« Il n’est pas permis d’abandonner le poste où Dieu nous a placés », déclare Mgr Fisichella, qui exhorte les chrétiens à ne pas « s’enfermer dans les églises » mais à faire preuve « d’audace » car « l’Evangile est en mesure de transformer réellement la vie des hommes, pour peu que les croyants soient conscients de sa force et de son agir pour en avoir fait l’expérience en eux-mêmes ».
Il invite à approfondir la connaissance des contenus de la foi : « On ne peut pas être performant dans la vie professionnelle et en rester au catéchisme de la première communion s’agissant de la foi ».
Mgr Rino Fisichella, président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, est intervenu sur le thème « Pauline Jaricot, Témoin de la nouvelle évangélisation », lors de la célébration qui a conclu l’année jubilaire du 150e anniversaire de la mort de Pauline Jaricot et du 50e anniversaire du décret reconnaissant le caractère « héroïque » de ses vertus humaines et chrétiennes, le 9 janvier 2013, à Lyon (cf. Zenit du 3 janvier 2013).
Nous publions ici la deuxième partie de son intervention (cf. Zenit du 10 janvier pour la première partie).
« La crise de la foi a produit la crise de l’amour et de l’espérance. L’amour lui-même est comme humilié en n’étant plus compris comme un don total et durable de soi à la personne aimée. C’est donc que quelque chose de vraiment radical est en train de se produire dans notre petit monde. L’amour est comme la synthèse d’une existence. C’est l’amour qui suscite la foi et qui donne cette espérance avec laquelle l’avenir est regardé sereinement. L’espérance elle-même est combattue par des politiques sociales qui créent des situations de précarité qui empêchent d’envisager la création d’une famille avec la sécurité requise. Quand une seule de ces réalités est atteinte, toutes les autres sont touchées. Il est faux de croire que si l’une vient à manquer, l’autre la compense. Ce n’est que dans leur profonde unité et leur interdépendance qu’elles peuvent donner sens à la vie. Sans l’amour, c’est le doute qui s’installe à propos de l’autre, et l’individualisme devient une forme de défense. La trahison devient l’expérience la plus commune aujourd’hui et provoque le renfermement sur soi tel qu’on est incapable d’avoir confiance en l’autre. En l’absence de relations interpersonnelles, le sens de la responsabilité sociale disparait. La revendication de droits individuels – souvent le fruit d’idéologies passagères plus que de véritables droits – devient le fondement d’une liberté qui fait illusion puisque privée de rapport avec la vérité. Trompé sur le fait d’être libre, l’homme devient esclave, proie facile des modes du moment.
Un chrétien n’appartient pas à une secte, mais à une communauté. Si nous étions une secte, il serait facile d’être sauvé d’une telle condition en opposant un refus à ce monde et à cette culture. Au contraire, le christianisme est entré dans l’histoire et notre foi en Jésus nous oblige au réalisme. Le mystère de l’incarnation du Fils de Dieu – qui, il ne faut pas l’oublier constitue l’originalité propre de notre religion à l’égard de toutes les autres – signifie que Dieu entre directement dans le monde, non comme spectateur, mais comme Sauveur. Depuis toujours, nous, chrétiens, avons compris notre foi comme une présence au monde, tout en ayant conscience de ne pas être du monde. La Lettre à Diognète (II° siècle) le rappelle clairement : « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres ; ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine. Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire. Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils ont tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie. Les Juifs leur font la guerre comme à des étrangers, et les Grecs les persécutent ; ceux qui les détestent ne peuvent pas dire la cause de leur hostilité. En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde…Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter. » (Lettre à Diognète, V, 1-17 ; VI, 1.10).
Il n’est pas permis d’abandonner le poste où Dieu nous a placés. C’est pourquoi s’enfermer dans nos églises serait contradictoire. Ce serait sans doute plus facile s’il s’agissait de vivre de la nostalgie, qui nous est d’un grand secours quand il faut se démarquer de l’indifférence générale lors des grandes fêtes, et des traditions qui ont accompagné notre enfance. Agir ainsi serait rendre vaine la Pentecôte et réduire à néant la nouveauté introduite dans l’histoire par la révélation en Jésus-Christ et la foi en lui. Nous sommes porteurs d’un message qui atteint l’homme au plus intime, et qui porte la réponse définitive à la demande de sens qui habite le cœur de chacun. C’est notre paresse qui priverait l’homme contemporain de cette présence et de cet apport, et cela ne nous est pas permis. Etre « sel de la terre » (Mt 5, 13), « lumière du monde » (Mt 5, 14) ou « une ville située sur une haute montagne » (id) ne nous rend pas meilleur que les autres, mais nous oblige à une grande responsabilité et au service. A la paresse de ceux qui préfèrent ignorer les changements pour ne pas être obligés de réagir, qui préfèrent suivre leur propre chemin en prétendant suivre la voix juste et en obligeant les autres à adopter leur vision des choses, doit répondre notre audace. L’audace a ceci de propre qu’elle connait ses limites et sa faiblesse, tout en se reconnaissant animée par l’Esprit Saint pour affronter la vie et le monde avec confiance et espérance. L’Evangile est en mesure de transformer réellement la vie des hommes, pour peu que les croyants soient conscients de sa force et de son agir pour en avoir fait l’expérience en eux-mêmes.
C’est ici qu’il nous faut parler du style de vie des croyants. Selon les paroles de la Lettre à Diognète, ils « se conforment a
ux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. » Il nous faut redécouvrir ce paradoxe de telle sorte qu’apparaisse, dans notre façon de vivre, la nouveauté de l’Evangile et la joie d’avoir trouvé le sens de notre existence. Le grand défi de la nouvelle évangélisation est justement ce style de vie qui constitue notre témoignage. Il n’y a pas d’autre alternative. La force de la résurrection s’incarne dans ce changement de vie suscité par la foi chez ceux qui l’ont « vu et touché ». Les paroles de Jean sont encore pour nous une invitation pressante : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons contemplé de nos yeux, ce que nous avons vu et que nos mains ont touché… Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en communion avec nous. » (1 Jn 1, 1-3). Comme Benoit XVI l’a affirmé au cours de l’homélie au début du Synode sur la nouvelle évangélisation, il nous faut être capables, dans la pastorale ordinaire, de retrouver un esprit missionnaire. L’évangélisation est nouvelle parce que « orientée principalement vers les personnes qui, tout en étant baptisées, se sont éloignées de l’Église, et vivent sans se référer à la pratique chrétienne. »
Ce qui constitue la « pastorale ordinaire » est le langage commun de l’Eglise qu’est notre style de vie. Elle s’appuie sur la formation comme moyen incontournable pour connaitre notre foi de telle sorte que notre confession ne soit pas de l’ordre de l’évidence. On rencontre souvent des croyants ayant des compétences professionnelles avérées dans la vie culturelle ou sociale, et qui cependant n’ont pas la même connaissance des contenus de leur foi. On ne peut pas être performant dans la vie professionnelle et en rester au catéchisme de la première communion s’agissant de la foi. Ce déséquilibre n’aide pas dans la formation d’une identité croyante susceptible de répondre aux défis du moment. La catéchèse doit retrouver le rôle qu’elle a eu au cours de l’histoire, rôle tenu en grande considération au point de la rendre inséparable de la transmission de la foi. Par la catéchèse, l’Eglise exprime les développements d’une foi qui grandit au cours des temps à travers une intelligence toujours plus profonde du mystère. Par la catéchèse, sont présentées aux fidèles non seulement la richesse acquise par la communauté chrétienne pas à pas, mais aussi sa propre identité qui se développe au cours des temps en relevant les défis successifs de l’histoire. Il y a peu de domaines de la vie de l’Eglise où l’on puisse ainsi rencontrer tout à la fois le développement de la doctrine, la pratique pastorale de la communauté, et la croissance de chaque chrétien, comme cela se produit dans la catéchèse. C’est la connaissance organique de la foi qui, avec le témoignage de la vie, permet de savoir rendre compte de l’espérance qui est en nous (Cf. 1 P 3, 15) ».
A suivre…