ROME, Dimanche 14 novembre 2010 (ZENIT.org) – Trois ans ont passé depuis que le Myanmar (ex-Birmanie) a fait la une des journaux avec la violente répression par la junte militaire au pouvoir contre les manifestations en faveur de la démocratie, guidées par des moines bouddhistes.
Aujourd’hui, le pays se prépare à vivre des élections nationales, plutôt rares, prévues pour le mois prochain, même si la communauté internationale ne s’attend pas précisément à un grand moment de démocratie. C’est dans ce contexte que Sœur Veronica Nwe Ni Moe et ses religieuses salésiennes construisent l’Eglise, un enfant à la fois.
Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », Soeur Veronica évoque le travail accompli par les Salésiennes au Myanmar, ainsi que ses propres efforts pour poursuivre ses études à Rome.
Q : Sœur Véronique, vous travaillez beaucoup avec les jeunes. Vous étudiez en ce moment à Rome et votre centre d’intérêt est l’éducation. Quels sont les défis auxquels sont confrontés les jeunes en Birmanie ?
Sœur Veronica : Je suis une religieuse salésienne, et nous voyons beaucoup de jeunes filles venir à nous. Nous avons un centre de formation pour jeunes filles de 15 à 25 ans, qui viennent de diverses paroisses. Issues pour la plupart de groupes ethniques différents. Elles n’ont ni avenir ni guide.
Le centre du pays est majoritairement bouddhiste, les régions frontalières sont beaucoup plus catholiques. Comment se fait-il que votre famille soit catholique dans une région à majorité bouddhiste ?
Ma mère est de la tribu karen des régions frontalières et, au Myanmar, les « tribals » comme nous les appelons, sont catholiques, en majorité.
Pouvez-vous nous expliquer la situation dans les régions frontalières ?
Nous ignorons le véritable motif de cette politique répressive du gouvernement contre les tribus. Ce que je peux dire, c’est que les personnes innocentes, particulièrement les jeunes, qui se trouvent prises entre deux feux, souffrent. Elles sont contraintes de transporter nourriture et armes et sont constamment en mouvement. Il n’y a pas de stabilité et l’éducation est inexistante, ou du moins ne constitue pas une priorité.
La plupart des filles sont également exploitées ou abusées par diverses personnes, en particulier dans les régions frontalières. Il n’y a donc pas d’avenir pour ces jeunes filles, ni pour les garçons, en dépit de leurs talents variés. Nous dispensons un enseignement à celles qui se présentent à nous, et elles apprennent ainsi à utiliser leur créativité. Quand je suis devenue religieuse, je suis restée trois ans avec les filles. Pendant cette période, j’ai réalisé qu’elles m’avaient également beaucoup appris.
Par exemple ?
Etre simple. Se contenter de ce qu’on a. Le bonheur ne réside pas dans les choses matérielles qu’on possède, mais dans la vie vécue. Une vie d’engagement et d’honnêteté, qui leur procure cette joie.
Il doit être douloureux pour vous d’être témoin à la souffrance de ces jeunes ?
Bien sûr. Je souffre. Nous sommes éducatrices et notre congrégation possède à travers le monde ses propres écoles, centres de jeunes, oratoires et nous sommes libres, mais pas au Myanmar. Ce que je commence par faire, c’est prier pour ces jeunes filles, et ensuite je me donne sans réserve pour les éduquer et leur enseigner à être de bonnes mères chrétiennes pour qu’elles puissent transmettre leur foi à leurs enfants.
Est-il possible d’ouvrir des écoles, même de petites écoles de village dans ces zones ?
Nous avons une maternelle avec 100 enfants, pour la plupart bouddhistes. Travailler avec les bouddhistes n’est pas difficile parce qu’ils sont très pacifiques et les parents apprécient notre travail. Il est facile de travailler en collaboration avec les parents.
Mais, jusqu’à présent, vous n’avez ouvert qu’une seule maternelle. Qu’est-ce qui vous empêche d’en ouvrir davantage ? La guerre ?
Avant tout, le petit nombre de sœurs salésiennes en Birmanie. Nous ne sommes que 21 pour le moment, même si notre nombre est en augmentation. Nous avons 16 à 17 aspirantes, huit postulantes et neuf novices ; nous progressons. Ce petit nombre nous freine, car nous aimerions donner cent pour cent de nous-mêmes. Et le faire bien ! Nous avons quatre maisons au Myanmar, dans lesquelles sont réparties les 21 sœurs.
Comment se présente la relation quotidienne entre catholiques et bouddhistes ?
Elle est très pacifique. Par exemple, dans le village où je suis née, sur les 800 familles, huit sont catholiques et nous sommes tous parents. De même que tous mes amis sont pour la plupart bouddhistes. Nous vivons en paix ; c’est la norme. Les moines bouddhistes sont bons et compatissants.
Sœur Véronique, dans le cadre de l’évangélisation de l’Eglise, il y a des jeunes appelés « Zeeman ». Qui sont-ils et que font-ils ?
Ce sont de jeunes catholiques missionnaires, âgés de 18 ans et plus ; ils sont donc très jeunes. Ils offrent trois ans de leur vie à leurs diocèses. Ils vont dans les lieux les plus reculés – dans les montagnes et les forêts – se mettre au service de leurs diocèses. Leur objectif principal est le service et l’œuvre caritative dans l’éducation, la santé, l’assistance aux personnes âgées. Ils ne catéchisent pas, mais si les gens leur posent des questions sur Jésus et la foi, ils partagent leur foi. Ils réalisent ce service, parfois au péril de leur vie ; parfois ils succombent à la maladie, contractée fréquemment au cours de leurs déplacements dans la jungle. C’est un service très important, car souvent les religieux et les prêtres ne peuvent pas visiter ces lieux.
Combien de temps partent-ils et combien leur faut-il de temps pour atteindre un village dans ces montagnes ?
Deux de nos sœurs salésiennes ont effectué ce service avant de devenir religieuses ; leur vocation salésienne est née de ce service « zeeman ». Je sais qu’il leur fallait beaucoup de temps pour atteindre des lieux très reculés ; par exemple, même en voiture, elles peuvent mettre trois jours pour parvenir à destination, en visitant fréquemment des villages très pauvres, et souvent aussi sans nourriture. Il leur arrivait de vivre avec les habitants des villages.
Sœur Véronique, pouvez-vous nous dire un mot de votre vocation ?
Quand j’étais jeune, je n’ai jamais pensé à devenir religieuse. Je voulais être médecin pour soigner les malades. Je me suis donnée beaucoup de peine pour étudier parce que, dans mon pays, être médecin exige énormément de travail. Quand j’avais dix ans, je voulais aussi étudier l’informatique et l’anglais. Mon père à ce moment-là, dans les années 1997-1998, avait fait la connaissance de sœurs salésiennes missionnaires. Il en avait rencontré deux et avait été frappé par leur joie et leur esprit d’accueil. Un jour, à son retour de la ville, il m’a demandé si je voulais étudier avec elles. J’ai accepté et il m’a accompagné.
Durant mon séjour chez elles, j’ai commencé à me poser des questions, et à être témoin de leur joie en dépit des difficultés. J’avais 17 à 18 ans à cette époque, et j’étais à la recherche du vrai bonheur dans la vie. Je leur ai souvent demandé pourquoi elles étaient toujours si heureuses, alors qu’il n’en était pas toujours de même pour moi. Par la suite, j’ai compris que leur véritable bonheur était d’aimer Dieu et de servir le prochain. A présent, je le sais. C’est la recherche du vrai bonheur qui m’a conduite à suivre la voie salésienne ; ressentir la joie de servir et d’aider à éduquer ces jeunes.
Sœur Véronique, vous êtes ici à Rome pour étudier. Qu’est-ce qui vous a conduite ici ?
Tout d’abord, l’obéissanc
e à ma supérieure. On m’a demandé d’étudier et de me préparer pour ma future mission. En second lieu, ma supérieure m’a informée qu’elle avait reçu une bourse d’études de l’Aide à l’Eglise en détresse. L’AED m’a octroyé une bourse de 5 ans. Je lui en suis très reconnaissante. J’ai également prié pour tous ceux qui m’ont aidée dans mes études, ma formation ; je m’en souviens toujours, et je suis intimement convaincue que si je ne sais rien, je ne peux rien partager. Je peux partager seulement ce que je sais et ce que j’ai appris. La chose la plus importante que je peux partager à mon retour, c’est l’amour de Dieu. La chose la plus précieuse de toutes et dont nous avons bien besoin.
Et maintenant vous voyez en quelque sorte que les fruits de vos efforts : votre éducation, vos langues ; à présent, vous êtes à Rome pour terminer vos études et bientôt vous serez de retour au Myanmar, n’est-ce pas ? Sœur Véronique, quelle est votre espérance pour l’Eglise au Myanmar ?
Je suis pleine d’espoir. Je vois un très bel avenir pour l’Eglise catholique en Birmanie. Tout d’abord, parce qu’on note une augmentation du nombre des jeunes qui, de nature, sont très généreux. L’autre raison est que l’Eglise catholique est connue pour sa charité, et pour être très proche des pauvres. Nous voulons poursuivre avec cette force et cette mission – joie, pauvreté et service des pauvres. Je crois également en la grâce de Dieu. Dieu est à l’œuvre en nous et par nous, et à travers notre engagement pour les fidèles.
Propos recueillis pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
Sur le Net :
Pour plus d’information : www.WhereGodWeeps.org
– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org
– Aide à l’Eglise en détresse Belgique
– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org
– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch