Comment est née l’amitié de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger ?

Entretien de Benoît XVI à la TV polonaise, 16 octobre 2005

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ROME, Jeudi 28 avril 2011 (ZENIT.org) – Comment est née l’amitié de Karol Wojtyla et Joseph Ratzinger ? Benoît XVI en a parlé en 2005, à l’occasion de l’anniversaire de l’élection de Jean-Paul II, le 16 octobre, à l’occasion de la « Journée Jean-Paul II » célébrée en Pologne chaque année à cette date.

Benoît XVI répondait aux questions de Andrzej Majewski, responsable des émissions catholiques pour la télévision publique polonaise

Voici les principaux passages de cet entretien exceptionnel:

A. Majewski – Saint Père, comment est née cette amitié et quand votre Sainteté a-t-elle connu le Cardinal Karol Wojtyla?

Benoît XVI – Personnellement, j’ai fait sa connaissance lors des deux pré-conclave et conclave de 1978. J’avais naturellement entendu parler du Cardinal Wojtyla, au départ surtout dans le contexte de l’échange de lettres entre les évêques polonais et allemands, en 1965. Les cardinaux allemands m’ont raconté combien le mérite et la contribution de l’Archevêque de Cracovie étaient grands et qu’il était vraiment l’âme de cette correspondance réellement historique. J’avais également eu écho, par des amis universitaires, de sa philosophie et de sa stature de penseur. Mais comme je l’ai dit, la première rencontre personnelle a eu lieu lors du conclave de 1978. Dès le départ, j’ai éprouvé une grande sympathie et, grâce à Dieu, sans l’avoir méritée, j’ai reçu dès le début le don de son amitié. Je suis reconnaissant de cette confiance qu’il m’a accordée, sans que je le mérite. Surtout en le voyant prier, j’ai vu et pas seulement compris, j’ai vu que c’était un homme de Dieu. Telle était l’impression fondamentale: un homme qui vit avec Dieu, et même en Dieu. Ensuite, j’ai été impressionné par sa cordialité sans préjugés vis-à-vis de moi. Au cours de ces rencontres du pré-conclave des cardinaux, il a pris plusieurs fois la parole et, là, j’ai eu l’occasion d’apprécier l’envergure du penseur. Ainsi était née, en toute simplicité, une amitié qui venait vraiment du cœur et, juste après son élection, le Pape m’a appelé plusieurs fois à Rome pour des entretiens et, à la fin, il m’a nommé préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi.

A. Majewski – Donc, cette nomination et cette convocation à Rome n’ont pas été une surprise?

Benoît XVI – Pour moi c’était un peu difficile, parce que depuis le début de mon épiscopat à Munich, par la consécration comme évêque dans la cathédrale de la ville, il y avait pour moi comme une obligation, presque un mariage avec ce diocèse, et ils avaient aussi souligné que j’étais, depuis dès décennies, le premier évêque originaire du diocèse. Je me sentais donc très engagé et lié à ce diocèse. Puis il y avait des problèmes difficiles qui n’étaient pas encore résolus, et je ne voulais pas quitter le diocèse avec des problèmes non résolus. J’ai discuté de tout cela avec le Saint Père, avec cette grande ouverture et avec cette confiance qu’avait le Saint Père, qui était très paternel à mon égard. Il m’a alors donné le temps de réfléchir, lui-même voulait réfléchir. Il a fini par me convaincre, parce que c’était la volonté de Dieu. J’ai pu ainsi accepter cet appel et cette grande responsabilité, pas facile, qui en soi dépassait mes capacités. Mais confiant dans la bienveillance paternelle du Pape et guidé par l’Esprit Saint, j’ai pu dire oui.

A. Majewski – Cette expérience dura plus de vingt ans…

Benoît XVI – Oui, je suis arrivé en février 1982 et elle a duré jusqu’à la mort du Pape, en 2005.

A. Majewski – Quels sont, selon vous, Saint Père, les points les plus significatifs du pontificat de Jean Paul II?

Benoît XVI – Je dirais que l’on peut adopter deux points de vue: un externe, sur le monde, et un interne, sur l’Eglise. En ce qui concerne le monde, il me semble que le Saint Père, avec ses discours, sa personne, sa présence, sa capacité de convaincre, a créé une nouvelle sensibilité pour les valeurs morales, pour l’importance de la religion dans le monde. Cela a entraîné une nouvelle ouverture, une nouvelle sensibilité pour les problèmes de la religion, pour la nécessité de la dimension religieuse chez l’homme et, par dessus tout, l’importance de l’Evêque de Rome s’est accrue de manière inimaginable. Tous les chrétiens, malgré les différences et malgré leur non reconnaissance du successeur de Saint Pierre, ont reconnu qu’il était le porte parole de la chrétienté. Personne d’autre au monde, ne peut parler ainsi au nom de la chrétienté au niveau mondial ni donner voix et force à la réalité chrétienne dans l’actualité du monde. Mais aussi pour la non-chrétienté et pour les autres religions, c’était lui, le porte parole des grandes valeurs de l’humanité. Il faut aussi dire qu’il est parvenu à créer un climat de dialogue entre les grandes religions et un sens commun des responsabilités à l’égard du monde, mais aussi que les violences et les religions sont incompatibles et que, ensemble, nous devons chercher le chemin de la paix, dans le cadre de notre responsabilité commune de l’humanité.

En ce qui concerne par ailleurs la situation de l’Eglise. Je dirais que, avant tout, il a su susciter l’enthousiasme des jeunes pour le Christ. Il s’agit d’une chose nouvelle, si nous pensons à la jeunesse de 1968 et des années 70. Seule une personne aussi charismatique pouvait susciter l’enthousiasme de la jeunesse pour le Christ et pour l’Eglise, ainsi que pour des valeurs exigeantes, lui seul pouvait réussir de cette façon à mobiliser la jeunesse du monde pour la cause de Dieu et pour l’amour du Christ. Il a créé dans l’Eglise, je pense, un nouvel amour pour l’Eucharistie . Nous sommes encore dans l’année de l’Eucharistie, qu’il a voulue avec tant d’amour; il a créé une nouvelle perception de la grandeur de la Divine Miséricorde ; et il a aussi beaucoup approfondi l’amour pour la Sainte Vierge , et il nous a ainsi conduits à une intériorisation de la foi et, en même temps, à une plus grande efficacité. Naturellement, il importe de mentionner également, comme nous le savons tous, sa contribution aux grands changements dans le monde en 1989, à l’effondrement du soi-disant socialisme réel.

A. Majewski – Au cours de vos rencontres personnelles et des entretiens avec Jean Paul II, qu’est-ce qui vous impressionnait le plus? Votre Sainteté, pourriez-vous nous raconter vos dernières rencontres avec lui, celles de cette année, peut-être?

Benoît XVI – Oui, nos deux dernières rencontres ont eu lieu, la première, à la polyclinique Gemelli , aux alentours du 5-6 février; et la deuxième, la veille de sa mort, dans sa chambre. Lors de la première rencontre, le Pape souffrait visiblement, mais il était pleinement lucide et très présent. J’y étais allé simplement pour un entretien de travail, parce que j’avais besoin qu’il prenne quelques décisions. Le Saint Père, bien que souffrant, suivait avec grande attention ce que je disais. Il me communiqua ses décisions en peu de mots, me donna sa bénédiction, me salua en allemand, tout en m’accordant sa pleine confiance et son amitié. Pour moi, cela a été très émouvant de voir, d’une part, qu’il souffrait en union avec le Seigneur souffrant, qu’il portait sa souffrance avec le Seigneur et pour le Seigneur; et, d’autre part, de voir qu’ il resplendissait d’une sérénité intérieure et d’une lucidité complète.

La seconde rencontre a eu lieu le jour précédant sa mort: il était manifestement plus souffrant, entouré de médecins et d’amis. Il était encore très lucide, il m’a donné sa bénédiction. Il ne pouvait plus parler beaucoup. Pour moi, cette patience dans la souffrance qui fut la sienne a été un grand enseignement; surtout de voir et de sentir combien il était entre les mains de Dieu et comment il s’abandonnait à la
volonté de Dieu. Malgré les douleurs visibles, il était serein, parce qu’il était entre les mains de l’Amour Divin.

A. Majewski – Très Saint Père, vous évoquez souvent dans vos discours le souvenir de Jean Paul II, et vous dites que c’était un grand Pape, un prédécesseur regretté et vénéré. Nous pensons toujours à vos paroles prononcées lors de la messe du 20 avril dernier, des paroles spécialement dédiées à Jean-Paul II. C’est vous, Saint Père, qui avez dit, je cite: « c’est comme s’il me tenait fortement par la main, je vois ses yeux rieurs et j’entends les paroles, qu’il m’adresse en particulier: ‘N’aie pas peur!’ ». Saint Père, une question très personnelle: continuez-vous à sentir la présence de Jean-Paul II, et si oui, de quelle manière?

Benoît XVI – Certainement, je commence par répondre à la première partie de votre question. En parlant de l’héritage du Pape tout à l’heure, j’ai oublié de parler des nombreux documents qu’il nous a laissés – 14 encycliques, beaucoup de lettres pastorales et tant d’autres – et tout ceci représente un patrimoine richissime qui n’est pas encore suffisamment assimilé dans l’Eglise. Je pense que j’ai pour mission essentielle et personnelle de ne pas promulguer de nombreux nouveaux documents mais de faire en sorte que ces documents soient assimilés, car ils constituent un trésor très riche , ils sont l’authentique interprétation de Vatican II . Nous savons que le Pape était l’homme du Concile, qu’il avait assimilé intérieurement l’esprit et le lettre du Concile et, par ces textes, il nous fait vraiment comprendre ce que voulait et ce que ne voulait pas le Concile. Il nous aide à être véritablement Eglise de notre temps et des temps futurs.

A présent, j’en viens à la deuxième partie de votre question. Le Pape est toujours à mes côtés par ses textes: je l’entends et le vois parler, et je peux rester en dialogue continu avec le Saint Père, parce qu’il me parle toujours avec ces mots; je connais également l’origine de beaucoup de textes, et je me souviens des dialogues que nous avons eu sur l’un ou l’autre d’entre eux. Je peux poursuivre le dialogue avec le Saint Père. Naturellement, cette proximité qui passe par les mots est une proximité non seulement avec les textes, mais avec la personne, derrière les textes j’entends le Pape lui-même. Un homme qui va auprès du Seigneur, qui ne s’éloigne pas: de plus en plus je sens qu’un homme qui va auprès du Seigneur se rapproche encore davantage et je sens que, par le Seigneur, il est proche de moi, parce que je suis proche du Seigneur. Je suis proche du Pape et lui, maintenant, m’aide à être près du Seigneur et je cherche à entrer dans son climat de prière, d’amour du Seigneur, d’amour de la Sainte Vierge et je m’en remets à ses prières. Il y a également un dialogue permanent et aussi un « être proches », sous une forme nouvelle, mais une forme très profonde .

(…)

A. Majewski – Saint Père, au nom de tous les téléspectateurs, je vous remercie de tout cœur pour cette interview. Merci, Saint Père.

Benoît XVI – Merci à vous.

[Traduction réalisée par Radio Vatican]
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ZENIT Staff

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