’homme commence ici et maintenant ».
Et puis, en réponse à la presse, il fait cette confidence, que lors d’un repas en famille chez le pape, la question d’une éventuelle démission, en cas de diminution de ses forces du pape, a été évoquée. Il avait 75 ans, justement l’âge canonique fixé par Paul VI pour libérer les évêques d’une charge pastorale.
Grygiel se récrie : « Non, Père, votre enseignement sera encore plus clair ! »
Le pape reprend : « Tu sais de quoi je parle ?! » « Je devine », répond l’ami polonais.
Mais à la suite de cette conversation, une fille du prof. Grygiel, qui avait une vingtaine d’années, a écrit à Jean-Paul II, lui demandant de renoncer à cette idée. « Plus, je ne sais pas », conclut-il, avant de protester en levant les bras: « Ne dites pas que c’est ma fille qui l’a convaincu ! »