Biographie du cardinal Cottier, le théologien de Jean-Paul II

Print Friendly, PDF & Email

Entretien avec l’auteur, Patrice Favre

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

ROME, Jeudi 18 octobre 2007 (ZENIT.org) – « Georges Cottier. Itinéraire d’un croyant » : de sa rencontre avec le théologien de Jean-Paul II, Patrice Favre a tiré un livre passionnant. Une biographie grand public qui aide à vivre et à réfléchir tout en levant un voile sur un versant méconnu d’un pontificat exceptionnel. Après avoir présenté son livre, début octobre, à la paroisse de la famille Cottier, à Carouge, en Suisse, l’auteur a bien voulu offrir cette primeur aussi aux lecteurs de Zenit.

Q – Patrice Favre, vous êtes une plume bien connue du grand quotidien au beau titre, « La Liberté », de Fribourg. Comment est né ce livre sur le cardinal Georges-Marie Cottier, dominicain et théologien de la Maison pontificale depuis Jean-Paul II et jusqu’à l’an dernier ?

P. Favre – Ce livre est né de l’élan et l’émotion qui a suivi la mort de Jean Paul II, ce pape immense qui nous a laissé un témoignage bouleversant dans sa maladie et sa mort. A mon retour de Rome, un ami, qui m’avait encouragé à écrire mon précédent livre sur les monastères de Suisse romande, m’a dit : « Il faut faire un livre sur Jean Paul II ! ». Je lui avais fait remarquer que des milliers de pages avaient été écrites sur Jean Paul II, et que je ne voyais pas vraiment ce que je pouvais apporter d’original. Quelques mois plus tard, suite à je ne sais quels cheminements de la Providence, il me dit : « Il faut faire un livre sur le cardinal Cottier ! ». Et là j’ai accepté.

Q – Vous connaissiez déjà le cardinal Cottier, votre compatriote, avant de penser au livre ?

P. Favre – Effectivement, j’ai accepté parce que je connaissais le père Cottier depuis plus de vingt ans, que je l’avais côtoyé dans mon travail de journaliste, et que j’ai toujours apprécié la clarté de son jugement. C’est un homme qui va à l’essentiel, qui est original – il dit dans le livre, « Je ne suis pas dans l’air du temps, et j’espère ne l’être jamais ! ». Il fait remonter son refus des modes théologiques ou médiatiques à son enfance genevoise : être catholique minoritaire dans un canton alors très protestant, cela forge le caractère. L’autre raison qui m’a convaincu d’essayer, est que le père Cottier a toujours été accueillant pour le journaliste que j’étais, et il y avait déjà de la sympathie entre nous.

Q – Vous êtes parti de l’idée d’un livre sur Jean-Paul II, mais la biographie du cardinal Cottier vous a entraîné au-delà, à la rencontre des grands défis du XXe siècle…

P. Favre – En effet, je ne savais pas alors que ce livre irait bien au-delà des « années Jean Paul II ». Lorsque le père Cottier fut appelé à Rome en 1989, il avait 67 ans. L’âge de la retraite… Et ces 67 ans de vie se révélèrent d’une richesse que je ne soupçonnais pas. Pensez qu’en 1943 déjà il s’exprimait publiquement, dans une aula comble de l’Université de Genève, contre l’Allemagne nazie. Il fut ensuite l’ami et le soutien théologique du père Jacques Loew, premier prêtre ouvrier de France, sur les docks de Marseille. Tout un chapitre de l’histoire de l’avant-concile s’ouvrait devant moi, un chapitre glorieux – c’est le fameux roman de Gilbert Cesbron, « Les saints vont en enfer » – mais aussi douloureux, puisque les prêtres ouvriers furent interdits par Rome.

Je découvris ensuite que le père Cottier avait suivi le concile Vatican II comme expert d’un grand évêque français, Mgr de Provenchères, puis comme expert du cardinal Journet. Il a donc vécu aux premières loges ce qui fut l’événement majeur de la vie de l’Eglise au XXe siècle, et cela rendait plus intéressant encore son jugement sur la grande crise qui suivit le concile.

Q – Si vous me permettez, votre livre a aussi un aspect « polar » théologique, étant donné l’engagement du cardinal Cottier pour la liberté au-delà du rideau de fer, mais toujours dans le dialogue avec qui ne partage pas la foi des chrétiens. Comment résumer cet itinéraire de la Résistance (« sous les géraniums », au ch. 4) au « frigo vide à Moscou » (ch. 7)…

P. Favre – « L’athéisme du jeune Marx », c’était déjà le titre de la thèse que le père Cottier consacra à Karl Marx en 1959. Or, le bras de fer entre le christianisme et le marxisme est un des axes majeurs du siècle passé, et le père Cottier fut très souvent aux premières lignes dans ce combat difficile. Car il y a eu une tentation marxiste, au sein du catholicisme et du monde intellectuel en particulier. Etant un des mieux formés, le père Cottier fut un des acteurs importants de la résistance catholique, vous le verrez dans le livre. Dans les années 80 et 90, on retrouve le père Cottier dans un château de Ljubljana, dans un hôtel truffé de micros à Budapest, dans les bâtiments staliniens de Moscou. Il participait à des colloques de très haut niveau où délégués du Vatican et représentants du communisme soviétique essayaient de dialoguer, sous l’œil du KGB. Et on le retrouve aussi à de nombreuses reprises en Amérique latine, pour participer aux débats suscités par la théologie de la libération. Et puis il y a les livres et les dizaines d’articles publiés dans « Nova et Vetera », la revue que le père Cottier dirigeait depuis la mort du cardinal Journet en 1975.

Q – Vous soulignez un autre aspect du « dialogue » dans la vie du cardinal Cottier : la rencontre avec le judaïsme (« L’ami des Juifs », ch. 10) et la lutte contre l’antisémitisme…

P. Favre – Oui, on pourrait parler aussi de ses amitiés juives et de sa lutte contre l’antisémitisme, mais aussi de Mai 68, qu’il a vécu comme professeur et qui lui inspire des réflexions à mon avis éclairantes, mais je ne veux pas vous raconter le livre. L’intéressant est que cette biographie du cardinal Cottier nous permet de revivre les événements décisifs du siècle écoulé, avec l’éclairage, le jugement d’un chrétien. C’est un livre qui m’a « rafraîchi la mémoire », et qui permet, je pense, de mieux comprendre notre époque.

Q – Vous concluez le livre sur l’amitié. Quelle place tient l’amitié dans l’itinéraire du cardinal Cottier ?

P. Favre – Au cours de ce travail, j’ai pu découvrir ses amis, en particulier ceux qu’il appelle ses « aînés ». Le père Cottier ne serait pas ce qu’il est devenu s’il n’avait pas rencontré et suivi des personnes qui ont joué un rôle décisif dans sa vie. En tout premier lieu l’abbé Journet, un autre Genevois dont on n’a pas mesuré le rôle en Suisse romande, puis Jacques Maritain, le père de Menasce, Jacques Loew déjà cité, des cardinaux comme Lustiger, Etchegaray, Ratzinger, et bien sûr Jean Paul II dont on parle beaucoup dans ce livre. En face, comme un contrepoint à ces grandes figures, vous trouverez dans ce livre les maîtres de la culture moderne, les Rousseau, Marx, Sartre, Nietzsche, et d’autres encore, que le père Cottier a beaucoup fréquenté, intellectuellement du moins, qui ont rendu la vie dure à l’Eglise et à la foi chrétienne.

Q – Vous vous défendez d’avoir fait un « livre d’histoire », en effet la réflexion philosophique n’est pas absente ! Quelle question fondamentale vous êtes-vous posée ?

P. Favre – Ce livre parle de l’histoire mais ce n’est pas un livre d’histoire, parce qu’il ne cesse de revenir à une question présente : comment peut-on croire aujourd’hui ? Comment peut-on être raisonnablement catholique au XXIe siècle ? Les entretiens que vous trouverez dans le livre, ces discussions sur le bonheur, la sexualité, l’écologie, la souffrance et même le diable – puisqu’il dit qu’il f
aut en parler davantage – toutes ces discussions donc sont portées par une question de fond : comment l’Eglise, celle de Jean Paul II, de Benoît XVI et du cardinal Cottier, peut-elle prétendre aujourd’hui que Dieu existe, et que la foi chrétienne fait le bonheur de l’homme ? Pourquoi le père Cottier, qui s’est frotté dès sa jeunesse aux grands penseurs de la modernité, n’est-il pas devenu marxiste, sartrien, nietzschéen, ou tout simplement indifférent, comme beaucoup ?

Mais n’étant pas philosophe, je n’ai pas écrit un traité philosophique, j’en serais bien incapable. C’est avec mes mots de journaliste que j’ai transcrit les réponses du père Cottier. Lequel a heureusement accepté de relire et de corriger nos entretiens. Comme il avait corrigé pendant 15 ans les textes de Jean Paul II, je ne pouvais pas avoir de meilleur correcteur ! Ces échanges m’ont beaucoup appris, et ils m’ont aussi, d’une certaine manière, aidé à penser et à vivre. Il y a une beauté de la foi, une beauté de l’Eglise, une beauté du Christ. J’ai perçu cela à plus d’une reprise en côtoyant le père Cottier pendant les 2 années où nous avons travaillé ensemble. Ce fut pour moi un bonheur, et j’espère n’avoir pas été trop infidèle en essayant de le faire partager dans ces pages.

<i>« Georges Cottier, itinéraire d’un croyant », par Patrice Favre. Editions CLD / La Liberté, 258 pages, 20 euros. En librairie depuis le 11 octobre.

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel