« Dialoguer avec l’autre en témoignant sa foi »: c’est titre de ce communiqué publié au terme de la 3° Rencontre des évêques et délégués pour les rapports avec les musulmans en Europe qui s’est tenueue à Londres (Grande-Bretagne), du 1er au 3 mai 2013, sous la houlette du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE).
Le témoignage de la foi passe nécessairement par le dialogue avec tout le monde. En Europe aujourd’hui, aussi bien à l’ouest qu’à l’est, au sud ou au nord, le dialogue entre chrétiens et musulmans devient une exigence incontournable. Cela passe forcément par une connaissance réciproque plus profonde. Seuls le dialogue et la rencontre peuvent permettre de s’approcher du croyant musulman et d’établir un contact réel, sans préjugés. Dans une société sécularisée et pluraliste, le défi de l’éducation à la diversité doit être intégré par l’approfondissement de sa propre foi et de son identité. Parallèlement, une société pluraliste existe uniquement à condition qu’il y ait un respect réciproque, dans le désir de connaître l’autre et d’alimenter un dialogue continu. Voici un certain nombre de réflexions menées par les évêques et les délégués chargés des relations avec les musulmans des Conférences épiscopales, qui se sont réunis à Londres pendant trois journées de travail.
Dialogue et annonce et La question de la construction de l’identité des jeunes chrétiens et musulmans ont été les deux sujets abordés dans le cadre de la rencontre, guidée par le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, qui a vu la participation des évêques et des délégués chargés des rapports avec les musulmans de 20 Conférences épiscopales, ainsi que des délégués d’organismes ecclésiaux ou culturels continentaux.
Don Andrea Pacini, Coordinateur de la rencontre pour le CCEE et Secrétaire de la Commission pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux de la Conférence épiscopale régionale du Piémont-Vallée d’Aoste, a abordé la question du rapport entre dialogue et annonce, en mettant en exergue le fait que le témoignage de la vie constitue la meilleure synthèse et la meilleure réponse que l’on peut apporter à ces deux exigences pastorales. La réflexion sur la construction de l’identité des jeunes chrétiens et musulmans a ensuite été présentée par Mme Brigitte Maréchal, professeur auprès de l’université de Louvain et par M. Erwin Tanner, secrétaire général de la Conférence épiscopale suisse.
À la rencontre ont pris part également le Président du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran, ainsi que le Président de la Conférence épiscopale d’Angleterre et du Pays de Galles, mons. Vincent Nichols, archevêque de Westminster.
Une visite très cordiale et particulièrement appréciée, qui s’est déroulée dans une ambiance informelle, a été celle de la Baronne Sayeeda Hussain Warsi, Ministre pour la foi et les Communautés – Section Extérieur et Commonwealth- qui témoigne de l’engagement du gouvernement britannique à l’égard des différentes communautés religieuses.
Durant les trois journées londoniennes, les participants se sont interrogés, en présentant la situation dans leurs pays respectifs, sur le phénomène des jeunes chrétiens qui vivent en minorité; sur les difficultés qu’une telle situation comporte; si, éventuellement, cela pourrait conduire à leur conversion à l’islam; si les jeunes chrétiens sont moins impliqués dans leur foi par rapport aux jeunes musulmans et, enfin, quels ont été les nouvelles initiatives mises sur pied par l’Eglise en Europe pour répondre à l’exigence de fournir de nouvelles formes de présence parmi les jeunes.
Dans le cadre de la rencontre, l’on a écouté les rapports présentés par les délégués venant d’Albanie, de France, d’Allemagne et d’Angleterre.
Voici quelques résultats découlant des réflexions, du dialogue et des témoignages présentés pendant la rencontre :
Les différentes présentations ont confirmé la grande diversité de la réalité musulmane. Non seulement l’intervention de Mme le professeur Maréchal mais aussi la présentation des expériences des différents pays, ont montré avec une grande précision cette diversité (d’origine, de courants spirituels, de propositions et d’offres qui sont adressées notamment aux jeunes musulmans). Ainsi, il n’existe pas un islam uniforme, mais plutôt des musulmans différents.
Il a été très clairement perçu qu’il est important de faire dialoguer les personnes, les jeunes et les moins jeunes, qui se situent différemment au sein de l’islam, avec d’autres membres non musulmans de la société. Une expérience qui a paru fort intéressante est celle des forums qui existent dans un certain nombre de pays, notamment en Belgique, et qui permettent de faire une bonne expérience humaine et même religieuse. En effet, il existe toujours le risque de s’approcher de l’autre et des autres avec des a priori imaginaires, alors qu’en fait la rencontre et le dialogue permettent le contact avec la réalité. C’est à partir de ces rencontres réelles que la cohabitation entre personnes de religion différente et la collaboration à de nombreux niveaux de vie sociale peuvent s’enrichir.
Les chrétiens et les musulmans auraient beaucoup à gagner d’une réflexion commune qu’ils pourraient mener sur les défis découlant d’une éducation des croyants, et notamment des jeunes croyants, dans une société qui est, en même temps, sécularisée et pluraliste. Une société où Internet, les médias sociaux et une nouvelle façon de regarder la réalité devient un défi pour les jeunes -musulmans et chrétiens- qui doivent repenser, au sein de leur propre monde, à la question du sens de la vie. Une éducation de ce genre implique, en même temps, une profonde conviction personnelle (rencontre personnelle avec Dieu, l’intelligence de sa propre foi, une vie spirituelle…) mais elle implique également la prise de conscience du fait que l’on appartient à une communauté qui soutient la foi et la vie. Ainsi, c’est par le biais d’une forte conviction personnelle, par le soutien de la communauté et l’ouverture aux autres, qu’il est possible de se laisser forger dans le dialogue.
En ce qui concerne l’éducation, il est important de proposer également une éducation à la diversité ainsi qu’un apprentissage de cette dernière. Il est fondamental de savoir vivre la diversité sans inquiétudes et sans adopter une position défensive, mais plutôt d’une façon sereine et ouverte à l’enrichissement réciproque. Ce n’est pas une donnée que l’on peut tenir pour acquise : il faut se familiariser même avec la diversité de l’autre et c’est là le seul moyen de grandir sans tomber dans le relativise ou dans le fondamentalisme.
Parmi les différentes questions que pose la présence de l’islam dans le contexte européen actuel, il y en a qui sont liées au rôle des religions dans la société. Les participants se sont demandés si l’apparition de l’islam sur la scène sociale des pays respectifs ainsi que les questions posées par les musulmans ne contraindraient pas les sociétés de l’Europe occidentale à revoir l’idéologie et la mentalité de l’homme moderne auxquelles elles étaient habituées. Et cette présence, ne pose-t-elle pas, encore une fois, la question de l’importance de la foi et de la transcendance dans une société de consommation? Alors que nous vivons dans une société de l’avoir, du faire et du consommer, nous sommes poussés par la société elle-même à récupérer l’importance de l’être et du rapport avec Dieu.
Au niveau ecclésial, ne vaudrait-il pas mieux de revoir ce qui jusqu’ici a été perçu, en quelque sorte, comme étant l’élément commun du d
ialogue interreligieux, c’est-à-dire le refus du prosélytisme ? Bien entendu, nous sommes tous d’accord pour dire que la liberté de l’autre doit être non seulement respectée mais également promue, mais si ceci est compris et vécu, d’une certaine façon, comme une manière de censurer sa propre conviction et de ne pas la partager avec les autres, cela pose un problème.
Par ailleurs, l’on observe la tentation dans un certain nombre de pays de réduire l’élément religieux à la sphère privée, en l’excluant de tout ce qui est défini comme étant l’espace public (qui est en réalité plus vaste par rapport à ce qui dépend réellement de la République ou de l’État). Il faudrait par contre réfléchir sur la dimension personnelle de la citoyenneté. L’Europe a hérité de la révolution française une conception de l’homme, vu dans son individualité, coupé de tout rapport avec sa famille, avec tout groupe… En somme, c’est un homme seul ! L’on a l’impression qu’il faille plutôt revoir cette vision individualiste de l’homme, sans cependant tomber dans une forme de communautarisme clos.
Enfin, les délégués ont voulu rappeler que l’engagement dans le dialogue interreligieux n’est pas seulement une exigence éthique qui permet de vivre mieux ensemble, mais c’est aussi une exigence spirituelle et théologale. À cette époque où le dialogue n’est pas particulièrement soutenu, il est important de s’en souvenir, afin de ne pas tomber dans le piège de penser que le dialogue est une option, ou qu’il exige une réponse immédiate… Et alors, pourquoi investir dans le dialogue? Simplement parce que pour les chrétiens le dialogue est une des dimensions ou des conséquences de la foi en un Dieu qui dialogue avec l’homme et qui est toujours le premier à franchir le premier pas. Les chrétiens sont donc appelés à relever un engagement qui soit peut-être plus gratuit, plus généreux, et qui sache faire face, parfois même, à l’absence de réponse dans le dialogue.
Le Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE) réunit les 33 Conférences Episcopales Européennes actuelles, représentées par leurs Présidents, les Archevêques de Luxembourg et de la Principauté de Monaco, l’Archevêque de Chypre des Maronites, l’Évêque de Chişinău (Rép. De Moldavie) et l’Évêque éparchial de Mukachevo. Son Président actuel est le Cardinal Péter Erdő, Archevêque d’Esztergom-Budapest, Primat de Hongrie; ses Vice-présidents sont le Cardinal Angelo Bagnasco, Archevêque de Gênes, et Mons. Józef Michalik, Archevêque de Przemyśl, Pologne. Le Secrétaire général du CCEE est Mons. Duarte da Cunha. Le siège du secrétariat se trouve à Saint-Gall (Suisse).www.ccee.eu