La « somnolence » de l’humanité à Getsémani : lecture de Benoît XVI

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Le « drame de l’humanité » vécu par le Christ à Gethsémani

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ROME, Jeudi 21 avril 2011 (ZENIT.org) – En ce Jeudi Saint, qui se conclura par la méditation de l’Agonie de Jésus au Jardin des Oliviers, à Getsémani, Benoît XVI invite à méditer sur la « sommolence » des apôtres, une « sommolence » des chrétiens aujorud’hui que le pape interprète ainsi : « C’est un manque de sensibilité pour Dieu : telle est notre véritable somnolence ; ce manque de sensibilité pour la présence de Dieu qui nous rend insensibles également au mal ».

Le pape a en effet beaucoup développé, mercredi, lors de l’audience générale d’hier, cette méditation qui n’est pas sans rappeler les accents de saint Maxime le Confesseur sur les deux volontés du Fils manifestées à Getsémani : la volonté humaine et la volonté divine (Cf. Zenit du 20 avril 2011 pour le texte intégral).

Appel à la vigilance

Le pape actualise cette méditation en appel à la vigilance pour aujourd’hui aussi en disant : « Conscient de sa mort imminente sur la croix, Il ressent une profonde angoisse et l’approche de la mort. Dans cette situation, apparaît également un élément de grande importance pour toute l’Eglise. Jésus dit aux siens : demeurez ici et veillez ; et cet appel à la vigilance concerne précisément ce moment d’angoisse, de menace, au cours duquel arrivera le traître, mais il concerne toute l’histoire de l’Eglise ».

Le pape montre que cet avertissement résonne dans tous les siècles de l’histoire des hommes : « C’est un message permanent pour tous les temps, car la somnolence des disciples était le problème non seulement de ce moment, mais est le problème de toute l’histoire ».

Mais en quoi consistent ce sommeil et cette veille ? se demande le pape.

Et de répondre : « Je dirais que la somnolence des disciples tout au long de l’histoire est un certain manque de sensibilité de l’âme pour le pouvoir du mal, un manque de sensibilité pour tout le mal du monde. Nous ne voulons pas nous laisser trop troubler par ces choses, nous voulons les oublier : nous pensons que ce ne sera peut-être pas si grave, et nous oublions ».

Manque de sensibilité pour Dieu

« Et il ne s’agit pas seulement, insiste Benoît XVI, de manque de sensibilité pour le mal, alors que nous devrions veiller pour faire le bien, pour lutter pour la force du bien. C’est un manque de sensibilité pour Dieu : telle est notre véritable somnolence ; ce manque de sensibilité pour la présence de Dieu qui nous rend insensibles également au mal ».

Le pape diagnostique les raisons de cette « insensibilité pour Dieu » : « Nous ne sentons pas Dieu – cela nous dérangerait – et ainsi, nous ne sentons pas non plus naturellement la force du mal et nous restons sur le chemin de notre confort ».

Il voit donc dans la pratique de l’Adoration eucharistique du Jeudi Saint un remède, un témoignage rendu à la « présence de Dieu dans le monde » : « L’adoration nocturne du Jeudi saint, la vigilance avec le Seigneur, devrait être précisément le moment pour nous faire réfléchir sur la somnolence des disciples, des défenseurs de Jésus, des apôtres, de nous, qui ne voyons pas, qui ne voulons pas voir toute la force du mal, et qui ne voulons pas entrer dans sa passion pour le bien, pour la présence de Dieu dans le monde, pour l’amour du prochain et de Dieu ».

Le Christ ressent l’abîme du mal

Dans leur sommolence, les apôtres – Pierre, Jacques et Jean – « entendent le refrain de cette prière du Seigneur : « Que soit faite non pas ma volonté, mais ta volonté » ».

« Qu’est-ce que ma volonté, qu’est-ce que ta volonté dont parle le Seigneur? », interroge le pape. Il y lit ce combat intérieur de l’Homme-Dieu : « ‘Ma volonté’ est ‘qu’il ne devrait pas mourir’, que lui soit épargnée la coupe de la souffrance : c’est la volonté humaine, de la nature humaine, et le Christ ressent, avec toute la conscience de son être, la vie, l’abîme de la mort, la terreur du néant, cette menace de la souffrance ».

Ce n’est pas seulement la réaction « naturelle » de l’humanité face à la souffrance : « Et Lui, plus que nous, qui avons cette aversion naturelle pour la mort, cette peur naturelle de la mort, encore plus que nous, il ressent l’abîme du mal. Il ressent, avec la mort, également toute la souffrance de l’humanité. Il sent que tout cela est la coupe qu’il doit boire, qu’il doit s’obliger à boire, il doit accepter le mal du monde, tout ce qui est terrible, l’aversion pour Dieu, tout le péché ».

Le pape rappelle que c’est là – Maxime le Confesseur l’a mis en évidence – que l’ont lit comment la volonté humaine de Jésus s’unit à la volonté divine : « Et nous pouvons comprendre que Jésus, avec son âme humaine, est terrorisé face à cette réalité, qu’il perçoit dans toute sa cruauté : ma volonté serait de ne pas boire cette coupe, mais ma volonté est soumise à ta volonté, à la volonté de Dieu, à la volonté du Père, qui est également la véritable volonté du Fils. Et ainsi, Jésus transforme, dans cette prière, l’aversion naturelle, l’aversion pour la coupe, pour sa mission de mourir pour nous; il transforme sa volonté naturelle en volonté de Dieu, dans un «oui» à la volonté de Dieu ».

Le drame de l’humanité 

Pour Benoît XVI c’est aussi le « drame de l’humanité » : « L’homme en soi est tenté de s’opposer à la volonté de Dieu, d’avoir l’intention de suivre sa propre volonté, de se sentir libre uniquement s’il est autonome; il oppose sa propre autonomie contre l’hétéronomie de suivre la volonté de Dieu ».

Un impasse semble-t-il, mais le pape indique le bon usage de la liberté en refusant cette fausse alternative, sur la voie indiquée par le Christ  : « Mais en vérité, cette autonomie est fausse et cette obéissance à la volonté de Dieu n’est pas une opposition à soi-même, n’est pas un esclavage qui viole ma volonté, mais cela signifie entrer dans la vérité et dans l’amour, dans le bien. Et Jésus tire notre volonté, qui s’oppose à la volonté de Dieu, qui cherche l’autonomie, il tire notre volonté vers le haut, vers la volonté de Dieu. »

Là se joue la rédemption de l’humanité, explique Benoît XVI : « Tel est le drame de notre rédemption, que Jésus tire vers le haut notre volonté, toute notre aversion pour la volonté de Dieu et notre aversion pour la mort et le péché, et l’unit à la volonté du Père: «Non pas ma volonté mais la tienne». Dans cette transformation du «non» en «oui», dans cette insertion de la volonté de la créature dans la volonté du Père, il transforme l’humanité et nous rachète. Et il nous invite à entrer dans son mouvement: sortir de notre «non» et entrer dans le «oui» du Fils. Ma volonté existe, mais la volonté du Père est décisive, car elle est la vérité et l’amour ».

Le sacerdoce du Christ

Le pape conclut sa méditation de Gethsémani par une méditation sur l’exclamation de Jésus « Abba ! », « Père ! » et sur le sacerdoce: « La parole juive ou araméenne avec laquelle le Seigneur a parlé au Père, il l’a appelé «Abba», père. Mais cette formule, «Abba», est une forme familière du terme père, une forme qui s’utilise uniquement en famille, qui n’a jamais été utilisée à l’égard de Dieu. Ici, nous voyons dans l’intimité de Jésus comment il parle en famille, il parle vraiment comme un Fils à son Père. Nous voyons le mystère trinitaire: le Fils qui parle avec le Père et rachète l’humanité ».

A propos du sacerdoce – dont l’Eglise rappelle aujourd’hui l’institution – le pape rapproche cette méditation de l’Agonie de la Lettre aux Hébreux qui parle des « cris », des « larmes », des « souffrances » et des « supplications » de Jésus grand-prêtre : « C’est précisément dans ce drame de Gethsémani, où il sembl
e que la force de Dieu ne soit plus présente, que Jésus réalise la fonction du Souverain Prêtre. Et il dit en outre que dans cet acte d’obéissance, c’est-à-dire de conformation de la volonté naturelle humaine à la volonté de Dieu, il est perfectionné comme prêtre. (…) C’est précisément ainsi qu’il devient réellement le Souverain Prêtre de l’humanité et ouvre ainsi le ciel et la porte à la résurrection ».

Jésus, conclut le pape n’est pas un « philosophe » impassible devant la souffrance et la mort : « Si nous réfléchissons sur ce drame de Gethsémani, nous pouvons voir aussi le fort contraste entre Jésus avec son angoisse, avec sa souffrance, et le grand philosophe Socrate, qui reste pacifique, et ne se laisse pas perturber face à la mort. Cela semble l’idéal. Nous pouvons admirer ce philosophe, mais la mission de Jésus était une autre ».

Le pape évoque à nouveau le « drame » de l’humanité, vécu et traversé par le Christ : « Sa mission n’était pas cette totale indifférence et liberté ; sa mission était de porter en soi toute notre souffrance, tout le drame humain. Et c’est pourquoi précisément cette humiliation de Gethsémani est essentielle pour la mission de l’Homme-Dieu. Il porte en lui-même notre souffrance, notre pauvreté, et il la transforme selon la volonté de Dieu. Et il ouvre ainsi les portes du ciel, il ouvre le ciel : ce rideau du Très Saint, que jusqu’alors l’homme a fermé contre Dieu, est ouvert à cause de cette souffrance et de cette obéissance ».

Anita S. Bourdin

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ZENIT Staff

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