dans un entretien publié dans le quotidien italien La Stampa.

Le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat a en effet représenté le pape Benoît XVI au sommet de l’ONU du 16 septembre. Il a accordé un entretien à Paolo Mastrolilli.

La Stampa – Eminence, comment le Saint-Siège juge-t-il les idées de réforme de l’Assemblée générale de l’ONU?

Card. Sodano :ce sont de très bonnes propositions. Mieux vaut tard que jamais, dit le proverbe. Soixante ans ont passé depuis ce 26 juin 1945 qui vit naître cette organisation pour mettre en œuvre les grands principes énoncés par le préambule de son statut: sauver les générations futures du fléau de la guerre, réaffirmer les droits fondamentaux de l’homme, et contribuer au développement des peuples. Des fruits concrets ont été visibles, mais c’est aussi un devoir de noter que l’histoire de ces soixante années a encore été marquée par le fléau des guerres et de crimes contre l’humanité, ainsi que par la misère et la faim. Je me souviens qu’après la tragédie de la Bosnie, on a écrit un livre au titre provocateur: « L’ONU est morte à Sarajevo ». Maintenant l’heure est venue de sa résurrection.

La Stampa – Qu’est ce que le Saint-Siège souhaiterait comme réforme?

Card. Sodano :Je vois avec plaisir que le concept d’intervention humanitaire se précise. Maintenant, on veut créer une commission de construction de la paix (« Peacebuilding Commission ») pour ramener la paix dans les pays éprouvés par des rivalités ethniques et par des affrontements armés. Les tragédies qui ont eu lieu dans les Balkans, au Moyen Orient, et en Afrique ont fait méditer les responsables des Nations. Dans les différents documents préparatoires de ce sommet, on a beaucoup parlé de la « responsabilité de protéger ». C’est un concept juridique et politique nouveau qui se développe. Le Saint-Siège demande aux Etats d’avoir le courage d’appliquer les décisions prises à cet égard; On pourra ainsi porter remède aux situations où les autorités nationales ne veulent pas ou ne peuvent pas protéger leurs propres populations.

La Stampa – Quelle est la position du Saint-Siège sur l’invitation à investir 0,7% du produit national brut des pays riches pour le développement ?

Card. Sodano :Le thème du développement est important, tout comme celui de la paix. Il y a entre eux une relation profonde qui avait conduit le regretté pape Paul VI à répéter souvent: « le développement est le nouveau nom de la paix ». Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine. Mais l’ONU n’est pas un « super-gouvernement ». Elle est plutôt la résultante de la volonté politique des pays membres. C’est donc des gouvernements, des parlements, de la culture de la solidarité des différents peuples, que dépend le fait d’assumer ces engagements. C’est l’un des grands engagements que les Etats avaient pris en l’an 2000, au début du IIIe millénaire, dans les fameux « Objectifs de développement du millénaire ». Maintenant le Saint-Siège est favorable à de nouveaux mécanismes ayant pour but de financer le développement mais ce qui compte, c’est la volonté des peuples d’accepter de tels sacrifices pour les pays les plus pauvres. Je me souviens qu’en mars 1995, j’avais aussi participé à la conférence de Copenhague sur le développement social. Les chefs d’Etat s’y sont engagés à donner la priorité au développement, sur tous les objectifs du XXIe siècle. Mais hélas le chemin parcouru a été lent.

La Stampa – Certains remettent en question le rôle même et l’avenir de l’ONU. Selon le Saint-Siège, l’ONU est-elle encore utile? Pourquoi?

Card. Sodano :L’ONU est encore utile, bien sûr! S’il n’existait pas une telle organisation, il faudrait l’inventer. Le problème est plutôt lié à la nécessité de la renouveler. Ce ne doit pas être un organisme pétrifié, mais une institution vivante qui réponde aux besoins des époques. Cela vaut pour le conseil de sécurité, et pour les autres organismes de l’ONU.

La Stampa – Les forces étrangères doivent-elles rester en Irak, jusqu’à ce que le pays se stabilise?

Card. Sodano :La loi de la solidarité oblige les nations du monde à aider l’Irak. Nous souffrons tous devant la tragédie de ces populations et nous devons maintenant tous nous sentir solidaires de ces frères et sœurs. Nous devrons être tous d’accord là-dessus indépendamment du jugement personnel sur l’histoire de ce pays tourmenté.

La Stampa –Quels sont les éléments de continuité et de discontinuité dans la politique étrangère du Saint-Siège entre le pontificat de Jean-Paul II et celui de benoît XVI?

Card. Sodano :Je suis heureux d’avoir apporté ma collaboration au regretté pape Jean-Paul II et maintenant de continuer auprès du pape Benoît XVI. Ce furent 15 ans de grandes initiatives, pour l’Eglise et pour le monde. Mais il y a cette belle tradition, au Saint-Siège, de la continuité. Comme aux Jeux olympiques, l’un transmet à l’autre le flambeau. C’est un aspect de la pérennité de l’Eglise.

La Stampa – Que fera l’Eglise afin que l’Europe réaffirme sa tradition religieuse dans la constitution?

Card. Sodano :Il est logique que le Saint-Siège ait une sollicitude particulière pour l’Europe où le christianisme a plongé ses racines les plus profondes. Du reste, je me souviens d’une phrase écrite l’an dernier par le philosophe Giovanni Reale, après la signature de la Charte constitutionnelle de l’Union européenne: « Sans le christianisme, l’Europe ne serait jamais née! » Maintenant , la Charte est examinée par les différents Etats. On ne doit pas se décourager. La Charte n’est qu’un instrument – qu’elle entre en vigueur ou non – du processus d’intégration européenne. Les chrétiens - catholiques, réformés, orthodoxes - sont la majorité dans les 25 Etats de l’Union et ils ne manqueront certainement pas de donner leur contribution au progrès spirituel du continent.

La Stampa – Comment le Saint-Siège entend-il agir sur le thème des valeurs, après le référendum italien sur les questions de la vie?

Card. Sodano :le Saint-Siège continuera à proclamer le grand principe que le Christ nous a laissé: « L’homme ne vit pas seulement de pain! » Il y a des valeurs pour lesquelles il vaut la peine de vivre et de mourir. C’est l’histoire de toute notre civilisation. Après les récents référendums italiens sur les questions de la vie, on a vu combien ces valeurs sont importantes pour notre peuple. Mais cela implique maintenant un effort culturel pour concilier recherche scientifique et protection de la vie. C’est un défi pour l’avenir, mais on ne pourra jamais oublier la dignité de tout être humain, et la nécessité d’un profond respect de la vie, y compris de la vie à naître.

© La Stampa 2005
[Traduit de l’italien par Zenit]