Homélie de Benoît XVI pour l’inauguration du synode sur la Parole

Dimanche 5 octobre, à Saint-Paul-hors-les-Murs

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ROME, Lundi 6 octobre 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée dimanche 5 octobre au cours de la célébration eucharistique d’inauguration du synode de la Parole de Dieu, en la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.

*  *  *

Vénérés frères dans l’épiscopat et dans le sacerdoce,

Chers frères et sœurs,

La première Lecture, tirée du livre du prophète Isaïe, tout comme la page de l’Evangile selon Matthieu, ont proposé à notre assemblée liturgique une image allégorique suggestive de l’Ecriture Sainte: l’image de la vigne, dont nous avons déjà entendu parler les dimanches précédents. La péricope initiale du récit évangélique fait référence au «cantique de la vigne» que nous trouvons dans Isaïe. Il s’agit d’un chant situé dans le contexte automnal de la vendange: un petit chef-d’œuvre de la poésie juive, qui devait être très familier aux auditeurs de Jésus et à partir duquel, ainsi qu’à partir d’autres références des prophètes (cf. Os 10, 1; Jr 2, 21; Ez 17, 3-10; 19, 10-14; Ps 79, 9-17), on comprenait bien que la vigne désignait Israël. A sa vigne, au peuple qu’il s’est choisi, Dieu réserve les mêmes soins qu’un époux fidèle prodigue à son épouse (cf. Ez 16, 1-14; Ep 5, 25-33).

L’image de la vigne, avec celle des noces, décrit donc le projet divin du salut, et se présente comme une allégorie touchante de l’alliance de Dieu avec son peuple. Dans l’Evangile, Jésus reprend le cantique d’Isaïe, mais l’adapte à ses auditeurs et à la nouvelle heure de l’histoire du salut. L’accent n’est pas tant mis sur la vigne que sur les vignerons, auxquels les «serviteurs» du maître demandent, en son nom, le loyer du terrain. Mais les serviteurs sont maltraités et même tués. Comment ne pas penser aux épreuves du peuple élu et au sort réservé aux prophètes envoyés par Dieu? A la fin, le propriétaire de la vigne fait une dernière tentative: il envoie son propre fils, convaincu que lui, au moins, ils l’écouteront. C’est le contraire qui arrive: les vignerons le tuent justement parce qu’il est le fils, autrement dit l’héritier, convaincus de pouvoir ainsi prendre facilement possession de la vigne. Nous assistons donc à un saut de qualité par rapport à l’accusation de violation de la justice sociale, telle qu’elle émerge du cantique d’Isaïe. Nous voyons clairement ici comment le mépris pour l’ordre donné par le maître se transforme en mépris envers lui: ce n’est pas la simple désobéissance à un précepte divin, c’est le véritable rejet de Dieu: apparaît le mystère de la Croix.

Ce que dénonce la page évangélique interpelle notre manière de penser et d’agir. Elle n’évoque pas seulement l’«heure» du Christ, du mystère de la Croix à ce moment-là, mais aussi celui de la présence de la Croix dans tous les temps. Elle interpelle, d’une manière particulière, les peuples qui ont reçu l’annonce de l’Evangile. Si nous regardons l’histoire, nous sommes obligés de noter assez fréquemment la froideur et la rébellion de chrétiens incohérents. Suite à cela, Dieu, même s’il ne manque jamais à sa promesse de salut, a souvent dû recourir au châtiment. On pense spontanément, dans ce contexte, à la première annonce de l’Evangile, de laquelle surgiront des communautés chrétiennes d’abord fleurissantes, qui ont ensuite disparu et ne sont plus rappelées aujourd’hui que dans les livres d’histoire. Ne pourrait-il pas advenir de même à notre époque? Des nations un temps riches de foi et de vocations perdent désormais leur identité propre, sous l’influence délétère et destructive d’une certaine culture moderne. On y trouve celui qui, ayant décidé que «Dieu est mort», se déclare «dieu» lui-même, et se considère le seul artisan de son propre destin, le propriétaire absolu du monde.

En se débarrassant de Dieu et en n’attendant pas de Lui son salut, l’homme croit pouvoir faire ce qui lui plaît et se présenter comme seule mesure de lui-même et de sa propre action. Mais, quand l’homme élimine Dieu de son propre horizon, qu’il déclare Dieu  «mort», est-il vraiment plus heureux? Devient-il vraiment plus libre? Quand les hommes se proclament propriétaires absolus d’eux-mêmes et uniques maîtres de la création, peuvent-ils vraiment construire une société où règnent la liberté, la justice et la paix? N’arrive-t-il pas plutôt – comme nous le démontre amplement la chronique quotidienne – que s’étendent l’arbitraire du pouvoir, les intérêts égoïstes, l’injustice et l’exploitation, la violence dans chacune de ses expressions? Le point d’arrivée, à la fin, est que l’homme se retrouve plus seul et la société plus divisée et confuse.

Mais les paroles de Jésus contiennent une promesse: la vigne ne sera pas détruite. Alors qu’il abandonne à leur destin les vignerons infidèles, le maître ne se détache pas de sa vigne et la confie à d’autres serviteurs fidèles. Ceci indique que, si dans certaines régions la foi s’affaiblit jusqu’à s’éteindre, il y aura toujours d’autres peuples prêts à l’accueillir. C’est justement pour cela que Jésus, alors qu’il cite le Psaume 117 [118]: «La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la tête de l’angle» (v.22), assure que sa mort ne sera pas la défaite de Dieu. Une fois tué, Il ne restera pas dans la tombe, au contraire, et celle qui semblait justement être une défaite totale, marquera le début d’une nouvelle victoire. A sa passion douloureuse et à sa mort sur la croix succédera la gloire de sa résurrection. La vigne continuera alors à produire du raisin et sera louée par le maître «à d’autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps» (Mt 21, 41).

L’image de la vigne, avec ses implications morales, doctrinales et spirituelles, reviendra dans le discours de la Dernière Cène, lorsque, prenant congé des Apôtres, le Seigneur dira: «Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, pour qu’il porte encore plus de fruit» (Jn 15, 1-2). A partir de l’événement pascal, l’histoire du salut connaîtra donc un tournant décisif, et en seront protagonistes ces «autres vignerons» qui, greffés comme bourgeons choisis sur le Christ, véritable vigne, porteront des fruits abondants de vie éternelle (cf. Prière lors de la Collecte). Nous faisons partie, nous aussi, de ces «vignerons», greffés au Christ qui veut devenir lui-même la «vraie vigne». Prions pour que le Seigneur, qui nous donne son sang et qui se donne Lui-même dans l’Eucharistie, nous aide à «porter du fruit» pour la vie éternelle et pour notre temps.

Le message réconfortant  que nous recueillons de ces textes bibliques est la certitude que le mal et la mort n’ont pas le dernier mot, mais que c’est le Christ qui gagne à la fin. Toujours! L’Eglise ne se lasse pas de proclamer cette Bonne Nouvelle, comme cela arrive aujourd’hui aussi, dans cette Basilique dédiée à l’Apôtre des Nations qui, le premier, diffusa l’Evangile dans de vastes régions de l’Asie mineure et de l’Europe. Nous renouvellerons de manière significative cette annonce durant la XIIème assemblée générale ordinaire du synode des évêques, qui a pour thème: «La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Eglise». Je voudrais ici vous saluer tous avec une affection cordiale, vénérables pères synodaux, ainsi que tous ceux qui prennent part à cette rencontre comme experts, auditeurs et invités spéciaux. Je suis en outre heureux d’accueillir les délégués fraternels des autres Eglises et communautés ecclésiales. Au secrétaire général du synode des évêques et à ses collaborateurs va l’expression de la reconnaissance de tous pour l’important travail réalisé au cours de ces derniers mois, ainsi que mes
meilleurs vœux pour le travail  qui les attend durant les prochaines semaines.

Quand Dieu parle, il sollicite toujours une réponse; son action salvifique requiert la coopération humaine; son amour attend quelque chose en retour. Que ne se réalise jamais, chers frères et sœurs, ce que dit le texte biblique à propos de la vigne: «Il attendait de beaux raisins: elle donna des raisins sauvages» (cf. Is 5, 2). Seule la Parole de Dieu peut changer profondément le cœur de l’homme, et il est alors important que chaque croyant et chaque communauté entrent dans une intimité toujours plus grande avec elle. L’assemblée synodale concentrera son attention sur cette vérité fondamentale pour la vie et la mission de l’Eglise. Se nourrir de la Parole de Dieu est pour elle le devoir premier et fondamental. En effet, si l’annonce de l’Evangile constitue sa raison d’être et sa mission, il est indispensable que l’Eglise connaisse et vive ce qu’elle annonce, afin que sa prédication soit crédible, en dépit des faiblesses et des pauvretés des hommes qui la composent. Nous savons, en outre, que l’annonce de la Parole, à l’école du Christ, a pour contenu le Royaume de Dieu (cf. Mc 1, 14-15), mais le Royaume de Dieu est la personne même de Jésus, qui à travers  ses paroles et ses œuvres offre le salut aux hommes de tous les temps. A cet égard, la considération de saint Jérôme est intéressante: «Celui qui ne connaît pas les Ecritures, ne connaît pas la puissance de Dieu ni sa sagesse. Ignorer les Ecritures signifie ignorer le Christ» (Prologue au commentaire du prophète Isaïe: PL 24, 17).

En cette Année paulinienne, nous entendrons résonner avec une urgence particulière le cri de l’apôtre des nations: «Oui, malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile» (1 Co 9, 16); un cri qui pour chaque chrétien devient une invitation insistante à se mettre au service du Christ. «La moisson est abondante» (Mt 9, 37), répète également aujourd’hui le Divin Maître: nombreux sont ceux qui ne L’ont pas encore rencontré et qui sont dans l’attente de la première annonce de son Evangile; d’autres, tout en ayant reçu une formation chrétienne, se sont affaiblis dans l’enthousiasme et gardent un contact seulement superficiel avec la Parole de Dieu; d’autres encore se sont éloignés de la pratique de la foi et ont besoin d’une nouvelle évangélisation. Enfin, les personnes aux sentiments droits qui se posent des questions essentielles sur le sens de la vie et de la mort, questions auxquelles seul le Christ peut donner des réponses satisfaisantes ne manquent pas. Il devient alors indispensable pour les chrétiens de tous les continents d’être prêts à répondre à quiconque demande raison de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15), annonçant avec joie la Parole de Dieu et vivant l’Evangile sans aucun compromis.

Vénérés et chers frères, que le Seigneur nous aide à nous interroger ensemble, au cours des prochaines semaines de travaux synodaux, sur la manière de rendre toujours plus efficace l’annonce de l’Evangile à notre époque. Nous percevons tous combien il est nécessaire de mettre au centre de notre vie la Parole de Dieu, d’accueillir le Christ comme notre unique Rédempteur, en tant que Royaume de Dieu en personne, afin que sa lumière éclaire tous les domaines de l’humanité: de la famille, de l’école, de la culture, du travail, des loisirs et des autres secteurs de la société et de notre vie. En participant à la célébration eucharistique, nous percevons toujours le lien étroit qui existe entre l’annonce de la Parole de Dieu et le Sacrifice eucharistique: c’est ce même Mystère qui est offert à notre contemplation. Voilà pourquoi «L’Eglise – comme le Concile Vatican II le met en lumière – a toujours vénéré les divines Ecritures, comme elle l’a toujours fait pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles». Justement, le Concile conclut: «De même l’Eglise reçoit un accroissement de vie par la fréquentation assidue du mystère eucharistique, ainsi peut-on espérer qu’un renouveau de vie spirituelle jaillira  d’une vénération croissante pour la parole de Dieu, qui « demeure à jamais »» (Dei Verbum, 21.26).

Que le Seigneur nous concède de nous approcher avec foi de la double table de la Parole et du Corps et du Sang du Christ. Que la Sainte Vierge nous obtienne ce don, elle qui «conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur» (Lc 2, 19). Que ce soit elle qui nous apprenne à écouter les Ecritures et à les méditer dans un processus intérieur de maturation, qui ne sépare jamais l’intelligence du cœur. Que les Saints viennent à notre aide, en particulier l’apôtre Paul, qu’au cours de cette année nous découvrons toujours plus comme témoin intrépide et héraut de la Parole de Dieu. Amen!

© Copyright : Librairie Editrice du Vatican

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ZENIT Staff

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