ROME, Mardi 19 avril 2011 (ZENIT.org) – « Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection » : le P. Yves Simoens, sj, professeur au Centre Sèvres et à l’Institut biblique pontifical, à Rome, offre au lecteur de Zenit cette recension du livre-événement de Joseph Ratzinger-Benoît XVI (Éditions du Rocher, Groupe Parole et Silence, 2011).
En harmonie avec cette semaine sainte, et le triduum qui s’ouvrira le Jeudi Saint, le P. Simoens fait observer que le chapitre 5 : « La dernière Cène », s’avère « central dans l’ouvrage » : il « apparaît comme le plus important et le plus élaboré, ce qui ne surprend pas quand on connaît le soin extrême apporté à l’Eucharistie par Benoît XVI ».
« Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection »
lecture par le P. Yves Simoens, sj
Un Avant-propos commence par établir le lien entre le premier et le deuxième volume de cette œuvre. Une évidence pour Benoît XVI ne ralliera sans doute pas tous les suffrages : « En deux cents ans de travail exégétique, l’interprétation historico-critique a désormais donné tout ce qu’elle avait d’essentiel à donner » (8). L’affirmation offre l’avantage d’être claire et de manifester le propos de passer à autre chose ! Il s’agit d’honorer certains principes herméneutiques de la constitution dogmatique Dei Verbum de Vatican II, trop peu exploités. On ne peut qu’être d’accord avec ce souci.
Les deux premiers chapitres consacrés à l’ « Entrée à Jérusalem et purification du Temple » et au « discours eschatologique de Jésus » posent aussitôt des questions de fond du point de vue historique, à savoir le rapport de Jésus et des premiers chrétiens avec le judaïsme. Dès ces chapitres, l’évangile selon Jean sert de fil conducteur. Avec la montée de Jésus vers Jérusalem, le rapport est aussitôt montré entre les événements racontés dans les évangiles et l’Ancien Testament. Dès les premières pages, l’auteur part de ce rapport permanent à l’Ancien Testament pour déployer son acte de lecture théologique des textes. Beaucoup d’études exégétiques de l’un et l’autre Testament s’en tiennent à une séparation des domaines et même cherchent à creuser le fossé entre eux. Benoît XVI assume cette limite en la dépassant. C’est au profit de la saveur spirituelle de ses pages, inspirée de l’herméneutique patristique, vivifiée par les acquits de la modernité. Les diverses interprétations de « la purification du Temple » sont analysées avec justesse. Le fait de prendre en compte la tradition johannique permet de cerner l’enjeu de l’épisode, qui pointe vers la Croix et la Résurrection de Jésus. On cherchera pourtant en vain dans saint Jean et dans le Nouveau Testament le concept de « nouveau Temple » (35, 37, 55, 115, 240 et passim), évoqué dans le livre comme dans bien des textes conciliaires et dans la littérature exégétique, toutes confessions confondues. Le paradoxe veut qu’en relativisant le Temple à sa personne, Jésus, dans le même acte, attribue à cette institution le plus beau titre qui lui jamais été décerné de « maison de mon Père » (Jn 2,16). Toute interprétation postérieure de la destruction du Temple en 70 comme accomplissement d’une prophétie de Jésus s’en trouve conjurée.
« Le discours eschatologique de Jésus » est reconnu comme « le texte le plus difficile des Évangiles » (43). Puisque le texte de Marc sert de base à l’investigation, Mc 13,20 aurait mérité un traitement plus exhaustif. Central dans tout le discours, cité allusivement (48), il fournit la clé de la lecture théologique des événements, dans le sens du salut de toute chair grâce à un abrégement des jours par le Seigneur. Quel autre événement que celui de la Croix peut être évoqué par là ? C’est bien en ce sens que s’oriente la lecture proposée, mais elle aurait mérité d’être mieux affûtée encore. Des implications catéchétiques et théologiques s’en dégagent, surtout par rapport aux Juifs, à la lumière de la théologie paulinienne en Rm 11 et d’auteurs de la Tradition comme Bernard de Clairvaux (61). La différence entre eschatologie et apocalyptique est expliquée pour aboutir à d’utiles formulations du genre : « Les paroles apocalyptiques de Jésus n’ont rien à voir avec la clairvoyance » (68).
Les chapitres 3 et 4, consacrés au lavement des pieds et à la prière sacerdotale, honorent encore le quatrième évangile, en faisant droit à l’interprétation johannique de la Cène, de l’Eucharistie et du mystère pascal tout entier. Ils sont d’allure plus cursive que les chapitres précédents, plus techniques. « Ce qui compte c’est l’insertion de notre moi dans le sien (« ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ vit en moi » Ga 2,20) » (85). La prière de Jn 17 est envisagée à la lumière d’une étude d’André Feuillet qui a fait date (1972), ce qui ne plaira pas à tous parce qu’elle entérine en la fondant une conception du sacerdoce sans doute trop liée au sacerdoce ministériel et trop peu ouvert au sacerdoce commun des fidèles, pour reprendre une distinction bien postérieure à la rédaction du texte johannique. De même, la théologie de Jn 17, alignée sur l’épître aux Hébreux, peut poser question. Cette épître devrait permettre aussi de critiquer la terminologie du « sacerdoce » au profit du « presbytérat », plus conforme au Nouveau Testament. Mais l’articulation entre l’Ancien et le Nouveau Testament est mise à profit pour entrer au plus vif de certains axes de la prière.
Le chapitre 5 : « La dernière Cène », central dans l’ouvrage, apparaît comme le plus important et le plus élaboré, ce qui ne surprend pas quand on connaît le soin extrême apporté à l’Eucharistie par Benoît XVI. « C’est seulement du fond de la particularité de la conscience personnelle de Jésus que celle-ci (la tradition de la Cène) pouvait naître. Lui (Jésus) seul était en mesure de nouer aussi souverainement les fils de la Loi et des Prophètes – en totale fidélité à l’Écriture et dans la totale nouveauté de son être de Fils » (149). La synthèse est magistrale et devrait contribuer à apaiser des tensions survenues ces derniers temps en matière œcuménique.
Depuis ce sommet, le chapitre 6 : « Gethsémani », nous ramène au récit de l’agonie. À travers le dédale du récit des Synoptiques, le fil rouge johannique continue à être suivi pour ne pas se perdre dans les détails. La lecture théologique dégage le dessein de réconciliation qui se réalise. Les prises de position dans la traduction ne manquent pas non plus, notamment pour Jn 19,13 : « Finalement Pilate s’assied sur le siège du juge » ; jusque dans sa dernière édition de 2010, la TOB traduit : « Pilate fit asseoir Jésus sur l’estrade », ce qui n’est guère suivi à l’heure actuelle.
Le chapitre 8 : « Le crucifiement et la mise au tombeau », s’ouvre sur une « réflexion préliminaire : parole et événement dans le récit de la Passion ». Il s’agit de réfléchir sur l’articulation des événements de la Passion et de la mort de Jésus avec l’Ancien Testament représenté par le Ps 22 et Is 52,13-53,12, le Chant du Serviteur Souffrant. La méditation s’attarde au : « J’ai soif » de Jn 19,28, aux femmes et à la mère auprès de la Croix. L’épisode du coup de lance (Jn 19,34) bénéficie de la valorisation qui convient. Ces pages vigoureuses, éclairantes, gagnent à être intériorisées.
Le chapitre 9 : « La Résurrection de Jésus d’entre les morts », s’ouvre à son tour par : « Ce qui est en jeu dans la Résurrection de Jésus ». « La lecture nouvelle de l’Écriture ne pouvait commencer, évidemment, qu’après la Résurrection, parce que c’est seulement en raison de celle-ci que Jésus a été accrédité comme envoyé de Dieu »(279). Ce genre de propositions font sortir d’un hi
storicisme irritant et lassant. Un résumé condense « la nature de la Résurrection et sa signification historique ». Il appellerait des nuances, mais le ton catéchétique et pastoral employé laisse place à des ouvertures et approfondissements toujours possibles.
Le titre de la conclusion donne le ton : « Perspective. Il est monté au ciel. Il siège à la droite de Dieu le Père et il reviendra dans la gloire ». Les évangiles, surtout Luc, sont relus sous l’angle de l’espérance eschatologique, toujours en lien avec l’Ancien Testament. Cette conclusion ne fait que reprendre celle de l’évangile de Luc pour terminer sur une note de joie : « Jésus, en bénissant, tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne » (330). Une bibliographie sélective, renvoyée à la fin de l’ouvrage, facilite la lecture des chapitres en offrant de multiples pistes pour en poursuivre l’étude.
Voilà donc la théologie, la doctrine chrétienne, l’enseignement du magistère suprême de la Tradition catholique recentrés sur la personne de « Jésus de Nazareth » à la lumière des Écritures. Le christianisme, c’est le Christ. Comment communiquer ce souffle aux institutions de l’Église, telles qu’elles fonctionnent et parfois végètent dans la Tradition catholique ? Benoît XVI nous dit que ce ne sera jamais que par un retour à l’Évangile, à la condition d’être assez inventifs pour y correspondre autant que possible. Nous portons ce trésor dans des vases fragiles (2 Co 4,7). Cette fragilité même n’est-elle pas une garantie de la vérité à vivre pour mieux la transmettre ? Puisse cette assurance de Benoît XVI être aussi la nôtre !
© Yves Simoens, s.j.
Centre Sèvres. Facultés jésuites de Paris
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