ROME, Mercredi 12 mars 2008 (ZENIT.org) - Boèce fit dialoguer l'homme avec la « philosophie éternelle », a expliqué Benoît XVI qui a consacré sa catéchèse du mercredi à deux auteurs latins du Haut Moyen Age, Boèce et Cassiodore : « deux grandes et belles figures chrétiennes ».

Boèce (480-524), expliquait le pape, « utilisa les catégories de la philosophie grecque pour proposer la foi chrétienne, ici aussi à la recherche d'une synthèse entre le patrimoine hellénistique et romain et le message évangélique ».

Le patrimoine d'une culture et l'Evangile

Boèce était devenu sénateur à l'âge de vingt-cinq ans. « Condamné à mort pour des motifs auxquels sa foi n'est pas étrangère, c'est en prison qu'il rédige son œuvre la plus connue, ‘La consolation philosophique' où il fait dialoguer l'homme avec la philosophie éternelle ».

Benoît XVI rappelait ces données historiques : « Odoacre, roi des Erules, une ethnie germanique, s'était rebellé, mettant un terme à l'empire romain d'Occident (476), mais avait dû rapidement succomber aux Ostrogoths de Théodoric, qui pendant plusieurs décennies s'assurèrent du contrôle de la péninsule italienne ».

C'est dans ce contexte historique troublé que « Boèce s'engagea dans la politique, convaincu qu'il était possible d'harmoniser ensemble les lignes directrices de la société romaine avec les valeurs des nouveaux peuples », a expliqué le pape.

En effet, poursuivait-il, Boèce « considéra comme sa mission de réconcilier et de mettre ensemble ces deux cultures, la culture romaine classique et la culture naissante du peuple ostrogoth ».

Auteur philosophique et religieux, « il écrivit également des manuels d'arithmétique, de géométrie, de musique, d'astronomie : le tout avec l'intention de transmettre aux nouvelles générations, aux nouveaux temps, la grande culture gréco-romaine ».

« Boèce a été présenté comme le dernier représentant de la culture romaine antique et le premier des intellectuels du Moyen Age », a fait observer le pape.

Un message pour les détenus de tous les temps

Benoît XVI a rappelé que le « De consolatione philosophiae » (« La consolation philosophique »), a été rédigé « en prison pour donner un sens à sa détention injuste ».

Et d'expliquer les raisons de sa mort : « Il avait été accusé de complot contre le roi Théodoric pour avoir pris la défense d'un ami, le sénateur Albin, lors de son jugement. Mais cela était un prétexte: en réalité Théodoric, arien et barbare, soupçonnait Boèce d'éprouver de la sympathie pour l'empereur byzantin Justinien. De fait, jugé et condamné à mort, il fut exécuté le 23 octobre 524, à 44 ans seulement ».

Il « recherche la sagesse », et il apprend à « distinguer entre les biens apparents - en prison ceux-ci disparaissent - et les vrais biens, comme l'amitié authentique, qui même en prison ne disparaissent pas. Le bien le plus élevé est Dieu ».

Il discerne la tentation du « fatalisme », qui « éteint l'espérance » : « Ce n'est pas le destin qui gouverne, mais la Providence et que celle-ci a un visage », il poursuit son « dialogue avec Celui qui nous sauve », et il « conserve le sens de la beauté et de la culture et rappelle l'enseignement des grands philosophes antiques grecs et romains » et des « poètes ».

Pour lui, « la philosophie, au sens de la recherche de la véritable sagesse, est le véritable remède de l'âme », souligne encore le pape.

Boèce conclut par cette exhortation aux détenus de tous les temps: « Combattez donc les vices, consacrez-vous à une vie vertueuse orientée par l'espérance qui pousse le cœur vers le haut, jusqu'à atteindre le ciel avec les prières nourries d'humilité. L'imposition que vous avez subie peut se transformer, si vous refusez de mentir, en l'immense avantage d'avoir toujours devant les yeux le juge suprême qui voit et qui sait comment sont vraiment les choses » (Lib. V, 6: PL 63, col. 862) ».

« Chaque détenu, quel que soit le motif pour lequel il est en prison, comprend combien cette condition humaine particulière est lourde, notamment lorsqu'elle est aggravée, comme cela arriva à Boèce, par le recours à la torture », insiste le pape qui conclut : « Boèce, symbole d'un nombre immense de détenus injustement emprisonnés de tous les temps et de toutes les latitudes, est de fait une porte d'entrée objective à la contemplation du mystérieux Crucifié du Golgotha ».

Anita S. Bourdin

Audience générale du 12 mars : Boèce et Cassiodore

ROME, Mercredi 12 mars 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la catéchèse donnée par le pape Benoît XVI au cours de l’audience générale, ce mercredi, dans la salle Paul VI du Vatican.

Catéchèse de Benoît XVI

Chers frères et sœurs,

Je voudrais parler aujourd’hui de deux auteurs ecclésiastiques, Boèce et Cassiodore, qui vécurent pendant les années les plus tourmentées de l’Occident chrétien et, en particulier, de la péninsule italienne. Odoacre, roi des Erules, une ethnie germanique, s’était rebellé, mettant un terme à l’empire romain d’Occident (476), mais avait dû rapidement succomber aux Ostrogoths de Théodoric, qui pendant plusieurs décennies s’assurèrent du contrôle de la péninsule italienne. Boèce, né à Rome vers 480 dans la noble famille des Anicii, entra encore jeune dans la vie publique, obtenant déjà la charge de sénateur à l’âge de vingt-cinq ans. Fidèle à la tradition de sa famille, il s’engagea dans la politique, convaincu qu’il était possible d’harmoniser les lignes directrices de la société romaine avec les valeurs des nouveaux peuples. Et à cette nouvelle époque de la rencontre des cultures, il considéra comme sa mission de réconcilier et de mettre ensemble ces deux cultures, la culture romaine classique et la culture naissante du peuple ostrogoth. Il fut très actif en politique, également sous Théodoric, qui, les premiers temps, l’estima beaucoup. Malgré cette activité publique, Boèce ne négligea pas ses études, se consacrant en particulier à l’approfondissement de thèmes d’ordre philosophique et religieux. Mais il écrivit également des manuels d’arithmétique, de géométrie, de musique, d’astronomie : le tout avec l’intention de transmettre aux nouvelles générations, aux nouveaux temps, la grande culture gréco-romaine. Dans ce cadre, c’est-à-dire dans l’engagement pour promouvoir la rencontre des cultures, il utilisa les catégories de la philosophie grecque pour proposer la foi chrétienne, ici aussi à la recherche d’une synthèse entre le patrimoine hellénistique-romain et le message évangélique. C’est précisément pour cela que Boèce a été présenté comme le dernier représentant de la culture romaine antique et le premier des intellectuels du moyen-âge.

Son œuvre certainement la plus célèbre est le De consolatione philosophiae, qu’il rédigea en prison pour donner un sens à sa détention injuste. En effet, il avait été accusé de complot contre le roi Théodoric pour avoir pris la défense d’un ami, le sénateur Albin, lors de son jugement. Mais cela était un prétexte : en réalité Théodoric, arien et barbare, soupçonnait Boèce d’éprouver de la sympathie pour l’empereur byzantin Justinien. De fait, jugé et condamné à mort, il fut exécuté le 23 octobre 524, à 44 ans seulement. Précisément en raison de cette fin dramatique, il peut parler à partir de sa propre expérience à l’homme d’aujourd’hui également, et surtout aux très nombreuses personnes qui subissent le même sort à cause de l’injustice présente dans de nombreux domaines de la « justice humaine ». Dans cette œuvre, alors qu’il est en prison, il cherche le réconfort, il cherche la lumière, il cherche la sagesse. Et il dit avoir su distinguer, précisément dans cette situation, entre les biens apparents – en prison ceux-ci disparaissent – et les vrais biens, comme l’amitié authentique, qui même en prison ne disparaissent pas. Le bien le plus élevé est Dieu : Boèce apprit – et il nous l’enseigne – à ne pas tomber dans le fatalisme, qui éteint l’espérance. Il nous enseigne que ce n’est pas le destin qui gouverne, mais la Providence et que celle-ci a un visage. On peut parler avec la Providence, car Dieu est la Providence. Ainsi, même en prison il lui reste la possibilité de la prière, du dialogue avec Celui qui nous sauve. Dans le même temps, même dans cette situation, il conserve le sens de la beauté et de la culture et rappelle l’enseignement des grands philosophes antiques grecs et romains, comme Platon, Aristote – il avait commencé à traduire ces grecs en latin -, Cicéron, Sénèque, et également des poètes comme Tibulle et Virgile.

Selon Boèce, la philosophie, au sens de la recherche de la véritable sagesse, est le véritable remède de l’âme (lib. I). D’autre part, l’homme ne peut faire l’expérience du bonheur authentique que dans sa propre intériorité (lib. II). C’est pourquoi Boèce réussit à trouver un sens en pensant à sa tragédie personnelle à la lumière d’un texte sapientiel de l’Ancien Testament (Sg 7, 30-8-1), qu’il cite : « Contre la sagesse le mal ne prévaut pas. Elle s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre et elle gouverne l’univers pour son bien » (Lib. III, 12: PL 63, col. 780). La soi-disant prospérité des méchants se révèle donc mensongère (lib. IV), et la nature providentielle de la adversa fortuna est soulignée. Les difficultés de la vie révèlent non seulement combien celle-ci est éphémère et de brève durée, mais elles se démontrent même utiles pour déterminer et conserver les relations authentiques entre les hommes. L’adversa fortuna permet en effet de discerner les vrais amis des faux et elle fait comprendre que rien n’est plus précieux pour l’homme qu’une amitié véritable. Accepter de manière fataliste une situation de souffrance est absolument dangereux, ajoute le croyant Boèce, car « cela élimine à la racine la possibilité même de la prière et de l’espérance théologale qui se trouvent à la base de la relation de l’homme avec Dieu » (Lib. V, 3: PL 63, col. 842).

Le discours final du De consolatione philosophiae peut être considéré comme une synthèse de tout l’enseignement que Boèce s’adresse à lui-même et à tous ceux qui pourraient se trouver dans les mêmes situations. Il écrit ainsi en prison : « Combattez donc les vices, consacrez-vous à une vie vertueuse orientée par l’espérance qui pousse le cœur vers le haut, jusqu’à atteindre le ciel avec les prières nourries d’humilité. L’imposition que vous avez subie peut se transformer, si vous refusez de mentir, en l’immense avantage d’avoir toujours devant les yeux le juge suprême qui voit et qui sait comment sont vraiment les choses » (Lib. V, 6: PL 63, col. 862). Chaque détenu, quel que soit le motif pour lequel il est en prison, comprend combien cette condition humaine particulière est lourde, notamment lorsqu’elle est aggravée, comme cela arriva à Boèce, par le recours à la torture. Particulièrement absurde est aussi la condition de celui qui, encore comme Boèce – que la ville de Pavie reconnaît et célèbre dans la liturgie comme martyr de la foi -, est torturé à mort sans aucun autre motif que ses propres convictions idéales, politiques et religieuses. Boèce, symbole d’un nombre immense de détenus injustement emprisonnés de tous les temps et de toutes les latitudes, est de fait une porte d’entrée objective à la contemplation du mystérieux Crucifié du Golgotha.

Marc Aurèle Cassiodore, un calabrais né à Squillace vers 485, qui mourut à un âge avancé à Vivarium, vers 580, fut un contemporain de Boèce. Lui aussi d’un niveau social élevé, il se consacra à la politique et à l’engagement culturel comme peu d’autres personnes dans l’Occident romain de son époque. Les seules personnes qui purent l’égaler dans son double intérêt furent peut-être Boèce, déjà mentionné, et le futur pape de Rome, Grégoire le Grand (590-604). Conscient de la nécessité de ne pas laisser sombrer dans l’oubli tout le patrimoine humain et humaniste, accumulé au cours des siècles d’or de l’empire romain, Cassiodore collabora généreusement, et aux niveaux les plus élevés de la responsabilité politique, avec les peuples nouveaux qui avaient traversé les frontières de l’empire et qui s’étaient établis en Italie. Il fut lui aussi un modèle de rencontre culturelle, de dialogue, de réco
nciliation. Les événements historiques ne lui permirent pas de réaliser ses rêves politiques et culturels, qui visaient à créer une synthèse entre la tradition romano-chrétienne de l’Italie et la nouvelle culture des Goths. Ces mêmes événements le convainquirent cependant du caractère providentiel du mouvement monastique, qui s’affirmaient dans les terres chrétiennes. Il décida de l’appuyer en lui consacrant toutes ses richesses matérielles et toutes ses forces spirituelles.

Il conçut l’idée de confier précisément aux moines la tâche de retrouver, conserver et transmettre à la postérité l’immense patrimoine culturel de l’antiquité, pour qu’il ne soit pas perdu. C’est pourquoi il fonda Vivarium, un monastère dans lequel tout était organisé de manière à ce que le travail intellectuel des moines soit estimé comme très précieux et indispensable. Il décréta que les moines qui n’avaient pas de formation intellectuelle ne devaient pas s’occuper seulement du travail matériel, de l’agriculture, mais également de transcrire des manuscrits et d’aider ainsi à transmettre la grande culture aux générations futures. Et cela sans aucun dommage pour l’engagement spirituel monastique et chrétien et pour l’activité caritative envers les pauvres. Dans son enseignement, publié dans plusieurs ouvrages, mais surtout dans le traité De anima et dans les Institutiones divinarum litterarum, la prière (cf. PL 69, col. 1108), nourrie par les saintes Ecritures et particulièrement par la lecture assidue des Psaumes (cf. PL 69, col. 1149), est toujours au centre, comme nourriture nécessaire pour tous. Voilà, par exemple, la façon dont ce très docte calabrais introduit son Expositio in Psalterium : « Ayant refusé et abandonné à Ravenne les sollicitations de la carrière politique, marquée par le goût écœurant des préoccupations mondaines, et ayant goûté le Psautier, un livre venu du ciel comme un authentique miel de l’âme, je me plongeai avec avidité, comme un assoiffé, dans la lecture incessante afin de me laisser imprégner entièrement de cette douceur salutaire, après en avoir eu assez des innombrables amertumes de la vie active » (PL 70, col. 10).

La recherche de Dieu, visant à sa contemplation – note Cassiodore -, reste l’objectif permanent de la vie monastique (cf. PL 69, col. 1107). Il ajoute cependant que, avec l’aide de la grâce divine (cf. PL 69, col. 1131.1142), on peut parvenir à une meilleure compréhension de la Parole révélée grâce à l’utilisation des conquêtes scientifiques et des instruments culturels « profanes », déjà possédés par les Grecs et les Romains (cf. PL 69, col. 1140). Cassiodore se consacra, quant à lui, aux études philosophiques, théologiques et exégétiques sans créativité particulière, mais attentif aux intuitions qu’il reconnaissait comme valables chez les autres. Il lisait en particulier avec respect et dévotion Jérôme et Augustin. De ce dernier, il disait : « Chez Augustin il y a tellement de richesse qu’il me semble impossible de trouver quelque chose qu’il n’ait pas déjà abondamment traité » (cf. PL 70, col. 10). En citant Jérôme, en revanche, il exhortait les moines de Vivarium : « Ce n’est pas seulement ceux qui luttent jusqu’à verser leur sang ou qui vivent dans la virginité qui remportent la palme de la victoire, mais également tous ceux qui, avec l’aide de Dieu, l’emportent sur les vices du corps et conservent la rectitude de la foi. Mais pour que vous puissiez, toujours avec l’aide de Dieu, vaincre plus facilement les sollicitations du monde et ses attraits, en restant dans celui-ci comme des pèlerins sans cesse en chemin, cherchez tout d’abord à vous garantir l’aide salutaire suggérée par le premier psaume qui recommande de méditer nuit et jour la loi du Seigneur. En effet, l’ennemi ne trouvera aucune brèche pour vous assaillir si toute votre attention est occupée par le Christ » (De Institutione Divinarum Scripturarum, 32: PL 69, col. 1147). C’est un avertissement que nous pouvons accueillir comme valable également pour nous. Nous vivons, en effet, nous aussi à une époque de rencontre des cultures, du danger de la violence qui détruit les cultures, et de l’engagement nécessaire de transmettre les grandes valeurs et d’enseigner aux nouvelles générations la voie de la réconciliation et de la paix. Nous trouvons cette voie en nous orientant vers le Dieu au visage humain, le Dieu qui s’est révélé à nous dans le Christ.

Puis le pape a lu le résumé de sa catéchèse, en français :

Chers Frères et Sœurs,

Nous nous intéressons, ce matin, à deux grandes et belles figures chrétiennes du Haut Moyen-âge : Boèce et Cassiodore.

Boèce, né à Rome en 480, devient sénateur à l’âge de vingt-cinq ans. Condamné à mort pour des motifs auxquels sa foi n’est pas étrangère, c’est en prison qu’il rédige son œuvre la plus connue, le De consolatione philosophiae, où il fait dialoguer l’homme avec la philosophia perennis. Il en ressort que la philosophie est la seule médecine véritable pour l’homme, qui fait l’expérience que le bonheur authentique est au fond de lui-même. Dieu reste cependant le bonheur suprême. Il est dangereux de considérer la condition souffrante comme une fatalité, car cela ôte la possibilité de prier et d’espérer. Boèce, symbole de tous ceux qui ont à souffrir injustement pour des raisons idéologiques, politiques ou religieuses, invite à la contemplation du mystérieux Crucifié du Golgotha.

Cassiodore est né en 485 en Calabre, alors que l’empire romain d’Occident vient de tomber. Conscient de la nécessité de ne pas perdre l’héritage humaniste de l’Antiquité, il tenta, à travers ses hautes charges politiques, d’élaborer une synthèse entre la tradition romano-chrétienne de la péninsule et la nouvelle culture des Goths. Il choisit la vie monastique pour poursuivre ce travail intellectuel et culturel. Il était convaincu que la science et la culture profane sont utiles à la compréhension des Écritures, que les moines et les fidèles sont invités à méditer jour et nuit.

Je salue les pèlerins francophones, en particulier les jeunes du collège de Vaugneray et les pèlerins de l’Île de la Réunion. Puissiez-vous mobiliser toutes les ressources de votre intelligence pour rechercher toujours la vraie sagesse, qui est le Christ. Avec ma Bénédiction apostolique.

© Copyright du texte original plurilingue : Librairie Editrice du Vatican