France: "Le débat doit se poursuivre"

Aux catholiques après la loi sur le mariage et l’adoption

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Après la loi sur le mariage et l’adoption, le site de l’Eglise catholique en France publie ce message aux catholiques  de l’évêque du Havre, Mge Jean-Luc Brunin, président du Conseil Famille et Société (http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/message-aux-catholiques-apres-la-loi-sur-le-mariage-et-l-adoption-16483.html): « le débat doit se poursuivre ».

Ce message adressé aux communautés catholiques du diocèse du Havre est le fruit d’une relecture pastorale des moments de forte intensité vécus autour de la réforme du code civil sur le mariage et l’adoption. Elle me paraît nécessaire au vu des divergences qui se sont fait jour au sein de notre communauté diocésaine. Là où cela sera possible et souhaitable, il sera bon d’engager le dialogue autour de ces quelques réflexions que je vous livre. La démarche de dialogue entre nous permettra de nous mettre à l’écoute de l’Esprit du Christ qui nous pousse à témoigner de notre foi au Christ parmi nos contemporains. 

Depuis plusieurs mois, beaucoup d’entre vous êtes mobilisés pour exprimer votre opposition au projet de loi ouvrant le mariage aux personnes du même sexe. Je tiens à vous féliciter et vous remercier pour cet engagement au nom du sens de l’homme, de la famille et de votre foi au Christ. Vous avez cherché à engager un débat sur ces questions, bien au-delà de la seule communauté catholique. La présence de plusieurs dizaines de jeunes de la communauté musulmane du Havre qui vous ont accompagnés à Paris, témoigne que vous avez réussi à sensibiliser largement sur les enjeux de ce qui est devenu une loi de la République le mardi 23 avril dernier. 

La défense du mariage, de la famille et de l’intérêt supérieur des enfants s’inspirait de l’enseignement social de l’Eglise. L’expression de votre refus a toujours eu le souci de respecter les personnes homosexuelles. La mobilisation s’est maintenue durant plusieurs mois de façon déterminée, dans le calme et la responsabilité. Il faut ici saluer l’exemple des « veilleurs », ces jeunes qui ont cherché à enrayer les dérives violentes lors des manifestations. Ils ont donné un bel exemple d’un engagement enraciné dans une vie spirituelle. 

J’ai entendu aussi l’expression de votre déception de n’avoir pas été pris en compte. Même si la loi est validée par le Conseil Constitutionnel, le débat doit se poursuivre. Il faut pouvoir analyser ce qui s’est produit, mettre à jour les malentendus et prolonger une réflexion citoyenne sur les conditions minimales qui permettent d’assurer la cohésion sociale et de construire un vivre ensemble harmonieux et respectueux de tous. 

Comme évêque, j’ai été sensible aux clivages que ces débats ont créés dans la société et même dans la communauté catholique. Par-delà l’aspect politique de la question, les divergences d’analyse et la pluralité légitime des opinions au sein de la communauté chrétienne, je vous appelle à vous retrouver sur le témoignage qu’il nous faut rendre ensemble à l’Evangile. Il invite en permanence à prendre le parti du plus petit et du plus vulnérable. Le respect de la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu, ne se divise pas. Qu’il s’agisse de l’enfant à naître, de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son droit à vivre en famille, de l’accueil et du respect des migrants, de la solidarité avec les demandeurs d’emploi, de l’attention aux personnes malades ou handicapées, de l’accompagnement de la personne en fin de vie … En toutes ces situations, il nous faut porter ensemble témoignage à l’Evangile de la Vie. C’est l’apport singulier et irremplaçable des disciples du Christ à l’édification d’une société humaine, solidaire et fraternelle. 

Continuons à nous mobiliser ensemble pour promouvoir une « écologie humaine » qui s’attache partout à créer les conditions d’épanouissement et de respect de tout l’homme et de tous les hommes. Nous voici donc requis à adopter une nouvelle posture croyante au sein de notre société, comme le cardinal André Vingt-Trois l’indiquait dans son discours d’ouverture, lors de la dernière Assemblée des évêques de France : « Ainsi, se confirme peu à peu que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n’est plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique… C’est un profond changement d’abord pour les chrétiens eux-mêmes… Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s’accommode plus d’un vague conformisme social. Elle relève d’un choix délibéré qui nous marque dans notre différence. »

Pour assumer pleinement notre vocation chrétienne au sein de la société actuelle, des exigences se font jour avec plus de précision. Nous devons nous aider à rendre témoignage d’une vie authentiquement chrétienne et travailler à donner le goût d’une vie radicalement déterminée par l’Evangile. Ne nous bloquons pas sur une attitude refus, car tout n’est pas que politique. Il nous faut encore, par notre témoignage de vie, promouvoir une anthropologie et une éthique éclairées par l’Evangile

1) Se nourrir de la Parole et prier

Dans notre manière de vivre en chrétien, nous ne pouvons nous satisfaire de l’à peu près. Il nous faut devenir des familiers de la Parole pour nous en nourrir et la mettre en contact avec notre vie pour qu’elle la transforme. La prière doit aussi rester au cœur de notre engagement. Nous ne défendons pas une idéologie, mais nous appartenons au Christ. Notre vie doit refléter ce qu’il est venu révéler de la vérité de notre humanité sauvée. Sans la prière pour le nourrir, notre investissement personnel risque de se laisser dévoyer vers une campagne où le calcul, la ruse ou le rapport de forces risqueront de prendre le dessus. 

2) « Devenir une « communauté du oui » au sein d’une société démocratique. 

L’exercice de la démocratie suppose d’admettre dès le départ que les divergences d’opinion sont légitimes. Sur cette base, les citoyens et leurs organisations peuvent exprimer librement leur point de vue, dans le respect des autres. Chacun mérite ainsi d’être écouté et respecté dans ses convictions profondes. Le débat doit normalement permettre d’améliorer un projet de façon à recueillir l’adhésion du plus grand nombre. Le mépris, la violence verbale ou physique n’ont pas leur place dans le jeu démocratique. Ils sont, pour les chrétiens, antagoniques
avec la liberté religieuse dont ils se réclament. 

Dans son homélie du 2 mai dernier, le pape François évoquait l’Eglise comme la « communauté du oui » au sein de la société actuelle : « Demandons au Seigneur que l’Esprit-Saint nous assiste toujours pour devenir une communauté d’amour, une communauté du « oui » qui porte à suivre les commandements, une communauté qui ait toujours la  »porte ouverte »… Et qu’Il nous défende de la tentation de devenir parfois puritains, dans le sens étymologique du terme, de chercher une pureté para-évangélique, une communauté du « non »».

3) Défendre une juste position à propos de l’égalité

L’idéologie égalitariste ne permet pas de gérer positivement la reconnaissance des différences. Elle rend impossible une approche respectueuse de la singularité. Pourtant, chaque être humain est unique. Le reconnaître n’est aucunement porter atteinte au droit à l’égalité qui impose de reconnaître et de promouvoir chacun dans la vérité de son humanité. Vivre en société, c’est toujours faire vivre ensemble des personnes uniques et singulières qui se construisent dans une reconnaissance mutuelle et une interdépendance pour naître à la conscience d’une communauté de destin. Ce qui se prépare au sujet de l’adoption et de la filiation barre la route à une appropriation de la singularité de chaque enfant. On lui mentira, ou bien on brouillera la lisibilité de ses origines. L’enfant ne sera plus accueilli dans une lignée généalogique comme un don, mais on le fabriquera comme un dû ! 

4) Respecter les personnes homosexuelles

La demande de reconnaissance exprimée par une partie des personnes homosexuelles a trouvé une réponse dans l’ouverture indistincte du « mariage pour tous ». Certaines d’entre elles se plaignent cependant de n’avoir pas été vraiment écoutées et respectées dans la réponse apportée. Leur différence et leur singularité se sont trouvées niées, on les a fait entrer dans un dispositif commun et uniforme qui entravera à terme leur épanouissement dans la vérité de leur humanité. Nous ne pouvons sous-estimer les frustrations et les violences qui naissent chaque fois que les différences sont occultées. On attend du législateur qu’il crée les conditions qui garantissent à la fois le respect de la singularité des individus et les chances pour chacun d’une insertion harmonieuse dans une communauté humaine plus large, qu’elle soit familiale, nationale ou universelle. L’inscription citoyenne et les efforts pour créer du lien social s’accommodent mal de normalisations indistinctes et de formatages égalitaristes qui sont souvent à l’origine de dérives sociétales totalitaires. 

L’Eglise appelle les personnes homosexuelles comme les personnes hétérosexuelles, à vivre leur relation dans la chasteté. Il nous faut découvrir la valeur de cette attitude qui doit marquer toutes nos relations pour qu’elles soient vraiment humaines. La chasteté concerne davantage que la dimension sexuelle de la personne, elle est respect de l’autre que je ne peux jamais posséder comme un objet. Au cœur de toute relation, toujours menacée de devenir possessive, elle offre une dimension de gratuité et de respect. Les relations chastes peuvent être source de fécondité sociale. Les personnes célibataires, les personnes vivant dans le célibat consacré peuvent aussi faire l’expérience d’une fécondité d’un autre ordre que l’engendrement. Il est important pour les chrétiens, de témoigner positivement de cette attitude dans le climat ambiant d’érotisation et de libertarisme qui affecte notre société.

5) Témoigner de la valeur du mariage qui ouvre au don de la vie

Les chrétiens sont appelés à redoubler d’efforts pour témoigner de la valeur du mariage, union durable et libre entre un homme et une femme, ouverte sur la vie et offrant aux enfants un cadre éducatif stable et épanouissant. La dimension sacramentelle du mariage inclut le témoignage du bonheur de vivre en couple dans la fidélité et la joie de faire vivre une famille, cellule de base de la société et de l’Eglise. Tenir dans la fidélité entre époux et ‘faire famille’ n’est pas sans difficultés. Habitée par la Miséricorde de Dieu, tout en continuant à témoigner de la valeur des exigences de la fidélité et de l’indissolubilité du mariage, notre Eglise doit pouvoir accompagner les familles en difficulté ou en échec sur un chemin de croissance et d’épanouissement. En ce sens, j’encourage les efforts de tous les groupes et mouvements engagés au sein de la pastorale familiale du diocèse

6) Se préoccuper de l’éducation affective des jeunes

Dans une société fortement érotisée, il y a urgence à travailler à l’éducation relationnelle, affective et sexuelle des jeunes générations. Nous connaissons trop de blessés de l’amour qui se remettent difficilement d’expériences éphémères et destructrices, qui les ont rendus désabusés et parfois même désespérés. J’invite les mouvements de jeunes, les aumôneries et l’enseignement catholique à s’investir pour la formation des jeunes en ce domaine. C’est essentiel pour qu’ils puissent vivre ces dimensions de leur personnalité de façon authentiquement humaines. 

Que l’Esprit nous aide à discerner et à ouvrir les chemins du témoignage de notre foi et du service de l’Evangile au cœur de tous les débats de notre société. 

Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre 

Président du Conseil Famille et Société

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Jean-Luc Brunin

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