« Ethique et développement », par le gouverneur de la « Banca d´Italia »

Mario Draghi, dans L’Ossservatore Romano en français

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ROME, Mercredi 15 juillet 2009 (ZENIT.org) – « Ethique et développement », c’est le titre du commentaire de l’encyclique « Caritas in veritate » publié par le gouverneur de la « Banca d’Italia » dans L’Osservatore Romano, dans son édition hebdomadaire en français du 14 juillet 2009. Le banquier affirme : « Un développement de longue période n’est pas possible sans éthique » au terme de son analyse de la crise « globale » de 2008-2009.

« Ethique et développement », par Mario Draghi

La crise qui a frappé l’économie mondiale est, pour la première fois, globale; celle du passé qui lui ressemble le plus – la grande dépression des années trente qui, elle aussi, vit le jour aux Etats-Unis – toucha des régions moins vastes du monde et elle se propagea plus lentement, même si elle frappa les structures productives plus en profondeur. La dimension mondialisée, l’interdépendance, la question sociale « qui se mondialise » sont au centre de Caritas in veritate, comme elles l’avaient été il y a plus de quarante ans dans Populorum progressio de Paul vi, qui constitue le point de référence de cette encyclique de Benoît XVI: l’Eglise défend le développement intégral de l’homme; s’il n’est pas de tout l’homme, de chaque homme, le développement n’est pas un véritable développement.

La crise actuelle confirme la nécessité d’un rapport entre éthique et économie, montre la fragilité d’un modèle enclin à des excès qui ont provoqué son échec. Un modèle où les opérateurs considèrent toute action comme licite, où l’on croit aveuglément à la capacité du marché à s’autoréguler, où de graves malversations deviennent communes, où les régulateurs des marchés sont faibles ou sont la proie des instances qu’ils régulent, où les revenus des grands dirigeants d’entreprise sont intolérables au plus grand nombre d’un point de vue éthique, ne peut pas être un modèle pour la croissance du monde.

L’encyclique revient sur le thème ancien du rapport entre éthique et économie, qui demeura étroit sur une période allant d’Aristote – pour qui l’économie se reliait naturellement à l’étude de l’éthique – jusqu’à Adam Smith, qui estimait que, pour libérer les vertus du marché, était indispensable un « code de moralité mercantile » fondé sur l’honnêteté, la confiance et l’empathie. La redéfinition explicite de l’économie comme discipline autonome est relativement récente, elle date de la seconde moitié du xix siècle. Elle entraîna la résiliation du lien avec les sciences morales, considérée comme nécessaire par les « économistes purs » si l’on voulait donner naissance à une science visant à déterminer les principes du comportement de l’homo oeconomicus, fondés sur l’axiome de la rationalité et de la maximalisation du bien-être individuel.

Dans les dernières décennies, la disparition de l’éthique du champ d’enquête de la science économique a été remise en question, parce qu’elle a engendré un modèle incapable de rendre compte de manière complète des actions humaines dans le domaine économique et d’expliquer l’existence des institutions importantes pour le marché uniquement comme résultat de la pure interaction d’agents rationnels et égoïstes. C’est une critique avancée entre autres par Amartya Sen, qui analyse les effets des considérations de nature éthique sur les comportements économiques, et par Akerlof, qui souligne l’importance des évaluations d’équité dans la détermination des salaires. Il s’agit d’une branche de la théorie économique privée de la netteté logico-formelle de l’école néo-classique, mais qui permet de saisir des aspects qui sont autrement négligés de l’action individuelle et de ses conséquences sur le développement macroéconomique. Il est clair qu’à l’avenir, les économistes qui voudraient expliquer le fonctionnement des systèmes économiques devront intégrer ces critiques et d’autres semblables dans un paradigme plus complexe, mais bien plus complet que celui qui a dominé la pensée du dernier siècle.

Selon la doctrine sociale de l’Eglise, si l’autonomie de la discipline économique implique l’indifférence à l’égard de l’éthique, on pousse l’homme à abuser de l’outil économique; s’il n’est plus un moyen pour atteindre le but ultime – le bien commun – le profit risque d’engendrer la pauvreté. Le développement n’est pas en soi garanti par des forces impersonnelles et automatiques, (le marché peut tout) mais nécessite des personnes qui le soutiennent en vivant dans leurs consciences le rappel du bien commun. Toute décision économique a des conséquences de caractère moral. Cela est encore plus vrai à l’époque de la mondialisation, qui affaiblit l’action nationale des gouvernements sur l’économie et, ainsi, remet également en question l’utilité de la distinction d’école entre production de la richesse et redistribution de celle-ci opérée par la sphère publique pour des raisons de justice. Il est possible d' »internaliser » la dimension éthique dès la phase de production, comme le montre le large spectre d’activités économiques qui échappent à une classification mécanique en lucratif/non-lucratif et qui se proposent également des objectifs de nature éthique et d’utilité sociale.

Le Pape voit dans le principe de subsidiarité – défini en 1931 par Pie XI dans Quadragesimo anno – un instrument important pour répondre en perspective à la crise actuelle. La proposition est de confier le gouvernement de la mondialisation à une autorité polycentrique (polyarchique) constituée par plusieurs niveaux et par des plans différents et coordonnés entre eux, qui ne soit pas fondée exclusivement sur des pouvoirs publics, mais aussi sur des éléments de la société civile (les corps intermédiaires entre l’Etat et le marché, selon le projet originel de Pie XI).

L’actualité de cette proposition consiste surtout à indiquer une autorité de gouvernement placée au-dessus d’une réalité économique complexe qui ne se laisse plus réduire à un petit nombre d’intérêts contradictoires, qui s’opposent parfois avec une certaine violence; qui ait donc une nature « à plusieurs niveaux », c’est-à-dire qui fasse un large usage du principe de subsidiarité au sens aujourd’hui familier des économistes, selon lequel le pouvoir décisionnel doit être attribué au niveau sur lequel se reflètent principalement les effets des décisions qui sont prises.

Dans ce contexte, le Pape rappelle la nécessité d’une autorité politique mondiale, déjà évoquée par Jean XXIII, ainsi que, en termes différents, par Kant, il y a plus de deux siècles. C’est une indication cohérente avec la conscience selon laquelle la mondialisation entraîne une multiplication des externalisations à un rythme encore impensable il y seulement quelques décennies – pensons au cas emblématique du climat – et que celles-ci imposent la perspective d’un horizon planétaire de gouvernement.

Sur un plan plus immédiat, l’interdépendance mondiale exige de manière urgente une réforme de l’architecture financière internationale, finalisée à un meilleur fonctionnement des marchés. C’est dans ce sens que vont les propositions visant à garantir une plus grande transparence des bilans des sociétés, à induire les opérateurs à une plus grande sobriété dans l’accumulation de la dette, à une plus grande conscience des risques liés à la poursuite du profit et plus en général de l’acceptabilité sociale de certains comportements. Mais, dans le même temps, ce sont des objectifs indissolublement liés à la dimension éthique car visant, en dernière analyse, à la protection des plus faibles.

Un développement de longue période n’est pas possible sans éthique. C’est, pour l’économiste, une implication fondamentale de cet « amour dans la vérité » (caritas in veritate) dont parle le Pape dans son encyclique. Pour retrouver le chemin du développement, il faut créer les condit
ions pour que les attentes de tous, que Keynes appelait de longue période, redeviennent favorables. Il est nécessaire de reconstituer la confiance des entreprises, des familles, des citoyens, des personnes, dans la capacité de croissance stable des économies. Sur le long terme, cette confiance ne peut pas être séparée d’une dimension morale, de l’espérance profonde, selon les paroles de Jean-Paul II dans la bulle d’indiction (1998) pour le jubilé, de « créer un modèle d’économie au service de chaque personne ».

© L’Osservatore Romano – 2009

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ZENIT Staff

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