ROME, Lundi 5 juillet 2010 (ZENIT.org) – Caritas Pakistan rend un rapport accablant sur les enfants pakistanais utilisés comme jockeys pour les courses de chameaux, annonce « Eglises d’Asie », l’agence des Missions étrangères de Paris.
« Caritas Pakistan » s’apprête à rendre public un rapport sur les enfants pakistanais pris dans des réseaux d’exploitation en tant que jockeys pour les courses de chameaux (ou plus exactement de dromadaires), très prisées dans les Emirats arabes unis (EAU).
« La plupart des jeunes victimes que nous avons rencontrées avaient été envoyées par leurs parents pour gagner de l’argent à l’étranger, explique Amir Irfan, coordinateur national de programme pour Caritas Pakistan (1). Il étaient affamés afin de garder un faible poids, torturés s’ils montaient mal le chameau et revenaient au Pakistan méconnaissables. »
Ce triste constat n’est pas nouveau. Voilà des années que Caritas Internationalis et ses différentes branches des pays d’Asie concernés luttent contre cette forme particulièrement dangereuse et traumatisante de traite des enfants. Ce qui en revanche est alarmant est la certitude à laquelle conduit le rapport de Pakistan Caritas (mené de 2009 à 2010) : alors qu’il est interdit et désormais encadré par des conventions internationales, le trafic se poursuit et des milliers d’enfants pakistanais continuent d’être exploités aux Emirats arabes unis (EAU) comme jockeys dans les courses de chameaux.
L’étude de Caritas Pakistan s’est portée sur les régions rurales de la province du Sind, qui fournissent la plupart de ces futurs jockeys. L’ONG y développe un travail de sensibilisation de la population aux dangers du trafic d’êtres humains, et dénonce les conditions inhumaines réservées aux enfants, qu’ils soient envoyés par des parents naïvement désireux de leur faire gagner un peu d’argent, vendus ou kidnappés. Les bons jockeys étant les plus légers, les enfants, qui ont entre 3 et 10 ans, sont volontairement sous-alimentés, forcés d’avaler des pilules laxatives ou de subir des injections pour freiner la croissance et garder un poids inférieur à 20 kg. Certains meurent des suites de lésions irréversibles dues à la privation d’eau et de nourriture. Les anciens jockeys rescapés racontent l’enfer d’un travail dépassant les 15 heures par jour, et des sévices, en cas de défaite en compétition, allant des décharges électriques aux abus sexuels. Bon nombre d’entre eux se blessent gravement ou meurent lors des courses de chameaux elles-mêmes, connues pour leur dangerosité. Les plus jeunes racontent que leurs jambes, trop petites, étaient attachées au chameau par des bandes velcro.
En 2005 pourtant, sous la pression de nombreuses ONG et en particulier de l’UNICEF, les EAU ont adopté une loi fédérale interdisant la traite des enfants de moins de 18 ans pour les courses de chameaux. Une loi qui n’a fait en réalité qu’entériner l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant dont les EAU sont signataires. Toujours en 2005, les EAU se sont engagés auprès de l’UNICEF à rapatrier et à dédommager les enfants jockeys. Quelque 3.000 enfants venus majoritairement du Pakistan, de l’Inde, du Soudan et du Bangladesh ont été ainsi ramenés dans leurs pays d’origine, suivis de quelques milliers d’autres, les années suivantes. Mais dès la fin de 2005, de nouveaux rapports d’ONG et des enquêteurs de l’OIT (2) indiquaient que le recours à des enfants jockeys pour les courses de chameaux se poursuivait, les propriétaires des « écuries » étant des familles puissantes ne faisant jamais l’objet de poursuites judiciaires et organisant des courses « privées » afin de contourner la loi (3).
Caritas Pakistan continue donc de recueillir d’anciens enfants jockeys pour aider à leur réinsertion. La plupart du temps, les enfants, partis très petits, ne se souviennent plus de leurs familles et il est difficile de les retrouver. Un travail de sensibilisation de l’entourage est ensuite nécessaire, notamment afin de faire comprendre les avantages à permettre aux enfants d’être éduqués. Pour ces anciennes victimes de la traite, Caritas Pakistan a mis en place des programmes d’éducation et de réinsertion professionnelle dans de nombreux villages de la province du Sind.
« L’esclavage est la pire forme de trafic d’êtres humains qui existe dans le pays », a déclaré la secrétaire exécutive de Caritas Pakistan, Anila Gill, à une centaine d’étudiants et professeurs du très réputé Forman Christian College de Lahore, suivant une session intitulée : « Trafic d’êtres humains et esclavage des temps modernes », le 30 juin dernier. Elle a ensuite engagé l’assistance à communiquer largement, dans leurs institutions d’éducation et leurs églises, sur ce problème et à propos de l’exploitation des enfants.
Le rapport 2010 du département d’Etat américain sur le trafic d’êtres humains, « Trafficking in persons report », publié le 14 juin dernier, a placé le Pakistan au stade 2 de son classement mondial. Ce stade correspond aux pays dont le gouvernement n’a pas pleinement respecté les termes de la Convention sur la protection des victimes de trafic d’êtres humains mais sont considérés comme ayant fait des efforts significatifs dans ce sens.
(1) Ucanews, 2 juillet 2010.
(2) L’Organisation internationale du Travail (OIT, ILO pour l’acronyme anglais) est l’agence tripartite de l’ONU « qui rassemble gouvernements, employeurs et travailleurs de ses Etats membres dans une action commune pour promouvoir le travail décent à travers le monde ». Une branche de l’OIT est consacrée à l’élimination du travail des enfants selon les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée en 1989 (application de la déclaration des droits de l’enfant adoptée par l’ONU en 1959). Par ailleurs, la protection des droits des enfants est également rattachée au Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
(3) En 2006, l’émir de Dubaï et son frère ont fait l’objet d’une plainte pour esclavage après la parution du rapport du département d’Etat américain de lutte contre le trafic d’êtres humains de 2005, lequel décrivait le fonctionnement des réseaux de kidnapping et les conditions de vie inhumaines des enfants des « écuries » de l’émir. Le 30 juillet 2007, la justice de Miami, qui avait été saisie de la plainte, a déclaré que l’émir de Dubaï ne pourrait pas être poursuivi, estimant que l’affaire n’était pas du ressort de la justice américaine. La plainte, collective, avait été déposée par un grand cabinet d’avocats américains, l’émir possédant des propriétés en Floride.
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