ROME, Dimanche 10 février 2008 (ZENIT.org) – « Le dialogue interreligieux est comme un pèlerinage et une remise en question », affirme le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, dans cet entretien accordé à ZENIT.
Le cardinal évoque notamment la visite au Vatican des 138 musulmans (devenus 241), auteurs d’une lettre au pape à laquelle Benoît XVI a répondu en proposant une rencontre à Rome.
Zenit – L’année 2008 sera marquée, dans le cadre du dialogue interreligieux par l’année européenne du dialogue interculturel. Pouvez vous nous en dire plus sur cette initiative et sur l’engagement de l’Église dans cet événement.
Card. Tauran – Nous ne sommes qu’à la fin du mois de janvier, et n’avons pas encore pris la mesure de l’initiative, mais ce qui est important, ce qu’ont mis d’ailleurs les responsables européens en relief, c’est que plus d’un tiers des Français sont quotidiennement en contact avec des gens qui appartiennent à une race différente, à une religion différente, à une culture différente, et donc ils sont condamnés, si je puis dire, à dialoguer pour se connaître et vivre ensemble. Donc je pense qu’il y a beaucoup d’efforts à faire pour progresser dans ce dialogue et personnellement, ce que je vais proposer, c’est qu’il y ait peut-être une initiative commune entre le Conseil pontifical pour la culture et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, afin de voir comment aider nos contemporains à progresser dans cette connaissance mutuelle qui est faite de respect de l’autre mais aussi respect des identités des uns et des autres.
Zenit – Concernant le dialogue interreligieux, quelles sont, en tant que président du Conseil pontifical, vos attentes et vos espérances pour cette nouvelle année ?
Card. Tauran – En ce qui me concerne, je suis dans ce poste depuis le mois de septembre, je me considère encore dans la période du noviciat ! Donc pour moi, cette année va être une année de découverte. Les choses qui me semblent très intéressantes, c’est d’abord que ce dialogue interreligieux n’est pas nouveau. Depuis le concile, il y a beaucoup de choses qui ont été réalisées, beaucoup de chemin a été parcouru. Par exemple, une chose que j’ai découverte, et qui me semble magnifique, c’est ce dialogue interreligieux entre monastères, entre contemplatifs. Des moines et des moniales catholiques qui se rencontrent avec des moines et des moniales bouddhistes par exemple, ou même avec des représentants du soufisme. Donc ça c’est une chose qui me semble importante, c’est ce que j’appelle « le dialogue des spiritualités ». On parle du dialogue de la vie, du dialogue théologique, mais le dialogue des spiritualités, c’est ce dialogue entre personnes pour qui la prière est la raison de vivre, qui font profession monastique de vie radicale, soit dans le monde chrétien, soit dans la tradition asiatique ou dans l’islam. Et je crois que l’on a besoin d’approfondir ce dialogue entre les spiritualités. Puisque finalement, c’est quand l’homme prie qu’il est le plus grand. Donc essayons de le rencontrer lorsqu’il est justement au top de sa dignité.
Zenit – Le dialogue avec les musulmans semble engagé avec la venue programmée des émissaires musulmans au Vatican pour préparer une rencontre plus large ultérieure. Mais des divergences existent sur les sujets à aborder. Quelles sont selon vous, éminence, les priorités et les points les plus féconds de discussion ?
Card. Tauran – Évidemment, je ne peux pas préjuger de ce que nos amis musulmans ont en tête lorsqu’ils vont venir ici discuter avec nous, mais je pense que nous pourrons partager des convictions communes : par exemple l’adoration du Dieu unique, la sacralité de la vie humaine, la dignité de la famille, le souci de l’éducation de la jeunesse. Et puis alors évidemment après il faudra discuter d’autres problèmes, par exemple l’interprétation des droits de l’homme tels que les conventions internationales les définissent, ou encore le principe de la réciprocité qui est très important dans le contexte de la liberté religieuse. Je crois que ce sont des problèmes dont nous pourrons parler.
Zenit – Une grande partie de votre ministère, Éminence, s’est déroulée au service de la diplomatie vaticane. En quoi cette expérience vous sert-elle aujourd’hui ?
Card. Tauran – Elle me sert aujourd’hui dans la mesure ou la diplomatie est basée sur le dialogue, l’écoute de l’autre, savoir écouter, savoir saisir les nuances et ensuite exposer son point de vue en toute vérité. Parce que contrairement a ce qu’on pense, la diplomatie n’est pas du tout le mensonge ou l’ambiguïté. C’est au contraire la vérité, de manière à ce que la négociation puisse aboutir sans qu’il y ait derrière une seconde intention. Mais je crois qu’il faut distinguer entre le dialogue interreligieux et le dialogue diplomatique, parce que le dialogue interreligieux, ce n’est pas seulement une conversation entre amis, vouloir être agréable à l’autre. Ce n’est pas non plus une négociation, parce qu’une négociation, c’est résoudre un problème, trouver une solution, et c’est fini. Le dialogue interreligieux est comme un pèlerinage et une remise en question. Un pèlerinage en ce sens que nous sommes invités à sortir de nous-mêmes, pour aller à la rencontre de l’autre, faire un bout de chemin avec lui pour mieux le connaître, et ensuite c’est un risque, parce que lorsque je demande à l’autre « quel est ton Dieu, comment vis-tu ta foi ? », eh bien je m’expose aussi à ce que la personne que j’ai en face de moi me pose la même question à moi-même. Et donc je suis obligé aussi de répondre. C’est donc à la fois un pèlerinage et un risque.
Zenit – Ce dialogue interreligieux est très proche de la politique ou des options de certains Etats. Est-il possible de demeurer au niveau religieux sans être instrumentalisé par ces derniers, quels qu’ils soient ?
Card. Tauran – L’instrumentalisation est toujours possible. Mais je crois qu’il faut se garder, disons, à la fois, de séparer le religieux du politique de manière hermétique, et de les confondre. Je crois qu’il faut insister sur le concept de distinction. On peut séparer les Églises de l’Etat, sans doute, mais on ne peut pas séparer les Églises de la société, c’est impossible, nous en faisons l’expérience. Donc ce qui est important c’est qu’il y ait distinction et collaboration puisque dans le fond, le gouvernement et un responsable religieux s’occupent du même homme, qui est à la fois citoyen et croyant. Donc il y a fatalement une coopération, distinction des compétences mais coopération pour le bien commun et pour le bien de cette personne.
Zenit – Vous qui avez passé l’essentiel de votre ministère hors de France, quel regard portez-vous sur cette Église aujourd’hui ?
Card. Tauran – Sans doute l’Église qui est en France a-t-elle connu une crise, c’est une banalité que de le dire. Mais je crois qu’il y a maintenant des signes de reprise. En particulier, je suis toujours frappé quand on visite les séminaires, quand on voit les jeunes prêtres, eh bien il y a certainement une nouvelle génération qui est beaucoup plus soucieuse de transmettre une expérience spirituelle, je pense. Je crois que dans la France d’aujourd’hui, ce qui est important, c’est qu’on voie des chrétiens qui prient, des chrétiens qui célèbrent, et des chrétiens qui soient aux avant-postes de la charité, qui exercent ce que j’appelle le pouvoir du coeur. Dans une société qui est dans le fond très dure, parfois impitoyable, nous avons ce pouvoir du coeur, c’est à dire de semer la miséricorde, de témoigner de cet amour de Dieu envers nous qui passe à travers l’amour fraternel. Parce que dans le fo
nd, la meilleure manière de montrer que Dieu est Père, c’est de vivre en frères.
Zenit – Une dernière question si vous voulez bien. Je reviens à ce dialogue avec les musulmans : le risque n’est-il pas simplement de faire un dialogue sympathique mais qui laisse de côté les problèmes et les divisions ?
Card. Tauran – C’est un risque sans doute, mais je crois que tout l’intérêt de cette réunion que nous allons avoir avec les représentants des 138, qui sont maintenant d’ailleurs 241, c’est de mettre sur pied une structure de dialogue, comme un canal qui sera toujours ouvert et où on pourra se retrouver. C’est un peu ce que voudrais proposer, de manière à ce que justement ce dialogue soit quelque chose de continu, de structuré, pour éviter une certaine superficialité. Tout en soulignant bien que nous ne disons pas : « toutes les religions se valent ». Nous disons « tous les chercheurs de Dieu ont la même dignité ». C’est ça le dialogue interreligieux, ce n’est pas du tout un syncrétisme. C’est dire : « toutes les personnes qui sont à la recherche de Dieu ont la même dignité, donc doivent jouir de la même liberté, du même respect ».