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CONCLUSIONS DE NOTRE ASSEMBLEE PLENIERE

Lourdes - Vendredi 7 avril 2006

Notre Assemblée de printemps s’achève. Elle a été dense, peut-être trop. Nous avons souvent exprimé le désir d’un autre rythme de travail. Mais, comme notre Assemblée est un temps d’information mutuelle, de consultation, d’échange sur des initiatives que nous souhaitons prendre, de multiples questions ont toujours tendance à meubler tout le temps disponible.

Une question a été reposée dans notre Assemblée, celle de faire de l’Assemblée de
printemps une Assemblée où pourraient avoir lieu les élections aux différentes
charges de notre Conférence. La prise de responsabilité en début d’année pastorale en serait facilitée. Cela impliquerait sans doute que nous transférions en avril le type d’Assemblée que nous avons au mois de novembre (avec la présence des évêques des DOM et des TOM, des autres évêques invités, des directeurs des services nationaux et de la presse). L’Assemblée de printemps serait un peu plus longue et celle de novembre plus brève, et à huis clos comme celle-ci. Cette hypothèse va être étudiée et, si les conditions sont réunies pour la valider, elle vous sera proposée au vote en novembre prochain.

Nous avons fourni au cours de cette Assemblée un travail important.

1) L’achèvement de la réforme des structures de notre Conférence

Tout d’abord, nous avons mené à bien le dernier volet de la réforme des structures de notre Conférence. Celle-ci a été une œuvre de longue haleine et certains ont pu
se demander en cours de route si nous aboutirions. Avec plaisir nous en voyons aujourd’hui le terme. Un des signes symboliques de l’achèvement de ce travail a été hier le vote des statuts et du règlement intérieur de notre Conférence. Ils ont été adoptés. Nous pouvons donc présenter désormais le texte de ces nouveaux statuts à la Congrégation des Evêques pour approbation.

Au cours de cette Assemblée, nous devions parler des services nationaux. Il s’agissait de préciser à ces services la teneur de la mission que nous leur confions dans le contexte actuel de la vie et de la mission de l’Eglise en France. Ces services nationaux nous sont indispensables à bien des égards et nous remercions ceux et celles qui en assurent la direction et l’animation. Evêques diocésains, nous faisons appel à eux pour qu’ils nous fournissent des études, des documents, des avis autorisés en des domaines spécialisés. Souvent ils nous aident pour la formation de nos équipes diocésaines et, à notre demande encore, ils apportent leur concours à des initiatives pastorales locales. Au plan national ils assument un certain nombre de tâches qui facilitent l’exercice de notre commune responsabilité.

Depuis le mois de novembre un important travail s’est réalisé sous la responsabilité des présidents de commissions épiscopales et de conseils. Cela nous a permis de mettre la dernière main aux lettres de mission de ces services nationaux. Quelques fonctionnements méritent d’être encore précisés mais l’essentiel du travail est fait. Il est heureux que cette étape soit franchie. Car c’est bien la mission qui est première. Chacun va pouvoir s’y consacrer en toute sérénité. Le regroupement de beaucoup de ces services dans la Maison de la Conférence, avenue de Breteuil, facilitera les concertations et les collaborations. Nous avons souhaité ce regroupement tant la synergie dans le travail de ces services nous paraît importante et nécessaire. Le sentiment d’œuvrer à une mission commune en sera renforcé.

Ce regroupement – nous le voyons bien – entraîne un lourd travail pour tous ceux qui y sont plus directement impliqués, salariés et bénévoles. Qu’il me soit permis de leur exprimer ce matin notre reconnaissance.

Au cours de notre Assemblée, nous avons eu une information sur l’état des chantiers des groupes de travail que nous avons demandé de mettre en œuvre au Comité Etudes et Projets. Ils nous fourniront sur les thèmes retenus (Enseignement catholique, anthropologie fondamentale, vie et ministère des prêtres aujourd’hui dans les communautés chrétiennes) des éléments de réflexion et de travail dans les mois qui viennent ou lors de notre prochaine Assemblée de novembre.

2) L’accueil des groupes « traditionalistes » au sein de nos diocèses

Nous avons voulu faire le point sur l’accueil et la place des groupes « traditionalistes » dans nos diocèses. Dans son motu proprio Ecclesia Dei adflicta de 1988, le pape Jean-Paul II demandait aux évêques de répondre « largement et généreusement » aux demandes de fidèles et de groupes de fidèles souhaitant une célébration de la messe selon le missel de 1962, appelée plus communément « messe de saint Pie V ». Or, depuis plus de 15 ans, la situation a beaucoup évolué. Des demandes nouvelles sont apparues, des sociétés de prêtres nouvelles se sont présentées pour se mettre au service de ces groupes, des jeunes sont entrés dans leurs séminaires, des écoles privées prises en charge directement par des parents se sont créées. Chaque évêque a du faire face pastoralement à cette situation en constante évolution. Notre échange a montré que beaucoup portaient la préoccupation de bien articuler l’accueil de la diversité avec la sauvegarde de l’unité de l’Eglise diocésaine : comment reconnaître la place dans l’Eglise d’une diversité de sensibilités liturgiques et d’animations ecclésiales, sans pour autant contribuer à faire naître des Eglises parallèles qui n’auraient pas de liens entre elles ? Nous sentons qu’il y a là un enjeu ecclésiologique et pastoral important. Nous sommes prêts, comme évêques, à nous engager dans ce vrai travail de communion. C’est pourquoi la mise en place d’une structure juridique qui risquerait de distendre les liens de ces fidèles avec leur pleine appartenance à leur Eglise diocésaine ne nous paraît pas opportune.

Nous avons émis le désir de poursuivre notre réflexion et de chercher quel pourrait être, au niveau de notre Conférence, le cadre général et les points de recommandation qu’il serait bon de retenir pour cet accueil des groupes traditionalistes.

Pour donner une suite à cette réflexion, le Conseil permanent a demandé à un petit
groupe de travail de présenter à notre Assemblée du mois de novembre un texte sur cette question.

La question des relations avec la Fraternité Saint Pie X mérite un traitement particulier. Nous savons que le pape Benoît XVI en porte le souci. Dans les semaines ou les mois qui viennent, il devrait donner des directives pour faciliter le chemin vers un retour possible à une pleine communion. Nous les accueillerons dans la foi et les mettrons en œuvre fidèlement. Evangéliquement, tout doit être fait pour que se réalise la parole du Seigneur : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21).

Cette communion doit être recherchée dans la charité et la vérité. La charité implique qu’on cherche à se connaître, à se comprendre, à faire disparaître les images fausses que l’on peut avoir les uns des autres. Elle implique également l’abandon de toute polémique systématique et de toute volonté de confrontation sur le terrain. La vérité implique qu’on soit au clair sur nos points de dissension. Ceux-ci portent moins d’ailleurs sur les questions de liturgie que sur celle de l’accueil du magistère, tout particulièrement de celui du concile Vatican II et des papes de ces dernières décennies. La communion peut s’accompagner de questions, de demandes de précision ou d’approfondissement. Elle ne saurait tolérer un refus systématique du Concile, une critique de son enseignem ent et un dénigrement de la réforme liturgique que le Concile a décrétée.

Certes, des abus ont pu voir le jour dans les années qui ont suivi le Concile ; certains ont pu se réclamer d’un « esprit du Concile » qui n’avait pas grand chose à voir avec lui, comme l’a souligné le pape Benoît XVI dans son discours à la Curie du 22 décembre dernier. Mais il ne faut pas oublier tous ces prêtres, religieux, religieuses et laïcs, qui ont mis en œuvre, avec sagesse et sens apostolique, les réformes conciliaires et ont contribué à la réception en profondeur du Concile dans l’Eglise. Il est important de leur dire aujourd’hui toute notre reconnaissance.

3) Le malaise de la jeunesse comme révélateur d’une crise profonde de notre société

Nous avions prévu de revenir lors de cette Assemblée sur « les violences urbaines » pour réfléchir sur qu’elles exprimaient de notre société, de ses problèmes, de l’échec d’un modèle d’intégration. Les événements liés à la loi sur le « Contrat Première Embauche » (CPE) ont légèrement déplacé notre réflexion. Ils ne l’ont pas pour autant rendu caduque. Car, c’est bien la même interrogation qui rebondit aujourd’hui avec plus de force encore : à travers ces événements que percevons-nous comme crise profonde de notre société ?

Notre pays se trouve, une fois encore, secoué par une crise sociale et politique de grande ampleur. En octobre et novembre derniers, c’étaient les « violences urbaines », expression de la souffrance de jeunes, en grande partie issus de l’immigration, en mal de formation et d’avenir, qui exprimaient leur refus de la discrimination et de la marginalisation. Aujourd’hui, à travers la contestation du CPE, c’est, de nouveau, la souffrance de la jeunesse qui s’exprime, mais cette fois dans le domaine des études et de l’entrée dans le monde du travail. Nous ne pouvons pas ne pas entendre cette souffrance des jeunes, cette angoisse face à leur avenir.

Au-delà du jugement technique que les uns et les autres peuvent porter sur un tel
contrat de travail ou sur son efficacité supposée quant à l’emploi des jeunes, c’est
bien sur sa portée symbolique que les critiques se concentrent : la perception, à tort ou à raison, d’une discrimination négative. Un certain nombre de jeunes savent désormais que, par-delà la difficulté à trouver un travail stable, ils ne pourront pas bénéficier d’un niveau de vie comparable à celui de leurs parents.

Cette contestation manifeste aussi fortement la crise du politique et de la représentativité. Les divisions de la classe politique et les postures, qui apparaissent trop souvent comme un jeu d’acteurs en vue des échéances électorales à venir, accentuent son discrédit. Au-delà des prises de position des uns et des autres, comment se trouve pris en compte l’intérêt général ? Seule une telle prise en compte devrait permettre à notre pays de faire les réformes qui s’avèreront inéluctables dans les années qui viennent. C’est tout l’enjeu de la détermination par le plus grand nombre d’un bien commun pour la cohésion de notre société.

Il n’en reste pas moins que le moment de tension que nous vivons exprime une
anxiété majeure face à l’avenir, l’angoisse d’une classe d’âge qui traverse toutes les classes sociales.

Cette anxiété est sans doute en partie le fruit d’une forme d’éducation et de
l’exacerbation du modèle de la société de consommation, alors que les évolutions
technologiques et la mondialisation économique bouleversent les schémas d’activité et fragilisent l’organisation du travail. Mais ce malaise touche plus profondément les raisons de vivre. Une espérance qui donne le goût d’exister ne peut se réduire à la seule recherche de sécurité. Affirmer le contraire serait entretenir une illusion. La question radicale est de savoir à quoi nous accordons le plus de prix, qu’est-ce qui peut permettre une authentique maîtrise de notre vie, le développement des capacités de chacun, qu’est-ce qui peut nous conduire, au-delà de tous les faux-semblants, sur un chemin de bonheur véritable ?

Il est grand temps que notre société se donne les moyens de mettre en œuvre cette
réflexion, dans une perspective européenne, ouverte sur toutes nos solidarités internationales. Cela ne peut se faire sans donner la parole, sans échange. L’Eglise, dans le plein respect de la laïcité, est prête, pour sa part, à y contribuer.

Notre Assemblée s’achève. Nous allons regagner nos diocèses pour entrer dans la
grande Semaine sainte. Nous allons suivre le Christ dans son mystère pascal.
N’oublions pas que c’est lui, le Ressuscité, qui combat toute fatalité, ouvre l’avenir qui paraissait bouché et fait surgir la flamme de l’espérance. Repartons témoins de cette espérance auprès de tous. Bonne fête de Pâques !

Jean-Pierre Cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux
Président de la Conférence des évêques de France