« Le regard de foi constitue un ferment pour un regard de citoyen »: cette conviction de l’archevêque Bergoglio permet d’éclairer les convictions du pape François au moment où, ses pas dans ceux de son prédécesseur, il livre sa première encyclique, sur le thème de la foi justement. On y découvre la fécondité sociale de la foi sous le regard du cardinal argentin qui allait devenir pape.
« Dieu dans la ville », le livre du cardinal Jorge Mario Bergoglio-Pape François, est en effet paru en français aux éditions Pierre Téqui, avec une présentation de Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes (46 pages, 6,90 euro). Il éclaire rétrospectivement l’encyclique qui paraît ce 5 juillet.
C’est un petit livre du cardinal Bergolio qui ne manque pas d’apporter un éclairage concret sur la première encyclique du pape François.
Question de Dieu, question de l’homme
Mgr Stenger fait notamment remarquer que les mégapoles posent et la question de Dieu et la question de l’homme: « Que ce soit à Buenos Aires ou dans toutes ces mégalopoles qui caractérisent l’habitat de notre monde, on peut véritablement se demander : « Où est Dieu ? » À vrai dire, on peut même déjà se demander : « Où est l’homme ? » Retranché derrière des murs dans les beaux quartiers, perdu dans la foule anonyme des centres-villes, enfoncé dans l’infrahumanité de quartiers pauvres, il n’apparaît pas avec beaucoup d’évidence à l’observateur extérieur ».
Il fait comprendre l’insistance du pape François sur les « périphéries »: « Le bouillonnement de vie de la métropole urbaine n’est pas au centre, où tout est « réglé », mais dans les périphéries, là où sont les petits, les pauvres et les marginaux. C’est vers ceux-là que l’Église doit aller, partout où ils sont ; le cardinal Bergoglio invitait à aller prêcher dans les parcs publics, car c’est là que se révèle de la manière la plus explicite la présence de Dieu. »
L’archevêque de Buenos Aires prend l’exemple évangélique de Zachée: « Comme Zachée, la bonne nouvelle que le Seigneur est entré dans la ville nous dynamise et nous fait sortir dans la rue. »
Déjà le cardinal Bergoglio citait Benoît XVI: « Fait encore écho ici la question que Benoît XVI s’était posée et nous posait dans son discours d’inauguration : ‘Qu’est-ce que la réalité sans Dieu ?’ Cette même question, nous pouvons nous la poser à propos de la ville : Qu’est-ce que la ville sans Dieu ? Sans un point de référence fondateur et absolu (du moins recherché), la réalité de la ville se fragmente et se disperse en mille détails sans histoire et sans identité. Où va un regard sur la ville quand il n’est pas enraciné dans une foi ouverte au transcendantal ? Seul un regard de foi, un regard de croyant permet de voir la réalité. Sinon, la réalité se fragmente. »
Une foi capable de dialogue
Il y souligne l’importance de se connecter à une foi « enracinée », parce qu’elle permet « le dialogue avec toutes les cultures » des mégapoles: « S’il est vrai que l’on est passé d’un sujet-chrétien dont le regard était « au-dessus » de la ville, la façonnant, à un sujet plongé dans le métissage culturel et soumis à ses influences, nous avons besoin de nous reconnecter avec ce qui est ‘spécifiquement chrétien’ pour pouvoir dialoguer avec toutes les cultures : avec une culture chrétienne, enracinée dans la foi, dont la hiérarchie des valeurs nous met très à l’aise ; avec une culture païenne, dont les valeurs sont assez clairement perceptibles ; et avec une culture hybride et multiple comme celle qui est actuellement en gestation, et exige un plus grand discernement. »
Il indique une condition de cette fécondité, c’est de nourrir la foi de la Parole, d’unir contemplation et action – à la manière de l’idéal jésuite exprimé par Jérôme Nadal dans la formule « contemplatif dans l’action » (« simul ac in actione contemplativus« ) – : « Dieu vit déjà dans notre ville et nous presse – pendant que nous réfléchissons – de sortir à sa rencontre pour le découvrir, pour construire des relations de proximité, et incarner le ferment de sa Parole dans des œuvres concrètes. Le regard de foi s’élargit chaque fois que nous mettons en pratique la Parole. La contemplation se fait plus parfaite au milieu de l’action. Agir en bons citoyens – dans n’importe quelle ville – améliore la foi. Dès le début, Paul recommandait d’être de bons citoyens (Rm 13, 1). Telle est l’intuition de la valeur de l’inculturation : vivre à fond l’humain, dans toutes les cultures, dans toutes les villes, améliore le chrétien et féconde la ville (qui gagne en cœur). »
Un ferment pour un regard de citoyen
Une foi qui rend proche de l’autre: « On peut dire que le regard de la foi nous incite à aller chaque jour, et toujours plus, à la rencontre du prochain qui habite dans la ville. Il nous conduit à sortir à sa rencontre, car ce regard se nourrit dans la proximité. Il ne tolère pas la distance, pressentant que la distance brouille ce qu’il veut voir ; et la foi désire voir pour servir et aimer, et pas pour constater ou dominer. En descendant dans la rue, la foi limite la cupidité du regard dominateur, et elle aide chaque prochain concret qu’elle regarde avec le désir de servir, à mieux s’orienter vers son ‘objet propre et bien-aimé’, qui est Jésus-Christ venu dans la chair. Celui qui prétend croire en Dieu et ‘ne voit pas’ son frère se leurre. »
L’archevêque de Buenos Aires forge, pour décrire la situation des mégapoles, le concept « d’antiville », (et même « d’antivaleurs ») là où la foi est capable cependant de transformer le regard, de renverser la perspective: « À partir du constat que l’antiville grandit avec le non-regard, que la principale exclusion consiste à ne pas même pas ‘voir’ l’exclu – celui qui dort dans la rue n’est pas considéré comme une personne, mais comme faisant partie de la saleté et de l’abandon du paysage urbain, de la culture du rejet –, la ville humaine grandit par le regard qui ‘voit’ l’autre comme concitoyen. Dans ce sens, le regard de foi constitue un ferment pour un regard de citoyen. C’est pourquoi, nous pouvons parler d’un « service de la foi » : d’un service existentiel, de témoignage, pastoral. »
Le ferment et la graine de la foi
Au coeur de la mégapole, le cardinal Bergolio préconise trois attitudes spécifiques, au centre desquelles il place le témoignage de la foi: « Sortir de soi pour aller à la rencontre de l’autre, c’est-à-dire la proximité, des attitudes de proximité. Notre regard doit toujours être à la fois ‘au-delà’ et proche. Non autoréférentiel, mais transcendant.
« Le ferment et la graine de la foi, c’est-à-dire le témoignage (si, sachant ces choses, les croyants les appliquent, ils connaîtront le bonheur). Dimension de martyre de la foi.
« L’accompagnement, c’est-à-dire la patience, la persévérance (hypomonè, en grec), qui accompagne les processus sans bousculer les limites. »