Pour des paroisses qui évangélisent "aux périphéries"

Mobilisation sur le terrain, d’un synode à l’autre

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Alex et Maud Lauriot-Prévost, qui ont participé à la préparation du synode sur la Nouvelle évangélisation, témoignent de l’élan des paroisses françaises pour témoignage de l’amour du Christ Jésus « aux périphéries », selon l’expression du pape François. Du concret.

Zenit – Alex et Maud Lauriot-Prévost, vous êtes délégués épiscopaux à la Nouvelle évangélisation du diocèse d’Avignon depuis bientôt 3 ans, et vous êtes régulièrement invités à intervenir dans des paroisses ou des diocèses sur les thématiques : paroisse & évangélisation, ou mariage & évangélisation.  Quelles attentes percevez-vous au sein des Eglises locales?

Maud Lauriot-Prévost – Il est clair que depuis la tenue du Synode sur la Nouvelle Evangélisation à Rome en 2012, nous avons perçu une prise de conscience nouvelle en France sur cette question de l’évangélisation, de la première annonce, sur l’urgence de « faire des disciples » (Mt 28, 19) puisque c’est LA mission que Jésus-Christ a confiée à ses apôtres. En France, pour beaucoup de baptisés et de pasteurs dans les années 1990-2000, la Nouvelle Evangélisation pouvait être perçue comme le ‘dada’ de Jean-Paul II puis de Benoit XVI, ou des communautés nouvelles, des charismatiques, des jeunes prêtres et de quelques fortes personnalités épiscopales. Ce synode de 2012 a créé selon nous une réelle prise de conscience puisque toute la communauté catholique s’est alors exprimée dans sa diversité, sur l’impératif d’un renouveau évangélisateur, en Europe et en occident certes, mais aussi au sein des jeunes Eglises d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud (cette dernière ayant sans doute 10 ou 20 ans d’avance sur l’Europe en la matière). L’élection du pape François renforce cette prise de conscience car il revient constamment sur la priorité pastorale qu’est l’évangélisation, la première annonce, le kérygme, le témoignage et l’urgence de se tourner vers les non-croyants et non-pratiquants.  Les deux prochains synodes en 2014 et 2015 sur « le mariage dans le contexte de la Nouvelle Evangélisation » focalisent aussi beaucoup cette question de la mission sur les thématiques de l’amour, du couple, du mariage, de la sexualité… Comme nous avons pas mal travaillé ces thèmes ces derniers temps[1], nous percevons peut-être d’autant plus les attentes du ‘terrain’ en la matière.

Alex Lauriot-Prévost – Beaucoup de laïcs et de pasteurs se sont donc laissés interpellés par ces appels répétés de l’Eglise à l’évangélisation, mais beaucoup sur le terrain sont démunis, à la fois sur ce que recouvre au plan théologique et spirituel cette Nouvelle Evangélisation, mais aussi au plan pastoral, concernant la formation comme la pratique : il y a un grand besoin de sensibilisation, d’information mais aussi de pédagogie, d’outils, d’accompagnement, alors que certaines institutions traditionnelles de formation dans l’Eglise ne sont pas encore très à l’aise avec ces questions, ou alors restent cantonnées à des principes théoriques. Il se trouve – un peu comme Obélix tombé dans sa potion magiqueJ – que nous avons eu la chance (et surtout l’immense joie) d’être tous deux immergés dans la Nouvelle Evangélisation voici 30 ans en secondant le père Daniel-Ange dans la fondation de l’école d’évangélisation Jeunesse-Lumière en 1984. Depuis, nous essayons de répondre aux demandes au gré des disponibilités que nous laisse notre vie professionnelle et familiale, comme nous avons pu le faire dans différents diocèses, paroisses et communautés ces derniers temps. Beaucoup d’autres initiatives vont d’ailleurs dans ce sens aujourd’hui : le vaste travail engagé par Marc et Florence de Leyritz depuis plusieurs années sur le leadership missionnaire ou le précieux ministère du père et théologien Mario Saint Pierre en sont des exemples, parmi de nombreuses propositions qui se développent.

Lorsqu’on parle du pape François, on pense tout de suite à sa charité, à sa générosité et à sa simplicité qui le rendent si proche et aimé de tous dans le monde entier, y compris parmi les baptisés non-pratiquants ou les non-chrétiens. Nous avons peut-être moins à l’Esprit son zèle missionnaire : pouvez-vous revenir à cette attention du pape en matière d’évangélisation ?

Alex Lauriot-Prévost – Ce qui nous frappe dans ses propos (et notamment dans l’exhortation Evangelii Gaudium ou son interview aux revues jésuites), c’est son appel répété et surtout exigeant adressé aux prêtres, aux religieux et aux laïcs engagés pour qu’ils centrent leur ministère et leur apostolat sur l’évangélisation afin de rejoindre le plus grand nombre, particulièrement ceux qui sont loin, loin de la foi, de l’Eglise, de la ‘morale’ chrétienne : « Ici dans nos villes, tant de gens ont besoin de cette annonce de Jésus-Christ car seul le message chrétien répond aux attentes de nos contemporains ». En effet poursuit-il, « l’Evangile est pour tous et non pour quelques-uns qui semblent plus proches ou réceptifs. Le Seigneur est à la recherche de tous, même de ceux qui semblent loin, indifférents ». Le pape François nous invite donc à nous sentir interpellés par tous, y compris par ceux qui ne demandent rien à l’Eglise, par ceux qui y sont visiblement indifférents, voire opposés : nous sommes tous les enfants bien-aimés du Père, tous appelés à être sauvés. Il nous invite à nous laisser interpeller par ceux que nous côtoyons tous les jours et qui attendent de rencontrer le Dieu vivant et aimant ; beaucoup sont meurtris par la vie, par la solitude, par la vacuité du monde, par la méconnaissance de l’amour de Dieu et des œuvres de Salut du Christ.

Beaucoup de curés et de laïcs ont essayé de rejoindre ces périphéries depuis des dizaines d’années, se donnent sans relâche et souvent avec tant de générosité, sans pourtant beaucoup de fruits d’évangélisation proprement dite. Le pape nous indique-t-il les écueils de l’évangélisation, mais aussi une approche fructueuse pour évangéliser, notamment en paroisse ?

Maud Lauriot-Prévost – Le pape François évoque en effet de très nombreux écueils à l’évangélisation : trop souvent évoque-t-il « il n’y a pas vraiment d’autre forme d’évangélisation que la sacramentalisation »,  on s’est « laissé enfermer dans des petits préceptes », on ne sait pas bien « guérir les blessures, rejoindre et toucher les cœurs », on « parle théologie en prenant le thé, devenant incapables de zèle apostolique », on a des « têtes de piments dans le vinaigre » … ; nous pourrions citer des dizaines d’écueils rapportés par François, et nous sommes tous concernés : évangéliser exige avant tout une conversion sincère et profonde du baptisé ! Mais François n’en reste pas là, il ouvre la voie et nous invite à revenir à l’essentiel pour évangéliser : « la première annonce ou “kérygme” a un rôle fondamental, qui doit être au centre de l’activité évangélisatrice : elle est l’annonce qui correspond à la soif d’infini présente dans chaque cœur humain ». Annoncer, témoigner et confesser ce kérygme est selon lui la vraie réponse à la soif et à l’attente, même inconnue et souvent insoupçonnée, de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant : être si abondamment aimé, choyé, béni, guéri, libéré, pardonné, unifié, pacifié… par Dieu en personne. Cette insistance constante du pape sur l’annonce du kérygme  – « le plus important est la première annonce : “Jésus Christ t’a sauvé !” » – renvoie chacun de nous, baptisé, couple ou célibataire, prêtre ou religieux à sa propre expéri
ence de foi et du kérygme : sinon, comment être attractif ? Comment donner envie d’être chrétien ? Comment rayonner et témoigner de l’amour de Dieu si l’amour et la grâce du Christ ne nous ont pas nous-mêmes profondément sauvés, transformés et libérés ?

Alex Lauriot-Prévost – Depuis un an, le pape François vient réveiller notre foi et notre amour du Seigneur, secouer nos tiédeurs et notre tranquillité, déranger nos pastorales peut-être un peu trop centrées sur l’entre-soi paroissial : « N’attendez pas seulement ceux qui frappent à la porte : pour être disciple, il faut sortir, partir comme Jésus le fit avec ses disciples ! Ne restez pas enfermés dans votre paroisse quand tant de personnes attendent l’Evangile : en partant de la périphérie, sortez pour chercher et rencontrer ceux qui ne fréquentent pas la paroisse ». Sinon prévient-il « lorsque nous nous enfermons dans nos paroisses avec ceux qui pensent comme nous, l’Eglise est en grand danger, elle tombe malade » et nous avec !

Maud Lauriot-Prévost – Selon nous, cette vigueur et la clairvoyance de cette exhortation du pape François renvoient aux propos de missionnaires de grande expérience en paroisse, entendus lors du dernier synode sur l’évangélisation: « Le problème n’est pas que l’Église catholique n’évangélise pas, mais que ce soient trop souvent des “non évangélisés” qui évangélisent, c’est-à-dire que beaucoup d’évangélisateurs n’ont pas fait d’expérience personnelle et transformante de l’amour de Dieu »[2]. « Tant que des communautés seront réduites à des cercles où circule avant tout la culture ou les valeurs chrétiennes, elles continueront à se réduire et à s’épuiser car ne s’y manifestent plus le désir ardent de rejoindre chaque cœur et de lui proposer le Salut du Christ »[3]. L’évangélisation passe avant tout par notre propre chemin de conversion personnelle et communautaire, et François ne prend pas des gants pour nous le rappeler !

Alex Lauriot-Prévost – De multiples manières, le pape exhorte donc les évêques, les curés et les baptisés à « se mettre en état permanent  de mission», ce qui demande selon lui, un vrai travail de conversion – le mot est fort : « j’espère que toutes les paroisses feront le nécessaire pour avancer sur le chemin d’une conversion missionnaire » car « la mission dérange nos vies même chrétiennes, trop souvent réfugiées dans une vie tranquille ou des structures caduques ! ». C’est pourquoi « j’exhorte chaque Église et son pasteur à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. L’objectif  n’est pas d’abord l’organisation ecclésiale, mais le rêve missionnaire d’arriver à tous ». Il s’agit de conduire nos paroisses à évoluer de la pastorale de la cloche à celle de la sonnette, d’une pastorale d’entretien à celle de la croissance, d’une pastorale ad intra à une mission ad extra.

Pour un curé, une équipe de prêtres, un conseil pastoral de paroisse, comment engager cette mutation pastorale vers l’évangélisation aux périphéries ?

Alex Lauriot-Prévost – Le pape est très clair : « J’exhorte chaque Église et son pasteur à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. L’objectif  ne sera pas d’abord l’organisation ecclésiale, mais le rêve missionnaire d’arriver à tous ». Le curé n’est donc pas le missionnaire-en-chef qui décide de tout, avec des laïcs à son service et qui exécutent ! Au nom du Christ, il est certes la tête, mais il préside un corps dont il fait partie, dont il assure l’unité et le dynamisme apostolique : la priorité pastorale du curé est donc d’engager ce processus dont parle François, de faire partager à ses paroissiens « ce rêve missionnaire d’arriver à tous », de les entrainer dans cet élan missionnaire, pour conduire chacun, à partir de là où il en est, à devenir un baptisé évangélisé et évangélisateur, un « disciple-missionnaire» comme le pape aime à le rappeler. Certes, de telles perspectives bousculent souvent nos habitudes en paroisse, on ne sait pas bien comment s’y prendre, comment s’organiser pour répondre à cet appel, mais l’expérience illustre que beaucoup de paroisses se sont ainsi réveillées en quelques années, sont (re)devenues attractives, ont su (re)créer un dynamisme apostolique en faisant (re)découvrir et vivre aux paroissiens la mission principale que le Christ a confiée aux apôtres : « faire des disciples ».

Maud Lauriot-Prévost – Depuis que notre évêque nous a confié cette nouvelle mission, nous observons avec intérêt l’évolution et la conduite d’un certain nombre de paroisses en France, que l’on pourrait considérer comme ‘pilotes’, et qui centrent avant tout leur pastorale sur l’évangélisation,  donc sur la croissance et l’attractivité missionnaire de la communauté paroissiale ; le fait pour nous d’intervenir auprès de telle ou telle est bien sûr d’autant plus formateur. Même si c’est essentiellement de manière informelle mais bien réelle, nombre de ces pasteurs se visitent, échangent, partagent entre eux, avec des théologiens, des intervenants, … et nourrissent également leur réflexions avec l’apport d’expériences menées dans d’autres pays, voire dans d’autres Eglises, notamment évangéliques ou anglicanes.  Ainsi il existe en France comme une sorte d’incubateur pastoral et missionnaire pourrait-on dire, qu’il est réellement passionnant et surtout très utile de suivre ; il se dégage petit-à-petit une réflexion de fond, une évaluation des pratiques nouvelles, un savoir-faire appuyé sur un certain nombre d’outils expérimentés dans différents domaines de la pastorale. Tout cela dans un souci constant de communion ecclésiale et d’orthodoxie catholique, bien sûr !

Alex Lauriot-Prévost – De manière plus ou moins formalisée, nous sommes convaincus qu’en France des dizaines d’initiatives se multiplient dans ce sens au sein de paroisses qui se sentent appelées à se renouveler et mieux s’organiser pour s’engager bien plus résolument dans l’évangélisation aux périphéries : nous invitons vraiment les curés, les laïcs à davantage développer les échanges d’expérience, à partager entre eux, à se visiter les uns les autres, à se renseigner sur les différentes initiatives menées, puis à ‘faire son miel’, discerner et adapter à chaque contexte, sans pour autant faire l’économie d’inévitables tâtonnements. Dans cet incubateur à grande échelle, l’Esprit-Saint bouillonne et agit magnifiquement : nous en rendons grâce. Quel temps passionnant de l’Eglise vivons-nous aujourd’hui !

Même si chaque expérience est sans doute unique, peut-on dégager certains principes de conduite pastorale fructueuse pour centrer une paroisse vers l’évangélisation ?

Alex Lauriot-Prévost – L’Esprit-Saint est d’une liberté totale, nous ne nous risquerions pas à mettre en équation son action : elle est si mystérieuse et à chaque fois unique ! Maintenant, au regard de ce que nous observons, engager résolument une communauté paroissiale vers l’évangélisation requiert avant tout beaucoup de zèle, une grande foi et une volonté sans faille du curé, tout centré sur cet objectif prioritaire auquel doit se référer tous les autres. Un tel projet missionnaire repose d’abord sur la foi et la prière fervente du curé et de son noyau pastoral ; il exige également du temps et un accompagnement adéquat, de la méthode, un certain savoir-faire pastoral et missionnaire afin de poursuivre cet objectif sans se perdre dans des détails. A cette fin, nous constatons que l’étape fondatrice d’un tel projet résid
e d’abord dans la capacité du curé à faire partager à un noyau pastoral représentatif cette ambition et cette vision missionnaire, puis à suivre pas à pas sa mise en œuvre en impliquant et associant peu à peu un plus grand nombre de paroissiens dans la diversité de leurs charismes, pour permettre à chacun de trouver sa place, en formant, en accompagnant…. afin de libérer les énergies évangélisatrices qui habitent le cœur de chaque baptisé. Ainsi, nos paroisses ne s’épuiseront plus dans des divisions qui trop souvent les minent (et les centrent sur elles-mêmes), donneront un témoignage d’amour fraternel et d’unité dans la diversité, pour confesser de manière vivante et attractive que Jésus sauve et libère, que Jésus est vraiment le Salut de tout homme : elles porteront alors de beaux fruits apostoliques  car « le Seigneur veut que nos communautés évangélisatrices soient fécondes »nous dit le pape François.

Maud Lauriot-Prévost – Pour notre part, nous faisons évoluer depuis 18 mois – au fil des rencontres, de nos observations, des retours d’expérience dans telle ou telle paroisse ou de nos interventions – un outil de formation et d’introduction à la conduite du changement pastoral en paroisse en vue de l’évangélisation. C’est un outil parmi bien d’autres. Nous nous permettons simplement d’indiquer à certains de vos lecteurs qu’ils pourront, s’ils le souhaitent, en retrouver des vidéos et une synthèse sur les pages « Nouvelle Evangélisation » du site Internet du diocèse d’Avignon : « Paroisse & Evangélisation, de nouveaux défis ! »

[1] Trois livres publiés en 2013 (Salvator) :« Evangéliser le Mariage/Le Kérygme conjugal », « Jésus sauve ton couple ! », « Le Manuel du Nouvel Evangélisateur »

[2] Prado Flores, Ecoles Saint André

[3] Dom Piggi, Cellules paroissiales d’Évangélisation

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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