ROME, Jeudi 29 juillet 2010 (ZENIT.org) – Dans cet entretien, le cardinal Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa et président de Caritas Internationalis, partage avec les lecteurs de ZENIT une série de réflexions sur l’institution caritative catholique dont il est le président, sur la justice et le document publié à l’issue de la Conférence générale de l’Episcopat latino-américain et des Caraïbes, qui s’est tenue à Aparecida en 2007. Nous publions ci-dessous la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit du 28 juillet.
Quel est le rôle du bénévolat au sein de Caritas ?
Cardinal Rodríguez Maradiaga : Il est central. Caritas n’existerait pas sans le bénévolat : pour beaucoup, en effet, Caritas n’est là que pour les secours d’urgence ; ils en font partie, mais la fonction principale de la Caritas est d’éduquer chaque chrétien aux dimensions sociales de l’amour, montrer qu’on ne peut pas s’enfermer pour vivre son christianisme de façon individualiste. Tous les programmes éducatifs constituent une priorité, et toutes les Caritas ont élaboré des programmes de formation et d’éducation pour les chrétiens ; l’idéal serait que toutes les paroisses puissent organiser également leur pastorale sociale, dans laquelle entre Caritas.
Quelles sont les caractéristiques de la Caritas du 21e siècle ?
Les mêmes que depuis le début, parce que Caritas est amour, l’amour ne change pas, mais doit plutôt croître. S’il devait y avoir une caractéristique, elle devrait être que maintenant nous aimions plus qu’avant, car dans les choses de l’argent, celui qui a beaucoup d’argent et donne beaucoup d’argent ne reste pas sans rien ; dans les choses de l’amour, celui qui a beaucoup et donne beaucoup a chaque jour davantage. Le Plan de Dieu est que devant la Création nous soyons des gestionnaires, devant Dieu, des enfants, et devant le prochain, des frères. Le monde voit en Dieu un ennemi, dans le prochain un adversaire, il voit la création avec un sentiment d’exploitation. Alors cela doit changer, nous devons être plus co-responsables, plus solidaires, plus remplis d’amour.
A Aparecida, on a parlé d’un changement d’époque. Trois ans après Aparecida, que pensez-vous de l’appel à la Mission permanente ?
Elle va son chemin à un rythme variable ; dans certains endroits, la première année a été consacrée à l’examen du document, et pendant cette étape j’ai pu constater des progrès dans de nombreux diocèses, et aussi de l’indifférence dans d’autres. Certains ne sont toujours pas au courant d’Aparecida.
J’aimerais que nous ressentions tous ce besoin de le vivre, car il s’agit d’un document précieux, dans lequel nous voyons l’inspiration du Seigneur. On a déjà procédé au lancement officiel de la Mission Continentale, qui sera un processus. Dans certains endroits, il donne de bons fruits, notamment la co-responsabilité ente les diocèses : nous ne pouvons envisager le diocèse comme un enclos entouré de haies où personne ne peut bouger, les frontières de l’amour ne sont pas des barrières. Sur notre continent, nous avons davantage conscience d’être co-responsables.
Le projet reposera essentiellement sur le zèle pastoral des évêques et des prêtres : en effet, les laïcs sont prêts, mais nous avons besoin de pasteurs qui soient remplis du coeur de saint Paul : « Malheur à moi si je n’évangélise pas ! ».
Il est un sujet important : la conversion pastorale…
Pour moi, c’est une des choses géniales d’Aparecida, qui met le doigt sur la plaie. Après Vatican II, nous avons saisi certaines choses, or nous continuons exactement comme avant. Il s’avère que le Saint Esprit ne fonctionne pas de cette façon. La première chose que fait l’Esprit est de nous désinstaller, un prêtre dans une paroisse faisant toujours la même chose finit par ne rien faire, parce que ce changement d’époque exige que nous fassions des choses différentes.
A Santiago du Chili, un sondage a été effectué ; dans une école, on a demandé aux enfants de dessiner une église, il y avait un dénominateur commun : toutes les églises étaient fermées, le curé n’apparaissait jamais. Là précisément, les enfants nous apprennent beaucoup, je crois qu’on ne peut pas continuer à faire toujours la même chose.
Aparecida met l’accent sur la formation dans la foi, autrement dit la catéchèse, et c’est là que se situe une lacune de la pastorale. Dans mes paroisses, j’ai demandé : « Comment se passe l’éducation à la foi ? » Et les uns de s’exclamer : « Qu’est-ce que c’est ? » et les autres : « Nous n’avons pas de collèges catholiques ».
Selon l’Eglise, le curé est le premier responsable de l’éducation dans la foi de ses fidèles, et le Directoire catéchétique général nous dit que l’éducation de la foi doit s’effectuer de façon systématique et progressive ; ce qui ne se fait pas, la catéchèse est épisodique et pré sacramentelle, et souvent elle est tellement élémentaire. Il y a des catéchistes qui sont des personnes très bien mais qui proposent une préparation médiocre. Une des lignes de la conversion pastorale est que le curé se sente le premier responsable de la formation de ses fidèles. Il n’y a toujours aucune prise de conscience de cela.
Dans de nombreux pays, l’Eglise est devenue clientéliste, n’est-ce pas ?
Le continent tout entier est confronté à ce problème, nous attendons que l’on vienne à nous, et ils viennent de moins en moins car les gens ne sont pas motivés. Le moment est venu de sortir, de nous montrer. Nous devons amener le Seigneur dans leurs environnements, et c’est là l’un des grands défauts de la pastorale : nous ne parvenons pas à évangéliser la politique et les hommes politiques, aussi lorsque certains qui se disent bons chrétiens entrent en politique, la première chose qu’ils font est d’oublier l’Evangile.
J’ai fondé une université catholique qui compte maintenant 14 000 élèves. A grand peine, nous avons créé une faculté de sciences politiques et personne ne s’est inscrit, parce qu’on ne considère pas que pour être politique il faut une formation. Tout le monde croit qu’il suffit de connaître toutes les astuces. Le problème en suspens est la formation d’hommes politiques authentiques. Il n’y a pas beaucoup de politiques disposés à donner leur vie pour le Royaume, mais il n’en manque pas pour succomber devant l’argent facile. Quand il s’agit de durer au pouvoir, alors peu importe si on marche sur une constitution. Nous sommes encore des novices face à la politique du bien commun.
Propos recueillis par Jaime Septién et Omar Arcega
Traduit de l’espagnol par E. de Lavigne