ROME, Dimanche 21 octobre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le discours que le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat, a prononcé le 8 octobre dernier lors d’un congrès organisé à l’hôpital Umberto I de Rome sur le thème : « La guérison entre sciences et sentiments. 40 ans de recherche, stratégies, développement thérapeutique et du diagnostic. Témoignages humains et implications psychologiques ».
CONGRÈS ORGANISÉ PAR L’HÔPITAL UMBERTO I,
SERVICE D’ONCOLOGIE PÉDIATRIQUE, SUR LE THÈME :
« La guérison entre sciences et sentiments ».
40 ans de recherche, stratégies, développement thérapeutique et du diagnostic.
Témoignages humains et implications psychologiques
INTERVENTION DU CARDINAL TARCISIO BERTONE
Aula Magna du Rectorat de l’Université « La Sapienza » (Rome)
Lundi 8 octobre 2007
Monsieur le Président du Congrès,
Monsieur le Recteur de l’Université « La Sapienza »,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Autorités,
Eminents professeurs et experts,
Mesdames et messieurs!
Après les aimables paroles d’introduction du Prof. Manuel Castello, directeur du service de pédiatrie de l’Université « La Sapienza » de Rome, je m’apprête à prendre la parole au début de votre Congrès, dans cette « Aula Magna », lieu de rencontres de haute valeur scientifique. Mon expérience passée en tant que professeur universitaire, Doyen de faculté et Recteur magnifique de l’Université pontificale salésienne, m’a certes habitué à des manifestations de ce genre, mais je ne vous cache pas qu’intervenir aujourd’hui à votre Congrès suscite en moi une certaine émotion, non seulement en raison du sujet traité, mais aussi, et surtout, parce qu’il s’agit d’enfants malades et qui souffrent. Je pense aux années passées, lorsque j’étais Président de l’Institut Gaslini de Gênes, et que je m’approchais avec un cœur de père et de frère des enfants hospitalisés et de leur famille. Aujourd’hui, en ce lieu, nous, représentants du monde universitaire et scientifique, médical et sanitaire, politique et social, ainsi que des familles, des religieux et des volontaires, sommes tous réunis avec un objectif commun: rechercher les instruments et les méthodes pour venir en aide, chacun selon ses propres compétences et qualités professionnelles, aux enfants malades du cancer, que beaucoup appellent encore « le mal du siècle ».
« La guérison entre science et sentiments »: la formulation du thème nous présente déjà, pour ainsi dire, la « dimension » particulière que revêt notre réflexion. A côté de l’analyse de 40 ans de recherche, de stratégies expérimentales et de développement thérapeutique et du diagnostic, nous entendrons plusieurs témoignages personnels, qui offrent la contribution de leur expérience humaine, psychologique et spirituelle, certainement d’un grand impact émotif. « Maxima debetur puero reverentia » écrivait Juvénal (cf. Satira XIV, v. 47), l’enfant mérite le plus grand respect, encore plus lorsqu’il est malade, car – affirme Novalis – chaque enfant est un amour devenu visible. Et ici, aujourd’hui, nous reparcourons idéalement quatre décennies d’activité du Service d’oncologie pédiatrique. Combien d’enfants ont séjourné ici au cours de ces années! Combien d’entre eux n’ont pas résisté au choc violent du mal et ne sont plus parmi nous; combien, en revanche, grâce à Dieu et aux soins pratiqués, ont surmonté le difficile obstacle de la maladie et peuvent à présent apporter le témoignage d’une existence sereine! Un témoignage qui constitue sans aucun doute un encouragement pour tous ceux qui affrontent actuellement le même calvaire: je pense aux enfants hospitalisés dans les divers services d’oncologie pédiatrique de Rome et d’autres parties du monde, ainsi qu’à leurs familles, qui les accompagnent dans cette difficile traversée du mystère de la douleur. A ce propos, votre Congrès écoutera certains de ces « anciens enfants » malades, à présent guéris et insérés dans la société. En lisant leur histoire, j’ai été ému. Je pense, cher Professeur Castello, à Angelo, un enfant soigné à l’époque dans votre service, qui, en passant par Rome, est venu vous rendre visite et vous embrasser. « Je ne pouvais pas manquer de venir vous saluer », a-t-il dit. Dans ces paroles, il y a toute la gratitude et la joie pour la santé recouvrée, une joie partagée par ceux qui ont lutté en personne et par ceux qui, comme vous – médecins, professionnels de la santé, psychologues, volontaires, familles -, ont contribué dans une très grande mesure à la victoire de la santé sur la maladie, de la vie sur la mort.
Vous avez envoyé, en vue de ce Congrès, 271 lettres à des familles d’enfants malades qui ont été hospitalisés dans votre service. Et vous avez reçu, me semble-t-il, autant de réponses, qui méritent toutes d’être lues, et même méditées avec attention: elles contiennent un message positif à l’égard de la vie, de la société, de l’humanité tout entière. Elles transmettent des sentiments constructifs, d’acceptation de la réalité et de confiance dans la science, de foi en Dieu, des sentiments d’amour et d’encouragement pour les familles et un désir de se consacrer aux autres, de s’ouvrir au monde et de ne jamais se refermer sur soi. Je m’arrêterais volontiers pour les reparcourir toutes entièrement, mais je me limiterai à en évoquer rapidement quelques-unes. Lorella, qui a aujourd’hui 18 ans, écrit: « Cette expérience m’a aidé à juger les personnes pour ce qu’elles sont vraiment à l’intérieur d’elles-mêmes, et non pas sur leur apparence ». Et encore, cette belle réflexion de Gemma, âgée de 18 ans: « C’est la vie que Dieu m’a donnée, cette vie que je veux vivre de manière intense ».
Dans les lettres, on retrouve souvent les expressions: « J’avais vraiment la volonté de vivre », « Je ressentais l’affection des médecins et de ma famille », « Je suis une fille qui a de la chance », « Il faut garder la foi et l’espérance ». « Le cancer – écrit Daniela, qui a aujourd’hui 28 ans – te propulse dans l’âge adulte à 4 ans, et à 20 ans, te fait réaliser combien tu as besoin de redevenir enfant, pour récupérer l’enfance que la radiothérapie et la chimiothérapie ont brûlée en même temps que tes cellules malades ». Il y a ensuite des parents qui invitent à l’espérance, comme la maman de Nicolas, qui écrit: « Avec ce témoignage, je veux m’adresser à tous ceux qui se trouvent dans cette situation: ayez confiance, tant en l’aide de la médecine que du Seigneur. Courage: le soleil brillera bientôt à nouveau ». Et le père d’Edoardo confesse: « Ne pas perdre la tête, chercher avec ténacité des réponses, évaluer de façon critique même les opinions éclairées: tout cela nous a aidés. Mais surtout, ce qui nous a soutenu le plus, a été l’engagement des médecins, des chirurgiens, et du personnel clinique, qui n’ont pas épargné leurs compétences professionnelles et, chose tout aussi importante, leur profonde humanité ».
J’ai voulu commencer ma réflexion par ces témoignages – en réalité, j’aurais pu en citer beaucoup d’autres, tout aussi intéressants et émouvants – car chaque ligne de ces lettres nous fait voir clairement que l’étroite collaboration entre médecins, familles, agents sociaux et témoins de la foi, représente le chemin qui a conduit à des résultats souvent inespérés, et, pourrions-nous dire, à de véritables « miracles » de la science et de l’amour. Des miracles en particulier de l’amour de Dieu qui n’abandonne jamais ses fils, plus encore lorsqu’ils se trouvent dans des situations d’extrême fragilité. Et qu’y a-t-il de plus fragile et touchant qu’un enfant innocent atteint par la maladie! L’expérience de la souffrance est un traumatisme qui bouleverse l’existence; mais dans le même temps, elle peut devenir une profonde expérience humaine qui aide à comprendre le sens et la valeur de la vie. Il faut apprendre à « souffrir avec dignité »:
tel est le défi qui nous concerne tous.
Permettez-moi, à cet égard, de faire référence à un célèbre livre de Viktor E. Frankl intitulé « Homo patiens », dont la première édition a été publiée à Vienne en 1950. Ce grand psychanalyste, qui fut pendant 25 ans Directeur de la polyclinique neurologique de Vienne, a vécu la tragique expérience des camps de concentration nazis, et est mort le 2 septembre 1997. Il y a donc dix ans, et précisément ces jours-ci sont prévues des célébrations commémoratives à Rome, à l’Université pontificale salésienne, à l’initiative notamment du P. Eugenio Fizzoti, salésien comme moi, qui a recueilli l’héritage spirituel de Frankl et a traduit un grand nombre de ses ouvrages en italien. Dans le livre auquel je fais référence, Viktor E. Frankl affronte de manière profondément humaine et fascinante le thème de la liberté humaine, en relation étroite avec la réalité tragique, mais toujours intimement vécue, de la souffrance. « La souffrance – écrit-il – est une croissance, mais elle est également une maturation. L’homme qui croît en se dépassant lui-même mûrit. Et ainsi, le véritable résultat de la souffrance est un processus de maturation. Mais la maturation s’appuie sur le fait que l’être humain parvient à une liberté intérieure en dépit des conditions extérieures ». Et il ajoute ensuite: « Les situations extrêmes permettent donc à l’homme non seulement d’atteindre une liberté intérieure, mais également une maturité intérieure. Et de cette façon, elles deviennent une pierre de touche de la maturité, une experimentum crucis » (Homo patiens, éd. Queriniana, p. 82-83). Selon Frankl, souffrir signifie croître, mûrir, devenir plus riche en humanité parce que « l’homme qui mûrit en souffrant, mûrit face à la vérité ». Et « la souffrance ne possède pas seulement une dignité éthique; elle possède également une importance métaphysique, car elle rend l’homme perspicace et le monde transparent. L’être devient transparent au plus profond d’une dimension métaphysique » (ibid., p. 84). Et, ce grand expert de la psyché humaine, animé par la foi en Dieu, souligne encore qu' »à une vision biologique doit être opposée une image noétique de l’homme. Face à l’homo sapiens doit être placé l’homo patiens ». A l’impératif sapere aude doit en être opposé un autre: pati aude, aie le courage de souffrir! » (ibid., p. 85).
J’arrive à présent à ma conclusion, et, alors que je vous parle, me reviennent en mémoire les images que la télévision nous a souvent montrées du bien-aimé Pape Jean-Paul II, hospitalisé à la polyclinique Gemelli. Il était hospitalisé précisément à côté du service d’oncologie pédiatrique, et il n’est jamais parti sans aller saluer ces petits malades, durement éprouvés, comme lui, par l’expérience de la maladie. Lui, le Pape, Pasteur de l’Eglise universelle et Autorité morale suprême reconnue par le monde entier, rendu faible par la douleur, cloué à un lit; tout près de lui, des petits êtres innocents, des vies qui s’ouvrent à l’espérance, brusquement confrontées à l’absurdité de la souffrance. L’un comme les autres gravement interpellés par l’énigme de la mort. Souffrance, maladie, mort: les raisonnements humains n’arrivent pas à saisir le secret de ce mystère. La foi, seule la foi en Dieu, nous aide à déchirer ce voile pour chercher non pas tant ni seulement la guérison physique, mais plutôt pour comprendre ce qu’est véritablement la vie humaine, au sein de laquelle même la souffrance possède un sens et une valeur.
C’est certainement de l’expérience personnelle de la douleur, que Jean-Paul II vécut de façon dramatique à partir de ce tragique et providentiel 13 mai 1981, et des nombreuses hospitalisations qui ont suivi, qu’est née l’intention de publier, deux ans plus tard, la Lettre apostolique « Salvifici doloris », qui aide les croyants à pénétrer le sens salvifique de la souffrance, en constatant que la souffrance est « quasi inséparable de l’existence terrestre de l’homme ».
Saint Paul nous rappelle que nous sommes tous appelés à compléter par notre propre souffrance ce qui manque aux épreuves du Christ, qui apportent le salut au monde. L’Evangile de la souffrance devient ainsi l’Evangile de l’amour. Jean-Paul II écrit encore: « Le Christ a enseigné à l’homme à faire du bien par la souffrance et à faire du bien à celui qui souffre. Sous ce double aspect, il a révélé le sens profond de la souffrance » qui est à la fois surnaturel, « parce qu’il s’enracine dans le mystère divin de la Rédemption du monde », mais également « profondément humain, parce qu’en lui, l’homme se reconnaît lui-même dans son humanité, sa dignité et sa mission propre » (nn. 30-31). Je forme de tout cœur le vœu que ce Congrès, grâce à la contribution des éminents experts et des témoignages qui seront présentés, aide à saisir la valeur de la souffrance et pousse toujours plus à aimer la vie humaine, don précieux de Dieu à défendre, à protéger et à promouvoir toujours à chacune de ses étapes, du commencement à sa fin naturelle.
Je vous remercie de votre attention et je forme les meilleurs vœux de succès pour les travaux de ce Congrès.
[Traduction française publiée par le site du Vatican]