ROME, Vendredi 25 décembre 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le patriarche latin de Jérusalem, Sa Béatitude Fouad Twal, a prononcée, au cours de la messe de minuit, à Bethléem.
* * *
Bethléem, 24 décembre 2009
Chers Frères et Sœurs,
« Pendant que Joseph et Marie étaient à Bethléem, arrivèrent les jours où Marie devait enfanter. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire » (cf. Lc 2, 6-7).
Au nom de l’Enfant de Bethléem, né dans une pauvre grotte, et au nom de ses semblables, les nombreux enfants nés sans abri et les enfants des camps des réfugiés, je vous souhaite la bienvenue avec les paroles des anges aux bergers : « Voici que je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans la ville de David. Il est le Messie, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 10-12). Nous souhaitons que ce salut se réalise de nouveau dans l’aujourd’hui de Dieu, à partir de cette ville, de cette grotte et de cette mangeoire vers laquelle nous porterons dans un moment le divin enfant en procession!
« Aujourd’hui nous est né un Sauveur » (Lc 2, 11) ; « venez, adorons-le » (Ps 95, 6). « Aujourd’hui nous est né un Sauveur »… Le mot aujourd’hui, que le ciel adressa à la terre il y a 2000 ans, est notre aujourd’hui et l’aujourd’hui de tous les hommes et de tous les temps, car « Jésus Christ, est le même hier et aujourd’hui, il l’est pour l’éternité » (He 13, 8). Le temps des hommes est un présent fugitif, tandis que le temps de Dieu est un continuel présent, car le Seigneur est l’Etre par excellence, il est « celui qui est » (cf. Ex 3, 14). Le Christ, parole de Dieu, est aussi « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1, 8). Aujourd’hui, notre Seigneur et Sauveur naît de nouveau parmi nous.
La naissance de Jésus exige un changement radical dans la vie des êtres humains : « une grande lumière resplendit » pour nous qui sommes « assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort » (Is 9, 1 et Lc 1, 79). Cette lumière est celle de l’amour universel. Notre cœur préfère souvent se limiter à l’amour des plus proches: celui des parents envers leurs enfants et des coreligionnaires entre eux. Or, cet amour particulier est appelé à s’élargir aux dimensions du monde, car la mesure de l’amour est d’aimer sans mesure.
La paix et la non-violence devraient remplacer la haine, la guerre et la violence ; l’Esprit devrait prévaloir sur la matière ; l’ouverture, l’hospitalité et la disponibilité à l’autre devraient briser les murs de séparation et d’isolement, et ce pour rendre « gloire à Dieu au plus haut des cieux » et faire advenir la « paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2, 14).
« Et le Verbe s’est fait chair » (Jn 1, 14). C’est le plus grand événement de l’histoire de l’humanité : la parole de Dieu s’est faite homme « à la plénitude du temps » (Gal 4, 4). Dieu a pris un visage humain ; Il est devenu homme pour élever les hommes jusqu’à lui! Ce mystère de l’Incarnation, qui dépasse de beaucoup notre entendement, est le cœur de notre foi chrétienne. Il fait partie du plan divin pour le salut et la rédemption des hommes. Emerveillés par ce mystère, les apôtres et les disciples l’ont annoncé avec force par leur parole et l’ont scellé par leur sang.
L’humilité du Verbe de Dieu fait chair est pour nous un exemple constant et un remède contre l’orgueil. Le Verbe éternel s’est humilié, abandonnant ses prérogatives divines, pour choisir de naître enfant pauvre dans une mangeoire. S’il était apparu dans la gloire de sa divinité, il nous aurait éblouis et nous ne l’aurions pas considéré comme l’un de nous, comme un membre de notre famille humaine. Sa naissance modeste est un exemple pour nous. Si Dieu est devenu le plus pauvre parmi les pauvres et le plus démuni parmi les démunis, c’est qu’il n’y a aucune autre voie à suivre, dans notre marche vers le bonheur éternel, que de vaincre notre orgueil et de pratiquer l’humilité et la simplicité, encouragés en cela par l’exemple de celui qui, « étant riche, s’est appauvri pour nous enrichir par sa pauvreté » (cf. 2 Co 8, 9). Il a ainsi fondé les principes du partage et de la solidarité. Les problèmes financiers qui affectent aujourd’hui le monde proviennent du fait que celui-ci a oublié les pauvres. Noël sera toujours un cri dérangeant la conscience de ce monde matérialiste qui a pour principes premiers la compétitivité sans frein et une course à l’enrichissement aux dépens des pauvres.
Quand les hommes refusent de partager les biens terrestres dans un esprit de solidarité, alors l’argent devient pour eux une idole, et ils devront payer le prix de leur éloignement de Dieu. Devant la récession récente de l’économie mondiale, il est temps que le monde accepte la primauté des valeurs de tempérance et de partage. Ces valeurs seules peuvent réanimer le monde économique. En effet, « quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paie de sa vie ? » (Mt 16,26).
Jésus-Christ dans sa patrie
Au nom de tous les fidèles des paroisses de Jordanie, de Palestine, d’Israël et de Chypre, et au nom des fidèles de Bethléem, concitoyens de Jésus, je m’adresse à tous les croyants du monde entier et je les exhorte à prier pour cette Terre Sainte. C’est une terre qui souffre et qui espère. Ses habitants vivent en frères ennemis. Quand comprendrons-nous qu’une terre ne mérite le qualificatif de « sainte » qu’à partir du moment où l’homme qui y vit devient saint ? Cette terre ne méritera vraiment d’être appelée « sainte » que lorsque l’on pourra y respirer la liberté, la justice, l’amour, la réconciliation, la paix et la sécurité.
Par ailleurs, comment pouvons-nous goûter la joie de Noël tandis que nous voyons se répéter le drame qui a accompagné la naissance du Christ dans l’histoire ? Le Christ n’avait pas de maison à Bethléem, et beaucoup de nos concitoyens sont sans logis du fait de l’injustice des hommes ; à cause des difficultés et de l’insécurité, des centaines de milliers de personnes ont déjà émigré pour chercher ailleurs une meilleure qualité de vie ; d’autres cherchent à quitter le pays de leurs ancêtres, le pays sanctifié par le mystère de l’Incarnation de Dieu.
Comment goûter la fête et la joie alors que nous commémorons le premier anniversaire de la guerre et de la tragédie de Gaza ? Le siège de la ville est étouffant, la liberté de circulation et de transport est restreinte. Beaucoup de familles sont séparées.
Et pourtant, rien ne peut nous empêcher de chanter et d’invoquer le Sauveur : « Ah, Seigneur! Si Tu déchirais les cieux et descendais! Devant ta Face fondraient les monts! » (Is 63, 19). « Rorate coeli desuper et nubes pluant justum » (Liturgie catholique de l’Avent). Seigneur, tu es l’Emmanuel, « Dieu avec nous ». Nous aussi nous désirons rester avec toi. Puisses-tu diriger vers ta crèche, par l’étoile et par ta grâce, les hommes en conflit, les chefs de gouvernements et les décideurs politiques qui ont le pouvoir de décider et qui tiennent le destin de l’humanité entre leurs mains. Qu’ils découvrent tous le message de Noël, un message qui enseigne l’humilité et qui redonne à l’homme sa dignité de fils de Dieu!
Dans cette nuit de Noël, avec tous les hommes de bonne volonté, nous voulons prier pour la paix. La paix que nous mendions est différente de celle que le monde nous promet ou nous donne. Celle du monde est fondée sur la force et la violence. Nous cherchons la paix de Dieu, fondée sur la justice et la dignité humaine. Ayant à l’esprit les souffrances du monde, les conflits d’intérêts, la duplicité, la course à l’armement et à la possession d’armes destructrices, de concert avec tous les enfants
sans-abri laissés à eux-mêmes dans les ruelles des camps de réfugiés, nous demandons à l’Enfant de Bethléem que se lève sur notre terre le soleil de la justice, de l’amour et de la vie, afin d’expulser le spectre de la mort et de la destruction. Puissent nos enfants et les enfants de Gaza goûter la fête et la joie d’illuminer et de décorer l’arbre de Noël, symbole de vie et d’espoir de vivre.
Ô enfant de Bethléem, nous sommes fatigués de notre situation, nous sommes fatigués d’attendre et las des discours et des promesses, fatigués des conférences, des délais et des négociations!
Ô Enfant de Bethléem, donne-nous ta patience, ton amour et ta douceur! Nous t’en prions, que pendant cette nouvelle année les mains se serrent, les intentions se purifient, les cœurs s’entr’aiment, les divisions disparaissent, les murs tombent, et qu’à leur place soient construits les ponts de la compréhension et de la réconciliation!
Chers frères et enfants bien-aimés,
Que la grâce divine et l’amour de Dieu pour tous les hommes, quelle que soit leur confession et leur nationalité, nous aident à rechercher toujours davantage la paix. Travaillons chacun dans notre domaine à la venue du royaume de Dieu, « le royaume d’amour et de justice » (Préface pour la Solennité du Christ Roi).
Puissions-nous voir dans chaque homme, chaque femme et chaque enfant, le visage de Jésus, le fils de ce pays, notre concitoyen, qui a dit : « Heureux les doux, ils obtiendront la terre promise. Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde. Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ! » (Mt 5, 1-12)
Joyeux Noël !
+ Patriarche Fouad Twal