ROME, Jeudi 19 mai 2011 (ZENIT.org) –L'Amérique latine est un continent où souffle une grande espérance et où l'Église constitue un point de référence pour son engagement dans la doctrine sociale, malgré des pouvoirs forts qui veulent la discréditer. Il manque cependant une évangélisation de la politique, et ceci freine la lutte contre la pauvreté. Ce facteur empêche de nombreuses personnes de vivre selon la dignité de Fils de Dieu ; certaines idéologies ne tiennent pas compte de cet élément, car elles nient la dimension transcendante de l’homme.
Voilà quelques unes des réflexions du cardinal Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa (Honduras) et président de Caritas Internationalis, confiées à ZENIT en marge du congrès sur les 50 ans de l’encyclique Mater et Magistra, qui s’est achevé mercredi 18 mai à Rome.
ZENIT : Quels sont les préoccupations et les espoirs de l'Église en Amérique latine?
Cardinal Rodríguez Maradiaga : Tout d’abord l’espérance y est grande car l'Église continue d’être une raison pour espérer. Ce qui est beau dans notre pays c’est que malgré la pauvreté, les difficultés et les luttes, on ne perd jamais espoir. Et ce n’est pas par simple optimisme ; l’optimisme peut découler d’une constitution psychosomatique, mais l’espérance, elle, se base sur la foi, c’est quelque chose de théologal et qui est au cœur de nos pays.
L’Eglise reste-t-elle un point de référence important pour l’Amérique latine?
Elle l’est toujours, même si des forces assez opposées veulent la discréditer. Et une des raisons est son engagement à l'égard de la doctrine sociale de l’Église.
En général, d’autres options religieuses sont très « verticalistes » et ne constituent pas un problème pour ceux qui veulent gouverner de manière injuste. L'Église catholique, elle, en revanche, a une voix solide. Il suffit de regarder le magistère des 50 dernières années, à partir de la conférence de Rio de Janeiro en 1955 et puis Medellín, Puebla, Saint-Domingue et Aparecida, pour voir qu’il y a un corps et une ligne dans le magistère social, très engagé et qui dérange certains pouvoirs.
Il s’agit donc de la discréditer. Logiquement, on s’est servi de certaines choses comme les scandales pédophiles, surtout aux Etats-Unis, pour la faire taire. Mais il y a un phénomène plutôt singulier. Sur notre continent, on n’a pas réussi à discréditer la voix du magistère, car il y a un engagement à l'égard des pauvres que le pauvre perçoit même s’il ne raisonne pas dessus.
Un engagement qui n’est pas politique mais qui appartient à la doctrine sociale catholique?
Exactement, car de nombreux changements doivent intervenir, et l'Église a cherché à faire comprendre à la population que le changement est nécessaire.
Dans ce congrès quelle est l’espérance de cette analyse?
Les participants, très nombreux, sont directement impliqués dans la doctrine sociale de l'Église, dans son étude et dans son application. Je crois qu’ils seront tous des multiplicateurs pour que le message de ces jours-ci puisse être appliqué.
Les murs, les idéologies, sont tombés... Le message de la doctrine sociale catholique pourrait bénéficier d'avantages vu que certains voudraient relier celle-ci à des idéologies politiques, dont certaines n’existent plus?
Il en est ainsi et je crois que c’est très important. Bien entendu, nous aussi nous devons faire un examen de conscience. A mon avis, l’évangélisation des hommes politiques et de la politique n’a pas été suffisante. C’est la raison pour laquelle certains changements sont en retard. Mais il est clair que notre doctrine sociale de l'Église n’est pas une idéologie, car les idéologies passent, tombent, sont remplacées par d’autres. L'Église veut apporter sa contribution mais elle veut mettre aussi en discussion les ambigüités de ces idéologies.
Le point central de la doctrine social de l'Église est la dignité humaine. Quelle relation y-a-t-il entre la pauvreté et la dignité de la personne humaine?
Je dirais que la pauvreté est une situation injuste, qui ne permet pas aux autres humains de vivre de manière conforme à la dignité de Fils de Dieu. La pauvreté est donc un mal qu’il faut essayer d’extirper. Si vous vous souvenez des fameux Objectifs du Millénaire aux Nations unies, parfois la pauvreté est utilisée pour tout, et je crois que, malheureusement, cet objectif est resté lettre morte, car je n’ai pas vu plus d’efforts pour réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015
Mais certains profitent de la lutte contre la pauvreté pour passer directement au plan idéologique, sans tenir compte de la dignité de la personne humaine...
Effectivement, cela suscite peu d'intérêt alors que le centre de la doctrine sociale de l'Église est la dignité de la personne humaine qui provient du fait que l’on est des fils de Dieu. Si nous observons l’idéal de la Révolution française (liberté, égalité, fraternité), un système a voulu une liberté sans égalité, le capitalisme ; un autre a voulu l’égalité sans la liberté, le communisme ; la fraternité ne vient de nul part. Car la fraternité ne peut s’atteindre qu’en reconnaissant que nous sommes les fils du même Dieu, et que nous avons donc un même Père et que nous sommes frères. Sans la dimension transcendante l’humanisme s’appauvrit et se trouve réduit à une idéologie.