ROME, Lundi 14 mai 2007 (ZENIT.org) – Ce que les media italiens ont retenu du dernier jour du voyage du pape au Brésil c’est le passage du discours de dimanche soir, où Benoît XVI renvoie dos à dos le marxisme (tentation d’une certaine tendance de la théologie de la libération) et le capitalisme, tous deux incapables de tenir leurs promesses pour les pauvres.
Benoît XVI y rappelle aussi que l’Eglise ne peut pas être un sujet politique. Le pape a ainsi réaffirmé « l’option préférentielle de l’Eglise et son engagement pour les pauvres », grâce à la libération qu’apporte l’Evangile du Christ.
En outre, le pape défend les populations autochtone, soulignant comment elles ont réussi une synthèse originale entre l’Evangile que les missionnaires leur ont apporté et leurs propres cultures, sans les renier. Un passage d’autant plus remarqué que le pape a accompagné ses discours d’un don en faveur de la protection de l’Amazonie et de ses populations.
Nous ne reprenons ici que quelques extraits de ce très long et passionnant discours de Benoît XVI pour l’ouverture, dimanche soir, des travaux des évêques d’Amérique latine et des Caraïbes, qui se poursuivront jusque fin mai.
Cette assemblée a, rappelons-le, pour thème : « Disciples et missionnaires de Jésus Christ, pour que nos peuples aient la vie, en lui ; Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ». Le thème a été approuvé par Benoît XVI, moyennant l’ajout de « en lui » : une petite modification qui dit l’accent christologique de l’annonce de l’Evangile à laquelle l’Amérique latine et les Caraïbes sont appelées en ce début de IIIe millénaire, selon la vision de Benoît XVI.
L’inauguration de cette conférence a commencé par la messe du matin, en plein air, devant des centaines de milliers de personnes, au sanctuaire marial d’Aparecida, et s’est poursuivie par la célébration des secondes vêpres de ce VIe dimanche de Pâques.
Le pape a répondu au discours d’accueil du cardinal Francisco Javier Errázuriz Ossa, archevêque de Santiago du Chili, président du Conseil épiscopal latino-américain et des Caraïbes.
Benoît XVI a tout d’abord rendu grâces à Dieu pour le « grand don de la foi chrétienne » dans ce continent en disant : « La foi en Dieu a animé la vie et la culture de ces peuples pendant plus de cinq siècles ».
« Mais, interrogeait le pape, quel a été le sens de l’acceptation de la foi chrétienne par les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes ? Pour eux, cela a signifié connaître et accepter le Christ, ce Dieu inconnu que leurs ancêtres, sans le savoir, recherchaient dans leurs riches traditions religieuses. Le Christ était le Sauveur qu’ils désiraient silencieusement ».
A propos des cultures indigènes, le pape a souligné, contrairement à certaines idées reçues sur l’histoire du sous-continent, que « l’annonce de Jésus et de son Evangile n’a jamais sous-entendu l’annulation des cultures précolombiennes, et n’a pas non plus été l’imposition d’une culture étrangère ».
Dans ce sens, il a souligné aussi que « les cultures authentiques » sont celles qui « recherchent la rencontre avec les autres cultures car elles souhaitent atteindre l’universalité dans la rencontre et le dialogue avec les autres formes de vie et avec les éléments qui peuvent les conduire à une nouvelle synthèse qui respecte toujours la diversité des expressions et des réalisations culturelles concrètes ».
« La sagesse des peuples autochtones les a heureusement aidés à faire une synthèse de leurs cultures avec la foi chrétienne offerte par les missionnaires. De cette rencontre est née la riche et profonde religiosité populaire, l’âme des peuples latino-américains », affirmait le pape.
Pour ce qui est du phénomène de la mondialisation, Benoît XVI en soulignait les deux aspects : elle peut être « considérée par certains aspects un succès de la grande famille des hommes », et en même temps, elle « comporte également le risque des grands monopoles et de convertir le bénéfice en valeur suprême ».
Notons que le thème a été étudié dans un livre récemment publié en français aux éditions canadiennes Anne Sigier, par le prof. Guzman Carriquiry Lecour, sous-secrétaire du Conseil pontifical pour les Laïcs, avec pour titre : « Globalisation et Humanisme Chrétien. Perspective sur l’Amérique Latine » (cf. Zenit du 2 mars 2007). Uruguayen, marié et père de famille, le prof. Carriquiry travaille depuis 30 ans au dicastère romain pour les laïcs : il était à Aparecida et participera aux travaux de la Ve conférence du CELAM. Il a présenté son livre, préfacé par le cardinal Marc Ouellet, au centre culturel Saint-Louis de France le 26 avril dernier (cf. www.saintlouisdefrance.it).
Pour ce qui est des régimes politiques, le pape faisait observer : « En Amérique latine et aux Caraïbes, comme dans d’autres régions du monde, les démocraties l’emportent, même si demeurent quelques préoccupations devant certaines formes de gouvernements autoritaires ou sujets à des idéologies que l’on croit dépassées, et qui ne correspondent pas à la vision chrétienne de l’homme et de la société, comme nous l’enseigne la doctrine sociale de l’Eglise. D’autre part, l’économie libérale de certains pays latino-américains doit tenir compte de l’égalité, puisque les secteurs sociaux de plus en plus éprouvés par une énorme pauvreté et même expropriés des biens naturels propres ne cessent d’augmenter ».
Un autre défi pour le sous-continent américain : les sectes. Le pape déplorait que malgré « la maturité dans la foi » de nombreux laïcs et catéchistes, on constate en même temps « un certain affaiblissement de la vie chrétienne, perceptible dans l’ensemble de la société », et « le prosélytisme de nombreuses sectes, de religions animistes et de nouvelles expressions pseudo religieuses ».
Le pape évoquait une autre objection. « Face à la priorité de la foi en Jésus Christ et de la vie en lui, formulée dans le thème de cette conférence, une autre question pourrait être soulevée : cette priorité ne pourrait-elle pas être une fuite vers l’intimisme, vers l’individualisme religieux, un abandon de l’urgente réalité des grands problèmes économiques, sociaux et politiques de l’Amérique latine et du monde, et une fuite de la réalité vers un monde spirituel ? ».
Benoît XVI répondait notamment : « Seul celui qui reconnaît Dieu, connaît la réalité et peut y répondre adéquatement et humainement. La vérité de cette thèse devient évidente face à l’échec de tous les systèmes qui mettent Dieu entre parenthèses ».
C’est pourquoi le pape recommandait la connaissance approfondie de la Bible et une vie eucharistique. « Au début de cette nouvelle étape que l’Eglise missionnaire d’Amérique latine et des Caraïbes se propose d’entreprendre, à partir de la conférence d’Aparecida, une profonde connaissance de la Parole de Dieu est indispensable, affirmait Benoît XVI. C’est pour cela qu’il faut éduquer le peuple à la lecture et à la méditation de la Parole de Dieu ».
Mais le pape ajoutait que « pour former le disciple et soutenir le missionnaire dans sa grande tâche, l’Eglise leur offre, en plus du Pain de la Parole, le Pain de l’Eucharistie », et il réaffirmait la nécessité « de donner la priorité, dans les programmes pastoraux, à la mise en valeur de la messe dominicale », en tant que « centre de la vie chrétienne ».
Le pape recommandait aussi une catéchèse fondée sur le Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, en faisant observer que « la vie chrétienne ne s’exprime pas seulement dans les vertus personnelles mais aussi dans les vertus soci
ales et politiques ».
« Les peuples latino-américains et des Caraïbes ont droit à une vie pleine, propre aux fils de Dieu, avec des conditions plus humaines : libres des menaces de la faim et de toute forme de violence », soulignait Benoît XVI.
Mais, dans ce contexte, « comment l’Eglise peut-elle contribuer à la solution des urgents problèmes sociaux et politiques et répondre aux grands défis de la pauvreté et de la misère ? » Le pape répondait : « Il est alors inévitable de parler du problème des structures, surtout de celles qui créent l’injustice », car « des structures justes sont une condition essentielle pour avoir un ordre juste dans la société ».
C’est ici que le pape a renvoyé dos à dos marxisme et capitalisme en disant : « Le capitalisme comme le marxisme ont promis de trouver la route pour la création de justes structures et ont affirmé que, une fois établies, celles-ci auraient fonctionnées toutes seules » et ceci prétendument « sans avoir besoin d’une morale individuelle préexistante », mais en promouvant « une morale commune ».
Le pape constatait que « cette promesse idéologique s’est démontrée fausse » et que « là où il a été appliqué, le modèle marxiste n’a laissé que ruines économiques et écologiques, et l’oppression ».
Il citait également le système occidental où « le fossé s’accroît entre riches et pauvres et où se produit une grave dégradation de la dignité humaine due à l’alcool, à la drogue et aux mirages du bonheur facile ».
« Les structures sociales bonnes » ne peuvent naître, ajoutait le pape, que par « un consensus moral sur les valeurs fondamentales et le renoncement, y compris personnel, à tout ce qui empêche de les vivre ». Or, « là où Dieu est écarté, le Dieu au visage humain qu’est le Christ, ses valeurs sont largement offusquées et ne font pas consensus ».
« Je ne veux pas dire, précisait le pape, que les non-croyants ne peuvent avoir une moralité élevée, mais qu’une société sans Dieu se prive du consensus nécessaire sur les valeurs morales, y compris contre son propre intérêt ».
Par ailleurs, le pape faisait observer que « les bonnes structures sociales doivent être élaborées sur la base de ces valeurs fondamentales, avec l’aide de la raison sociopolitique et économique ».
Répondant d’avance à une objection, le pape ajoutait : « Si cela ne relève pas de la compétence directe de l’Eglise », cependant, « le respect d’une juste laïcité correspond à l’essence de la tradition chrétienne ».
Benoît XVI mettait en garde contre toute implication de l’Eglise au niveau strictement politique en disant : « Si l’Eglise devenait une sorte de sujet politique, elle n’oeuvrerait pas pour les pauvres et la justice mais perdrait jusqu’à son indépendance et son autorité morale. S’identifiant à la stricte voie politique elle aurait des positions fragiles et contestables ».
Benoît XVI insistait sur cette autonomie de l’Eglise en disant : « Seule l’indépendance de l’Eglise permet de diffuser les grands principes et les valeurs essentielles, d’orienter les consciences et d’offrir un modèle de vie qui dépasse le cadre politique ».
Le pape revenait aussi au rôle des jeunes, en faisant remarquer que « la majorité de la population continentale est composée de jeunes », qui « n’ont pas peur de se sacrifier mais craignent une vie dépourvue de sens ».
C’est pourquoi Benoît XVI les a appelés à « s’engager à renouveler la société selon Dieu », et ceci « en s’opposant aussi aux illusions de la facilité et aux paradis artificiels, ainsi qu’à toute violence ».
Le pape a achevé son discours par une prière inspirée de la demande des pèlerins d’Emmaüs : « Reste avec nous, Seigneur, car déjà le soir tombe ».