Propos recueillis par Paul De Maeyer
Traduction d’Océane Le Gall
ROME, vendredi 4 mai 2012 (ZENIT.org) – Approfondir les enseignements du Concile Vatican II dans la perspective d’une « herméneutique de la réforme », au service de la nouvelle évangélisation et de l’Année de la foi: c’est le fil conducteur du congrès international organisé les 3 et 4 mai par la faculté de théologie de l’Université pontificale de la Sainte-Croix sur le thème : « Concile Vatican II : la valeur permanente d’une réforme pour la nouvelle évangélisation » (cf. Zenit du 2 mai 2012).
Zenit a rencontré à ce sujet le P. Miguel de Salis, professeur associé d’Ecclésiologie et œcuménisme à l’Université pontificale de la Sainte-Croix et membre du comité organisateur du congrès.
Zenit – Quelle est la spécificité de votre initiative?
P. Miguel de Salis – Outre l’herméneutique de la réforme, je dirais que ce congrès s’est donné trois buts : analyser tous les documents approuvés, écouter l’avis d’experts de différentes nationalités, et traiter les sujets dans un esprit visant plutôt la réflexion que la célébration.
Existe-t-il vraiment une « réforme » qui ait une valeur permanente?
Aucune réforme dans l’Eglise n’a une valeur permanente, si nous entendons par là quelque chose de comparable à l’Evangile ou à la présence du Christ et de l’Esprit Saint dans l’Eglise. Mais, dans un autre sens, au cours du Concile on a cherché à rendre plus accessible à l’homme moderne tout ce que Dieu a révélé. Ceci relève de la nature missionnaire de l’Eglise, et pas seulement durant le concile mais dès le jour de la Pentecôte. Bien entendu, cette orientation pastorale et missionnaire a été parfois mieux suivie, d’autres fois moins, mais celle-ci étant une constante dans le temps, nous pouvons dire qu’il s’agit de quelque chose de permanent.
Aujourd’hui on discute beaucoup du sens « pastoral » du concile. Comment interpréter cela ?
Comme une orientation favorisant l’évangélisation, comme une annonce de l’Evangile à l’homme contemporain de manière à ce qu’il puisse la comprendre. On a souvent été amenés à penser que le caractère pastoral du bienheureux Jean XXIII était une sorte de marketing du Salut : « Avant cela coûtait plus, maintenant ça coûte la moitié ». En réalité, cette spécificité pastorale tend plutôt à rendre la foi plus compréhensible, mais certes pas moins exigeante.
Une forme de réconciliation entre les deux pôles – « progressistes » et « traditionnalistes » – est-elle imaginable ?
On a souvent tendance à cataloguer comme traditionnaliste ou progressiste une réalité qui peut difficilement s’expliquer de cette manière. Il est vrai par contre qu’il existe depuis quelques années divers récits du Concile centrés sur des catégories ou thèmes différents, parfois non exempts d’idéologies. C’est un phénomène qui arrive toujours : l’histoire est racontée de manière différente selon celui qui la raconte. Ce phénomène général, lu à l’intérieur de l’histoire de l’Eglise, a eu pour effet de faire fuir les historiens du récit apologétique et d’autojustification de l’Eglise, et d’entreprendre des chemins proches du masochisme, qui se sont ensuite révélés aussi idéologiques que leurs contraires.
Ce qu’il faut aujourd’hui c’est une meilleure compétence théologique des historiens, car on ne saurait faire l’histoire de l’Eglise comme on fait l’histoire d’une nation.
Quels sont les autres écueils rencontrés par la théologie de Vatican II ?
Le concile a été étudié jusqu’à nos jours pas ses contemporains, avec tous les avantages et désavantages que cela comporte. Avantages : un meilleur accès au contexte de l’époque sans devoir faire trop de descriptions. Désavantages: trop proche dans le temps, risque de lectures idéologiques, oubli d’autres dimensions…
Il est un peu arrivé au Concile ce qui arrive aujourd’hui à notre société européenne, qui tend à analyser les problèmes personnels et ceux des rapports sociaux d’un point de vue thérapeutique – soit, comme traitement pour soigner un mal physique et non comme un manque éventuel de vertus. De la même manière, une grande part de la théologie du Concile qui s’y intéresse, tend à l’étudier d’un point de vue purement historique, sans tenir compte de la foi et du point de vue théologique.
Dans ce climat, comment envisager une « herméneutique de la réforme »?
Probablement, ceux qui veulent insister sur le dialogue avec le monde peuvent davantage penser à la réconciliation de l’Eglise avec son passé et sa mémoire, en essayant d’approfondir son identité et de se montrer plus crédibles dans ce désir légitime de dialogue avec le monde et la culture, car sans identité il n’y a pas de dialogue possible.
D’autre part, ceux qui voient comme un problème le changement entrepris par le Concile peuvent chercher à montrer à tout le monde leur désir de dire la foi à l’homme d’aujourd’hui sans s’enfermer dans une répétition sans vie. J’espère que ces deux défis pourront offrir une réponse à cet égarement de fin d’époque que l’humanité est en train de vivre.
Le pape a proclamé une Année de la foi, pour marquer les 50 ans de l’ouverture de Vatican II et il a voulu donner une impulsion à la diffusion du Catéchisme de l’Eglise catholique. Pourquoi avoir lié ces événements?
Je pense que le pape considère que le Catéchisme – et le Compendium – est en phase avec la doctrine du Concile et sa réception. Le Catéchisme a été lancé durant le Synode extraordinaire des évêques consacré précisément au bilan de la réception du Concile. Bien entendu, il s’agit d’un texte diffèrent du corpus conciliaire, et cela est normal, vu qu’il a été élaboré avec la typologie d’un grand Catéchisme. La différence des styles ne doit pas être lue comme une opposition entre eux mais appartient plutôt à la catholicité de l’Eglise, qui sait parler à divers niveaux.
Comme le Concile, le Catéchisme offre une base commune dans un monde fragmenté, avec une différence : au moment du Concile, les pères, malgré leurs différences, avaient une base théologique plutôt homogène qui, aujourd’hui, n’existe plus. Le Catéchisme est en ce sens un effort réussi d’enseignement dans la foi, mais il faut l’accueillir dans ce contexte de foi, comme un bien commun et un don à partager.
En quoi le Concile Vatican II peut-il soutenir la nouvelle évangélisation : pourquoi est-ce si important?
Le Concile a voulu dire la foi à l’homme d’aujourd’hui ou, si nous préférons, à l’homme de l’époque, mais encore aujourd’hui il n’est pas bien connu par tous. Revisiter ses textes et son histoire doctrinale peut aider à comprendre ce que l’on a cherché à faire durant ces trois années de travaux, ce que l’on a pas réussi à faire, et ce que l’on n’a pas voulu faire; et le pourquoi de telles décisions et difficultés.
Par ailleurs, un examen de l’application et de la réception des décisions peut favoriser une perception moins naïve des difficultés que nous rencontrons à nous convertir à l’annonce de l’Evangile qui nous est adressée. Aider à trouver des propositions concrètes et réalistes sera certainement une aide pour la nouvelle évangélisation.