Chypre : Conférence de presse de Benoît XVI dans l’avion Rome-Paphos

ROME, Lundi 7 juin 2010 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte des questions que les journalistes ont posées au pape dans l’avion qui le conduisait de Rome à Paphos pour son voyage apostolique à Chypre (4-6 juin), ainsi que les réponses de Benoît XVI. Les questions ont été adressées au nom des journalistes par le père Federico Lombardi, s.j., directeur de la Salle de presse du Saint-Siège :

Q – Votre Sainteté, nous vous remercions d’être avec nous, comme à chaque voyage, et de nous offrir votre parole pour guider notre attention en ces jours, qui seront si intenses. Naturellement, la première question revêt malheureusement un caractère obligatoire, en raison de l’événement qui nous a frappés si douloureusement hier, l’assassinat de Mgr Padovese, et qui a été pour vous un motif de profonde douleur. C’est pourquoi, au nom de tous mes collègues, je voulais vous demander de nous dire quelques mots sur la façon dont vous avez accueilli cette nouvelle et dont vous vivez le début de votre voyage à Chypre dans ce climat.

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Benoît XVI – Naturellement, je suis profondément attristé par la mort de Mgr Padovese, qui a également beaucoup contribué à la préparation du Synode ; il a apporté sa collaboration et il aurait été un élément très précieux pour ce Synode. Nous confions son âme à la bonté du Seigneur. Toutefois, cette ombre n’a rien à voir avec les thèmes mêmes ou avec la réalité du voyage, car nous ne devons pas attribuer ce fait à la Turquie ou aux Turcs. C’est un fait à propos duquel nous disposons de peu d’informations. Ce qui est certain, c’est qu’il ne s’agit pas d’un assassinat politique ou religieux ; il s’agit d’une affaire personnelle. Nous attendons encore toutes les clarifications, mais nous ne voulons pas en ce moment mélanger cette situation tragique avec le dialogue avec l’islam et avec toutes les questions liées à notre voyage. C’est un cas à part, qui nous attriste, mais qui ne devrait en aucune façon entacher le dialogue, sous tous ses aspects, qui sera le thème et les intentions de ce voyage.

Q – Votre Sainteté, Chypre est une terre divisée. Vous ne vous rendrez pas dans la partie nord, occupée par les Turcs. Avez-vous un message pour les habitants de cette région ? Comment pensez-vous que votre visite puisse contribuer à résoudre la distance qui sépare la partie grecque de la partie turque, et à avancer vers une solution de coexistence pacifique, dans le respect de la liberté religieuse, du patrimoine spirituel et culturel des diverses communautés ?

Benoît XVI – Ce voyage à Chypre représente, sous de nombreux aspects, la continuation du voyage que j’ai accompli l’an dernier en Terre Sainte et également du voyage à Malte de cette année. Le voyage en Terre Sainte était composé de trois parties : la Jordanie, Israël et les Territoires palestiniens. Dans les trois cas, il s’agissait d’un voyage pastoral, religieux, il ne s’agissait pas d’un voyage politique ou touristique. Le thème fondamental était la paix du Christ, qui doit être une paix universelle dans le monde. Le thème était donc, d’une part, l’annonce de notre foi, le témoignage de la foi, le pèlerinage sur ces lieux qui témoignent de la vie du Christ et de toute l’histoire sainte ; et, de l’autre, la responsabilité commune de tous ceux qui croient en un Dieu créateur du ciel et de la terre, en un Dieu à l’image duquel nous avons été créés. Malte et Chypre ajoutent avec force le thème de saint Paul, grand croyant, évangélisateur, et également saint Barnabé, qui est chypriote, et qui a ouvert la voie à la mission de saint Paul. Le témoignage de notre foi en l’unique Dieu, le dialogue et la paix sont donc les thèmes de fond. La paix doit être considérée dans un sens très profond ; il ne s’agit pas d’un ajout politique à notre activité religieuse, mais la paix est une parole qui vient du cœur de la foi, elle réside dans le cœur de l’enseignement de saint Paul ; nous pensons à la Lettre aux Ephésiens, où l’on dit que le Christ a apporté la paix, a détruit les murs d’inimitié. Cela demeure un mandat permanent, et ainsi, je ne viens pas avec un message politique, mais avec un message religieux, qui devrait préparer davantage les âmes à trouver l’ouverture à la paix. Ce ne sont pas des choses qui arrivent d’un jour à l’autre, mais il est très important non seulement d’accomplir les pas politiques nécessaires, mais également et surtout, de préparer les âmes à être capables d’accomplir les pas politiques nécessaires, de créer l’ouverture intérieure à la paix, qui, à la fin, vient de la foi en Dieu et de la conviction que nous sommes tous fils de Dieu et frères et sœurs entre nous.

Q – Vous vous rendez au Moyen-Orient peu de temps après l’attaque israélienne contre la flottille devant Gaza, qui a aggravé les tensions autour du processus de paix déjà difficile. Comment pensez-vous que le Saint-Siège puisse aider à contribuer à surmonter ce moment difficile pour le Moyen-Orient ?

Benoît XVI – Je dirais que nous contribuons surtout de façon religieuse. Nous pouvons également aider à travers les conseils politiques et stratégiques, mais le travail essentiel du Vatican est toujours d’ordre religieux, qui touche le cœur. Avec tous les épisodes que nous vivons, il y a toujours le danger que l’on perde patience, que l’on dise « maintenant ça suffit », et que l’on ne veuille plus rechercher la paix. Et ici me vient à l’esprit, en cette Année sacerdotale, une belle histoire du curé d’Ars. Aux personnes qui lui disaient : « Ça ne sert à rien que j’aille à la confession et à l’absolution aujourd’hui, car après-demain, je suis certain de retomber dans les mêmes péchés », le curé d’Ars répondait : ça ne fait rien, le Seigneur oublie volontairement qu’après-demain, tu commettras les mêmes péchés, il te pardonne à présent complètement, il sera patient et continuera de t’aider, et d’aller à ta rencontre. Ainsi, nous devons en quelque sort imiter Dieu et sa patience. Après tous les cas de violence, ne pas perdre patience, ne pas perdre courage, ne pas perdre la patience de recommencer ; créer cette disposition du cœur de recommencer toujours à nouveau, dans la certitude que nous pouvons aller de l’avant, que nous pouvons parvenir à la paix, que la solution n’est pas la violence, mais la patience du bien. Il me semble que le travail principal que le Vatican, ses organes et le Pape peuvent faire, c’est créer cette disposition.

Q – Votre Sainteté, le dialogue avec les orthodoxes a beaucoup progressé du point de vue culturel, spirituel, et de la vie. A l’occasion du récent concert qui vous a été offert par le Patriarche de Moscou, on a ressenti une profonde harmonie entre orthodoxes et catholiques face aux défis lancés au christianisme en Europe par la sécularisation. Quelle est votre position sur le dialogue, notamment du point de vue plus spécifiquement théologique ?

Benoît XVI – Je voudrais avant tout souligner les grands progrès que nous avons accomplis dans le témoignage commun des valeurs chrétiennes dans le monde sécularisé. Il ne s’agit pas uniquement d’une coalition – disons – morale, politique, mais il s’agit véritablement de quelque chose de profondément lié à la foi, car les valeurs fondamentales pour lesquelles nous vivons dans ce monde sécularisé ne sont pas des moralismes, mais sont la physionomie fondamentale de la foi chrétienne. Lorsque nous sommes capables ensemble de témoigner de ces valeurs, de nous engager dans le dialogue, dans le débat de ce monde, dans le débat pour vivre ces valeurs, nous apportons déjà un témoignage fondamental d’une unité très profonde de la foi. Naturellement, il existe également de nombreux problèmes théologiques, mais ici aussi, les éléments d’unité sont forts. Je voudrais indiquer trois éléments qui nous lient, qui nous voient toujours plus proches, qui nous rendent toujours plus proches. En premier lieu, l’Ecriture, la Bible, n’est pas un livre tombé du ciel, qui est là à présent et que tout le monde utilise, mais c’est un livre qui a mûri dans le peuple de Dieu et qui vit dans ce sujet commun du peuple de Dieu et qui seulement en lui demeure toujours présent et réel, c’est-à-dire que la Bible ne peut pas être isolée, mais la Bible réside dans le lien entre tradition et Eglise. Cette conscience est fondamentale et appartient au fondement de l’orthodoxie et du catholicisme et nous offre une voie commune. En deuxième lieu, nous disons : la tradition, qui nous interprète, qui nous ouvre la voie à l’Ecriture, possède également une forme institutionnelle, sacrée, sacramentelle, voulue par le Seigneur, c’est-à-dire l’épiscopat ; elle possède une forme personnelle : c’est-à-dire que le collège des évêques est à la fois témoin et présence de cette tradition. Et, en troisième lieu, ce que l’on appelle la regula fidei, c’est-à-dire la confession de la foi élaborée par les anciens Conciles est la somme de ce qui se trouve dans l’Ecriture et qui ouv
re la « porte » de l’interprétation. Il existe ensuite d’autres éléments : la liturgie, l’amour commun pour la Vierge nous lient profondément, et il devient toujours plus clair pour nous qu’ils représentent les fondements de la vie chrétienne. Nous devons être davantage conscients et approfondir également les détails, mais il me semble que même si les cultures diverses, les situations diverses ont suscité des malentendus et des difficultés, nous grandissons dans la conscience de l’essentiel et de l’unité de l’essentiel. Je voudrais ajouter que, naturellement ce n’est pas la discussion théologique qui crée en soi l’unité ; il s’agit d’une dimension importante, mais toute la vie chrétienne, la connaissance réciproque, l’expérience de la fraternité, apprendre, en dépit de l’expérience du passé, cette fraternité commune, sont des processus qui exigent également une grande patience. Mais il me semble que nous sommes précisément en train d’apprendre la patience, tout comme l’amour, et avec toutes les dimensions du dialogue théologique, nous allons de l’avant, laissant au Seigneur le soin de décider du moment où il nous donnera l’unité parfaite.

Q L’un des objectifs de ce voyage est la remise du document de travail du Synode des évêques pour le Moyen-Orient. Quelles sont vos attentes et vos espérances principales en ce qui concerne ce Synode, pour les communautés chrétiennes et également pour les croyants d’autres confessions dans cette région ?

Benoît XVI – Le premier point important est que divers évêques et chefs d’Eglises se rencontrent ici, car nous avons de nombreuses Eglises – divers rites sont présents dans divers pays, dans des situations diverses – et ils apparaissent souvent isolés, ils disposent également souvent de peu d’informations sur l’autre ; se voir, se rencontrer, et ainsi prendre conscience l’un de l’autre, des problèmes, des diversités et des situations communes, se former ensemble un jugement sur la situation, sur le chemin à prendre. Cette communion concrète de dialogue et de vie est un premier point. Un second point est également la visibilité de ces Eglises, c’est-à-dire le fait que l’on voit dans le monde qu’il y a une chrétienté importante et antique au Moyen-Orient, qui souvent n’est pas devant nos yeux, et que cette visibilité nous aide également à nous rapprocher d’eux, à approfondir notre connaissance réciproque, à apprendre les un des autres, à nous aider, et à aider ainsi également les chrétiens du Moyen-Orient à ne pas perdre l’espérance, à rester, même si les conditions sont parfois difficiles. Ainsi, – et c’est le troisième point – dans le dialogue entre eux, ils s’ouvrent également au dialogue avec les autres chrétiens orthodoxes, arméniens, etc, et ainsi croît une conscience commune de la responsabilité chrétienne et également une capacité commune de dialogue avec les frères musulmans, qui sont nos frères, malgré les diversités ; et il me semble qu’apparaît également un encouragement, en dépit de tous les problèmes, à continuer, à travers une vision commune, le dialogue avec eux. Toutes les tentatives en vue d’une coexistence toujours plus fructueuse et fraternelle sont très importantes. Il s’agit donc d’une rencontre interne de ces chrétiens catholiques du Moyen-Orient dans les divers rites, mais il s’agit également d’une rencontre précisément d’ouverture, de capacité renouvelée et de dialogue, de courage et d’espérance pour l’avenir.

[Texte original: italien]

© Copyright 2010 – Libreria Editrice Vaticana

Traduction : Zenit

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ZENIT Staff

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