« La Manif pour tous » mobilise des Français de toutes sensibilités ou appartenances, philosophiques, religieuses, politiques « pour » les droits de l’enfant, et « contre » le projet de loi du gouvernement français sur le « mariage » de personnes du même sexe et l’adoption d’enfants, voire la « Procréation médicalement assistée » (PMA). C'est inédit. Quelque chose de nouveau est en train d'émerger dans la société française.
La "Manif" aura principalement lieu à Paris, dimanche prochain, 13 janvier, avec trois départs à 13h : de la Place d’Italie, de la Porte Maillot et de Denfert-Rochereau, en direction du Champ-de-Mars, aux couleurs bleu-blanc-rose. Elle rassemblera aussi des participants dans tout l’Hexagone, et hors de la Métropole, et dans différentes villes du monde comme Rome et Jérusalem ou Tokyo.
« Nous n'organisons rien 'avec' quelque religion. Mais: laïques ou religieux, venez comme vous êtes, c'est le mot d'ordre ! », insistent les organisateurs de « La Manif pour tous », contre ce projet de loi « visant à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe » (titre officiel du texte) qui arrive en discussion devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale française mardi prochain, 15 janvier 2013.
Soutien du Conseil pontifical
Cependant aujourd’hui, impossible de passer à côté de l’information sans la souligner. Le Vatican soutient la démarche des participants de "La Manif pour tous". Après le soutien de Mgr Vincenzo Paglia, président du Conseil pontifical de la Famille – « le mariage n'est pas un produit de consommation » dans un entretien avec I. Media -, arrive le soutien, « sans la moindre réserve » de Mgr Jean Laffitte, Secrétaire du même dicastère romain, aux participants à la Manifestation du 13 Janvier auxquels il adresse « un salut fraternel et chaleureux ».
Au cours d’un entretien téléphonique qu’il a accordé à l’agence Zenit, ce vendredi, 11 janvier, Mgr Laffitte a encouragé les participants en faisant observer que « les enjeux sociaux, éthiques et familiaux du projet de loi instituant un soi-disant « mariage » entre personnes de même sexe sont tels, qu’ils imposent à tout homme de bonne volonté comme aussi à tout chrétien le devoir d’exprimer, dans toute la mesure du possible, sa ferme opposition à une mesure destructrice du lien social et contraire au bien commun ».
Pour Mgr Laffitte, professeur au Centre Jean-Paul II pour les Etudes sur le mariage et la Famille, la mobilisation est un devoir au nom de cette humanité : « Tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, auront clairement défendu les valeurs les plus fondamentales de la société à laquelle ils appartiennent, pourront éprouver une fierté légitime d’avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir pour sauvegarder le patrimoine commun ». Et le mariage, ajoute-t-il, « union entre un homme et une femme, est la seule médiation possible pour fonder une famille où l’enfant peut être accueilli dans l’amour d’un père et d’une mère ».
Au nom d’une même humanité
Ainsi, les enjeux de « La Manif pour tous » dépassent donc les appartenances religieuses, philosophiques et politiques : c’est pourquoi les organisateurs ont choisi de ne pas défiler avec les banderoles des différentes associations qui vont y participer : c’est une manifestation unitaire, au nom d’une même humanité. C’est aussi la raison pour laquelle elle rassemble des chrétiens de toutes sensibilités : les Evangéliques appellent aujourd’hui à se mobiliser. L’Eglise orthodoxe a également fait entendre sa voix. Mais aussi les autres religions : le judaïsme et l’islam. Les bouddhistes seraient les seuls à approuver le projet de loi.
Les cardinaux André Vingt-Trois, archevêque de Paris, président de la conférence épiscopale, et Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, et les évêques de France ont aplani la route en tirant le signal d’alarme et en réclamant un vrai débat de société.
Violence et société
Le grand rabbin de France Gilles Bernheim a publié un essai intitulé “Mariage homosexuel, homoparentalité et adoption: ce qu’on oublie souvent de dire” (cf. Zenit du 10 novembre 2012) qui a également nourri la réflexion, au point de passer les Alpes et d’être cité par Benoît XVI dans son discours à ses troupes : le discours annuel aux cardinaux et à la curie romaine pour l’échange des vœux de Noël. C’était le 21 décembre dernier, et la citation a fait grand bruit. Depuis, le grand rabbin a été publié deux fois par L’Osservatore Romano qui a d’abord traduit un entretien publié dans La Croix et il a ensuite cité, dans l’édition de ce 11 janvier, en italien (sous le titre: “Aucune alliance entre religion et violence”), son intervention pour l’ouverture solennelle des célébrations du 50e anniversaire du Centre communautaire de Paris, le 8 janvier.On comprend pourquoi Gilles Berheim est attentif à recommander aujourd’hui d’éviter toute forme de violence dans les débats comme dans “la Manif”. Cétait le thème de la rencontre inaugurale du 8 janvier: « La spiritualité face à la violence et la terreur. Penser le religieux au XXIème siècle ». Elle était animée par Ilana Cicurel, directrice de l'enseignement à l'AIU, journaliste, en présence de Bernard-Henri Lévy, philosophe, également cité par L’Osservatore Romano.
Ils ont débattu « de la renaissance du religieux et de la recrudescence des pulsions mortifères extrêmes, du rôle de la loi, et de son déclin au profit d'une société de contrat ».
Le grand rabbin s'est interrogé sur la nécessité d'inventer « une forme nouvelle de présence de la religion dans la structure de la cité, considérant qu'il faudrait de grands efforts d’imagination, "pour que l’homme occidental échappe à l’effondrement de ses valeurs et refasse la preuve qu’elles peuvent redevenir universelles". »
Le cardinal Barbarin lui-même a averti du lien entre cet effondrement et la violence dans une société. Il manifestera à Paris dimanche, avec le président du Conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes (CRCM de sa région), Benaïssa Chana.
Une mobilisation sans précédent
C’est justement à cette universalité – qui ne gomme ni les identités, ni les altérités - que se réfère, comme l’indique son nom, « La Manif pour tous » : ce nom n’est pas un slogan vide de contenu mais un signe de ralliement.
Tugdual Derville, président de Alliance Vita, et responsable national de la mobilisation de « La Manif pour tous », a confié à Zenit que jamais il n’aurait pensé travailler avec tant de personnes d’horizons si différents. Pour lui, cette mobilisation transversale à quelque chose « d’historique ».
Dans un entretien paru ce vendredi, il fait observer une des raisons d’une telle mobilisation : « les Français ont déc ouvert que ce projet entraîne, de l’aveu même de ces promoteurs, une rupture de civilisation (…). La filiation père-mère, parité originelle, est une loi universelle qui dépasse la politique. Quels que soient nos accidents de vie, nous sommes tous nés d’un homme et d’une femme (…). Cette écologie humaine est en train de devenir une grande cause dépassant les clivages habituels ».
« La Gauche pour le mariage républicain », engagée dans le collectif "La Manif pour tous" manifeste que les clivages politiques sont aussi déplacés.
Le point de vue des enfants
Le site de « La Manif » rappelle que 63 % des Français considèrent qu’en priorité, « il faut que les enfants adoptés puissent avoir un père et une mère », contre 34% qui considèrent prioritaire « que les couples homosexuels puissent adopter des enfants », selon un sondage IFOP d’octobre 2012.
Le projet ne fait pas non plus l’unanimité chez les personnes homosexuelles. Parmi les organisateurs mobilisés, se trouve l’association « Plus gay sans mariage », dont le président, Xavier Bongibault, a affirmé, dans un débat télévisé sur France 2 le 9 janvier : « J'ai eu la chance d'avoir un père et une mère ». Ce faisant, il touche le point sensible : le point de vue des enfants.
Le cardinal Barbarin met en évidence cette réalité: « Que la loi n’organise pas une génération d’enfants auxquels manquera un père ou une mère ». D’autres indiquent la « discrimination » qui s’instaurerait entre enfants adoptés par « un papa et une maman » et les autres.
Un point de vue également souligné par des associations d’enfants adoptés (cf. Zenit du 29 novembre 2013).
Jean-Marie Guénois est allé plus loin dans Le Figaro du 9 janvier, en recueillant le témoignage de Jean-Dominique Bunel, 66 ans, opposé au projet de loi ouvrant l'adoption aux couples homosexuels. Il a décidé de « sortir du silence pour dire combien sa vie a été perturbée par le fait d'avoir eu deux mamans ».
Le journaliste annonce : « Ne cherchez pas le scandale, vous ne le trouverez pas. L'homme est posé, assis même sur une vie désormais mûre, sans rancœur excessive, mais passablement gâchée ».
Soulignant une conséquence logique de l’adoption du projet de loi, à savoir la procréation médicalement assistée, Béatrice Bourges, porte-parole du Collectif pour l'enfant, rappelle que la science la plus récente a mis en évidence les liens extraordinaires qui se tissent au niveau biologique, et pas seulement, entre la mère et l’enfant qu’elle porte. On a parlé, au cours de l’émission de « nounous prénatales » pour les « mères porteuses », mais elle a dénoncé une « marchandisation du corps de la femme ».
Le débat a été ouvert
Xavier Bongibault remarque aussi que l’on propose le mariage aux personnes homosexuelles alors qu’il est en perte de vitesse chez les couples hétérosexuels… Et surtout, explique-t-il, sa réalité « ne correspond pas » à la réalité des unions homosexuelles.
Le site « Homovox » se dit aussi contre le « mariage homosexuel » tel qu’il est présenté, soulignant qu’un couple de personnes de même sexe et un couple de personnes de sexes différents – qui peuvent transmettre la vie - ce sont deux réalités « distinctes ». Il propose l’emploi d’un autre mot - que « mariage » - qui soit « approprié pour une réalité spécifique ». Il regrette que l’on glisse vers la « suppression du Code civil » des références « au père et à la mère » qui sont « fondateurs » pour la vie, les enfants les familles. Pas convaincu non plus pour l’adoption. En tous cas, il demande un débat « apaisé », « serein », ce que garantit pas « le contexte actuel », une « réflexion sage et posée » « dans l’intérêt des enfants ». Enfin, il souligne l’erreur d'une idée reçue selon laquelle les personnes homosexuelles « penseraient pareil ». Il affirme que la sexualité ne « formate pas » le cerveau : « on en pense pas tous pareils ». Il refuse d’être enfermé dans des « clichés très étroits ».
Et qui pense que la manifestation serait « homophobe » au sens de suscitée par le rejet des personnes en raison de leur homosexualité, se heurte à l’indignation d’une Frigide Barjot – Virginie Merle-Tellene – humoriste et lobbyiste chevronnée, qui répond avec l’ironie qu’on lui connaît : « Le non-débat, la non-liberté, c'est plus fort que tout. « Vous êtes par nature homophobes » : ça, c'est dit, et comme ça, le débat est clos ».
Ici en revanche, le débat dont on craignait qu'il n'eût pas eu lieu, est ouvert. Car si le projet de loi a fédéré – contre lui- des énergies qui n’avaient jamais travaillé ensemble, fait entendre des voix qui ne s'étaient pas exprimées, il a ainsi suscité le débat, alors que ses promoteurs étaient convaincus qu’il allait dans le sens de l’évolution normale de la société, qu’il coulait de source. Et ce débat ne sera pas clos après « La Manif » de dimanche, car elle aura porté dans la rue – au delà des chiffres et du nombre - des arguments qui continueront à se faire entendre.