ROME, Mercredi 14 juillet 2010 (ZENIT.org) – « Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et ses saints parents Louis et Zélie : voilà une splendide lumière pour cette ville, pour la France et pour toute l’Église », a fait observer le cardinal Antonelli, dimanche dernier, à Alençon.
A l’occasion de la fête des bienheureux Louis et Zélie Martin, parents de sainte Thérèse de Liieux, le cardinal Ennio Antonelli, président du conseil pontificla poru la Famille a prononcé, à Alençon, dimanche, 11 juillet l’homélie suivant, publiée en français par le site du diocèse de Sées (cf. Zenit du 13 juillet 2010).
Fête des Bienheureux Louis et Zélie Martin
Homélie du cardinal Antonelli à Alençon 10 juillet 2010
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et ses saints parents Louis et Zélie : voilà une splendide lumière pour cette ville, pour la France et pour toute l’Église. Les saints, avant d’être des protecteurs à invoquer, avant d’être des modèles à imiter, sont des signes de la présence de Dieu et du Christ au milieu de nous. En eux, comme nous l’enseigne le Concile Vatican II, « Dieu manifeste aux hommes, dans une vive lumière, sa présence et son visage » (LG 50). Il constitue le signe le plus transparent que le Christ est vivant et est présent maintenant dans l’histoire. Ils sont motifs de crédibilité, de joie et de louange à Dieu : « C’est Lui, le Dieu d’Israël, qui donne au peuple force et puissance. Béni soit Dieu !» (Ps 67,36).
La sainteté est tout d’abord un don qui descend, et ensuite un engagement qui monte. Nos mérites sont des dons de Dieu reçus, qui nous disposent à en accueillir d’autres. « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5) a dit Jésus. Personne mieux que Sainte Thérèse, reconnue comme Docteur de l’Église pour avoir enseigné la spiritualité de la ‘petite voie’, a perçu la primauté absolue de la grâce et de la miséricorde divine : « Il suffit de reconnaître son néant et de s’abandonner comme un enfant dans les bras du Bon Dieu » (L 226); « Je vous demande, ô mon Dieu, d’être Vous-même ma Sainteté. […] Je veux donc recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même » (Pre 6) ; « Seigneur […] vous savez bien que jamais je ne pourrais aimer mes sœurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne les aimiez encore en moi […] plus je suis unie à lui, plus aussi j’aime toutes mes sœurs » (Ms C, 12v°). Pour Thérèse, l’amour gratuit du prochain, avant d’être un commandement que nous observons, est un don que nous accueillons et qui manifeste la présence de Dieu Amour et Miséricorde.
Sur l’amour du prochain nous avons entendu dans l’Évangile la parabole du Bon Samaritain. Jésus élargit le concept du prochain que comprenaient ses contemporains : pour Lui le prochain est tout homme que l’on rencontre. Et à chaque homme que l’on rencontre Il commande de faire le bien concret : «Va, et fais de même ». Implicitement toutefois, cette parabole est aussi un portrait de Jésus lui-même.
Les autorités et les élites religieuses considéraient Jésus comme un hérétique pareil aux Samaritains ; selon eux il n’observait pas le Sabbat, il voulait abolir le culte du Temple, il faisait des miracles par la puissance du démon pour tromper le peuple et subvertir la religion : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et un possédé ? » (Jn 8,48). Avec cette parabole, Jésus semble vouloir repousser cette accusation ; il semble vouloir dire : « vous êtes des gardiens zélés de la loi et du temple ; mais comme le prêtre et le lévite de la parabole, qui font mine de ne pas voir l’infortuné, vous êtes insensibles devant les souffrances du prochain ; vous ne l’aidez pas concrètement et vous ne l’aimez pas ; par conséquent vous n’aimez pas Dieu non plus et vous ne faites pas sa volonté. Vous dites ‘je suis un Samaritain’, mais vous devez reconnaître que je suis compatissant envers tous ceux qui souffrent, qui sont opprimés par la maladie, le péché, la faim, l’injustice, la violence, la mort ; vous devez reconnaître que je fais le bien et que j’apporte la vie ». De fait, les premiers disciples eurent l’impression que Jésus développait une puissance miraculeuse, bienveillante, miséricordieuse, libératrice, dispensatrice de vie. « Dieu a consacré Jésus de Nazareth de l’Esprit Saint et de Puissance, lui qui a passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable ; car Dieu était avec lui » (Ac 10,38). Ainsi s’exprime Pierre dans son discours dans la maison du centurion Corneille. Il n’est donc pas surprenant que les Pères de l’Église aient vu en Jésus le Samaritain de toute l’humanité. Clément d’Alexandrie écrit par exemple : « Et qui est ce Samaritain sinon le Sauveur même ? Ou encore qui nous fait plus grande miséricorde à nous qui sommes quasiment morts de par les puissances des ténèbres, chargés de nos blessures, nos peurs, nos désirs, nos colères, nos tristesses, nos vols, nos plaisirs ? De ces blessures, Jésus seul est médecin ; lui seul éradique les vices par leurs racines » (Clément d’Alexandrie, Qui dives 29).
Le Christ, Bon Samaritain du genre humain, n’est pas seulement un modèle à imiter. Il ne nous donne pas seulement l’exemple ; mais il nous rend participants de son amour même, en nous communicant son Esprit Saint. C’est sa grâce qui nous rend capables d’aimer. Quand nous aimons les autres et les aidons de manière désintéressée, et aussi avec l’esprit de sacrifice, c’est le Christ qui nous anime par le don de l’Esprit et qui aime avec nous et en nous.
L’Apôtre Jean, dans sa Première Lettre, écrit : « Aimons-nous les uns les autres, parce que l’amour est de Dieu : celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1Jn 4,7). Ce lui qui aime participe à la vie du Fils de Dieu ; c’est pourquoi lui aussi est engendré comme fils et connaît Dieu par expérience et non de manière abstraite par ouï dire. Jésus, le Fils unique, vient vivre en lui, il vient agir et se manifester dans le monde à travers lui.
En donnant aux autres notre amour gratuit, nous transmettons aux autres aussi la charité du Christ ; nous permettons au Christ de les rencontrer et de les attirer à Lui. Mère Teresa de Calcutta, Missionnaire de la Charité, écrit à propos d’elle-même et de ses sœurs : « Nous mettons nos mains, nos yeux et notre cœur à la disposition du Christ, pour qu’Il agisse par nous » ; « Ne cherchons pas à imposer aux autres notre foi. Cherchons seulement à faire en sorte que les pauvres, quelles que soient leurs croyances, en nous voyant, se sentent attirés vers le Christ ». Évangéliser, c’est, en définitive, partager et rayonner l’amour du Christ pour tous les hommes et pour tout ce qui est authentiquement humain ; ce n’est pas conquérir, c’est attirer.
Surtout aujourd’hui, à une époque de crise des doctrines et des idéologies, l’expérience concrète est plus persuasive que les discours. « les hommes de notre époque, parfois inconsciemment, demandent aux croyants d’aujourd’hui non seulement de ‘parler’ du Christ, mais en un sens de le leur faire ‘voir’ » (Novo Millennio Ineunte, 16), indiquait le Pape Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Novo Millenio Ineunte à la fin du Grand Jubilé. Il me plaît de pouvoir confirmer cette affirmation en citant la prière trouvée dans le journal d’un jeune Italien, abandonné par ses parents, qui a été élevé dans un collège et est mort d’un accident à 16 ans : « Seigneur, si tu existes, pourquoi ne te fais-tu pas voir à moi ? Peut-être est-ce trop te demander ?[…] On dit que l’amour est une preuve de ton existence ; peut-être est-ce pour cela que je ne t’ai pas rencontré : je n’ai jamais été aimé au point de pou
voir sentir ta présence. Seigneur, fais-moi connaître un amour qui me conduise à toi, un amour sincère, désintéressé, fidèle et généreux, qui soit quelque peu ton image ».
Des questions existentielles comme celle-là interpellent la responsabilité de nous autres Chrétiens. Nous pouvons témoigner de la présence du Christ dans la mesure où, animés de l’Esprit, nous prendrons soin des pauvres et des souffrants comme le Bon Samaritain ; dans la mesure où, dans la communauté ecclésiale et dans nos familles, nous vivrons l’amour réciproque, en nous souvenant de la prière ultime de Jésus au Père : « qu’ils soient tous un […] en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21).
Il semble aujourd’hui que les familles chrétiennes, convaincues et heureuses de l’être, en lesquelles se vit l’amour un et indissoluble, fidèles et capables de pardon, prêtes à accepter de nombreux enfants, y compris éventuellement handicapés, engagées sérieusement dans leur éducation, ouvertes à l’hospitalité et à la collaboration au dehors de la famille, sobres dans la prospérité et solides dans l’adversité, soient véritablement un signe crédible du Christ. Un tel témoignage à contre courant ne laisserait pas indifférent, mais interpellerait efficacement les consciences. A ce propos Jean-Paul II mentionnait très justement dans sa lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente : « d’une manière toute spéciale, on devra s’employer à reconnaître l’héroïcité des vertus d’hommes et de femmes qui ont réalisé leur vocation chrétienne dans le mariage » (TMA 37). La béatification de Louis et Zélie Martin répond parfaitement à cette affirmation.
Nous avons besoin de saints comme protecteurs à invoquer, comme modèles à imiter, et surtout comme signes transparents de la présence de l’amour du Christ. C’est la sainteté qui rend crédible et fructueuse l’évangélisation, parce que, comme on l’a dit, « seule une flamme peut allumer une autre flamme » (Léon Harmel).
Ennio card. Antonelli