ROME, Lundi 4 juillet 2011 (ZENIT.org) – Avec la dissolution du ministère des minorités, les chrétiens craignent plus que jamais pour leur sécurité, rapporte, dans une dépêche « Eglises d’Asie », l’agence des Missions étrangères de Paris.
Quelques mois à peine après l’assassinat de Shabhaz Bhatti (1), le ministère fédéral pour les minorités religieuses vient d’être dissous par Islamabad, ravivant les craintes des chrétiens qui voient disparaître ce que certains considéraient comme leur dernier rempart contre la montée alarmante de l’islamisme au Pakistan.
Le 1er juillet est entré en vigueur le 18e amendement, voté par le parlement puis approuvé par le gouvernement le 28 juin dernier, lequel décentralise pour les affecter aux provinces, sept fonctions ministérielles, dont le ministère fédéral pour les minorités religieuses.
L’ensemble des minorités chrétiennes, mais aussi hindoues, sikhs et ahmadis, qui subissent les conséquences de l’islamisation et de la montée de l’extrémisme au Pakistan, ont dénoncé unanimement un « amendement constitutionnel auquel elles n’avaient pris aucune part ».
Akram Masih Gill, qui s’est vu retirer aujourd’hui ses fonctions de ministre des minorités religieuses, a lui aussi bataillé en vain afin empêcher le vote de ce remaniement constitutionnel. Catholique comme son prédécesseur, il a organisé des débats au parlement et plus récemment encore de grandes manifestations regroupant les différentes minorités religieuses au Pakistan. La disparition du ministère des minorités avait déjà failli passer en force il y a quelques mois, mais avait été annulé in extremis peu avant la mort de Shahbaz Bhatti, grâce à l’intervention des États-Unis.
Pour les chrétiens, dont l’agence Fides rapporte la consternation, cette mesure, pressentie depuis l’assassinat de Shabhaz Bhatti en mars dernier, « fait disparaître de l’agenda du gouvernement central toutes les préoccupations concernant les droits des minorités ». C’est comme si l’on « assassinait Shabhaz Bhatti une deuxième fois », déplore une source locale, ajoutant que « le premier [assassinat] avait consisté en son élimination physique, et le deuxième en l’élimination de son projet et de l’héritage politique en faveur duquel il s’était tant engagé ». Un prêtre de Lahore n’hésite pas quant à lui à prédire : « Pour les fondamentalistes, ce sera un ‘feu vert’ donné à de nouvelles agressions, violences et persécutions contre les chrétiens ».
Malgré la dissolution de son ministère, Akram Gill a tenu aujourd’hui à rassurer les minorités religieuses en déclarant avoir reçu « des garanties du Premier ministre » pour que leur protection soit assurée et que soit réintégrée au sein du tout nouveau mais encore mal défini ministère fédéral pour l’harmonie interreligieuse et les droits de l’homme, une partie des fonctions de l’ancien ministère des minorités.
Dans le flot des réactions qui ont suivi l’annonce, le 29 juin, de l’adoption du 18e amendement, Nazir Bhatti, président du Pakistan Christian Congress (PCC) a dénoncé la « manœuvre prévisible » du gouvernement pour affaiblir davantage les droits des minorités. Soulignant le fait que désormais les chrétiens seraient écartés de toute législation au niveau fédéral, il a soutenu que la seule solution qui leur restaient pour ne pas être à la merci des islamistes était de créer une nouvelle province à majorité chrétienne, au sein du Penjab, où ils seraient à l’abri des conséquences du 18e amendement.
De son côté, Julius Salik, ancien ministre fédéral et président du World Minorities Alliance, une ONG de défense des droits de l’homme, a rappelé que « la présence des chrétiens au niveau fédéral était cruciale, car ils devaient faire face à la discrimination, l’injustice et la persécution, de façon permanente (…) et que ces problèmes ne pouvaient se résoudre qu’au niveau national et non pas provincial ».
Une vision des choses à laquelle ont souscrit tous les responsables des minorités religieuses, qui ont dénoncé le fait que les dynasties politiques locales, déjà très puissantes, pourront désormais nommer responsables des minorités des personnes qui leur seraient inféodées et empêcher de venir au jour bon nombre d’affaires liées aux lois anti-blasphèmes (2) et aux règlements de compte entre communautés (3).
(1) Le 2 mars 2002, Shahbaz Bhatti, 42 ans, ministre fédéral des minorités depuis 2008, catholique militant contre la loi anti-blasphème, était abattu à Islamabad au volant de sa voiture. Le meurtre avait été immédiatement revendiqué par le Tehrik-e-Taliban Pakistan, mouvement réputé proche d’Al Qaeda, qui avait accusé le ministre de s’être « opposé à la loi anti-blasphème ». Après avoir fait part il y a peu, de son intention de clore l’enquête « faute de preuves », le ministère de l’intérieur vient aujourd’hui 1er juillet, de confirmer que Shabhaz Bhatti a bien été tué par la « brigade 313 » d’Al Qaeda. Appelée également « l’armée fantôme », cette fédération de mouvements terroristes aurait chargé des membres de Tehrik-e-Islami et Ghazi Force d’exécuter le ministre. Voir EDA 540, 544, 547.
(2) Les lois anti-blasphème actuellement en vigueur au Pakistan punissent de la peine de mort toute offense faite à Mahomet, et de la prison à perpétuité toute profanation du Coran, sur la base des articles 295-B et 295-C du Code pénal. Dénoncées par les militants des droits de l’homme au Pakistan comme à l’étranger, ces lois, qui s’appuient essentiellement sur la dénonciation, n’ont cependant jamais autant été appliquées que ces derniers mois dans le pays où différentes affaires récentes ont mobilisé l’attention internationale (comme celle d’Asia Bibi condamnée à mort, et les récents assassinats de Salman Taseer et Shabhaz Bhatti). Voir EDA 538, 540, 541, 543, 544, 547.
(3) Fides, 13 mai, 30 juin, 1er juillet 2011 ; AsiaNews, 30 juin 2011 ; Ucanews, 1er juillet 2011 ; Pakistan Christian Post, 1er juillet, 30 juin 2011
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