ROME, Dimanche 25 septembre 2005 (ZENIT.org) – C’est avec les personnes qu’il faut dialoguer, et non avec les systèmes, affirme le père Daniel Madigan, S.J., président de l’Institut pour la Culture et les Religions de l’Université grégorienne de Rome, et récemment nommé par le pape consultant pour les relations avec les musulmans, au Conseil pour le dialogue interreligieux.
Zenit : Le pape Benoît XVI suit-il l’approche de Jean-Paul II pour ce qui concerne les relations avec les musulmans ?
P. Madigan : Il est trop tôt pour résumer l’approche globale du nouveau pontife par rapport aux musulmans, et pour la comparer avec les longues années de travail fait par Jean-Paul II dans ce domaine. Je crois que certains points de son discours aux représentants musulmans à Cologne donnent une idée de son style.
Le Saint-Père a plusieurs fois appelé ses auditeurs « chers et estimés amis musulmans » et je crois savoir que l’utilisation répétée de ces paroles n’était pas dans le texte original distribué aux journalistes. Il s’agit de paroles qu’il a prononcées spontanément pour l’occasion.
Ceci est selon moi un signe important du ton qu’il souhaite voir prendre par l’Eglise. Ceci n’est pas nouveau mais il est important de le souligner, en ces années où les divisions se sont accentuées entre nous.
Il a par ailleurs rappelé l’importance le document du Concile Vatican II « Nostra Aetate » en précisant qu’il s’agit de la Charte du dialogue. Ceci est important à une époque où certaines personnes tentent de remettre en question l’autorité des orientations du Concile exprimées dans ce document.
Dans ce discours le Saint-Père ne parle jamais de l’« islam » même s’il parle deux fois de la foi islamique. Ceci est important car nous avons tendance à parler de l’islam comme s’il s’agissait d’un tout, qui nous submerge car il semble si importante. Mais Benoît XVI indique le chemin en insistant sans cesse (comme l’a fait le concile) sur le fait de parler de personnes et non de systèmes, des musulmans et non de l’islam.
Les personnes ont parfois du mal à croire au dialogue ; au moins une raison à cela est qu’elles ont perdu de vue les croyants eux-mêmes, leurs voisins et collaborateurs, leurs concitoyens, et qu’elles s’imaginent que le dialogue se réfère à des textes anciens et des doctrines historiques. Seules les personnes peuvent dialoguer.
La rencontre de Cologne a montré une autre dimension importante de ce dialogue : le Saint-Père n’a pas hésité à parler en toute honnêteté de ses sérieuses préoccupations. Il n’a pas hésité à évoquer les vérités évidentes concernant la situation de notre monde qui se détériore, sans pour autant blâmer ses « amis estimés ».
Il a au contraire proposé de travailler ensemble pour trouver une issue. Il les a considérés sérieusement en tant que croyants – il a en effet souligné que « nous tous, en tant que chrétiens et musulmans, sommes croyants » – et leur a parlé honnêtement en partant de sa propre foi et en faisant appel à la leur.
Zenit : Le pape ne parle jamais de choc de civilisation mais de rencontre et d’alliance… Les musulmans avec lesquels vous dialoguez pensent-ils toujours ainsi ?
P. Madigan : Il est à noter que le langage du combat, de la lutte, de la guerre est absent de son discours. Ce n’est pas simplement parce qu’il a l’optimisme facile mais il semble comprendre que tout ce discours sur le choc des civilisations peut devenir une prophétie autoprogrammée.
La « civilisation » est une autre de ces grandes idées abstraites qui tend à brouiller l’image des personnes avec lesquelles nous traitons. On parle d’une civilisation islamique, mais presque aucun des musulmans que je connais n’appartient à cette civilisation telle qu’on la décrit. J’ai beaucoup de contacts avec des musulmans de différents pays, avec différents styles de vie, et ce sont des personnes extrêmement variées.
J’ai la chance d’être en contact chaque jour depuis cinq ans avec un formidable groupe d’étudiants venus à Rome pour étudier le christianisme afin de promouvoir le dialogue et la compréhension. Ils n’ont certainement pas perdu espoir dans le dialogue.
Une partie importante de leur expérience est d’aller au-delà du discours sur « l’Occident » et « le christianisme », et de vivre aux côtés de vrais chrétiens. Encore une fois, ce sont les personnes qui sont la clé, pas les systèmes.
Zenit : Vous êtes un expert de l’islam et connaissez très bien les textes mais vous connaissez aussi de nombreuses personnes. Où voyez-vous les plus grandes possibilités de dialogue et quels sont les points de désaccords les plus sérieux ?
P. Madigan : J’apprécie beaucoup le dialogue théologique que nous menons ici à l’université. Je ne suis pourtant pas convaincu que les différences entre nous portent vraiment sur la théologie. Avec de la patience et beaucoup de travail nous pouvons parvenir à une meilleure compréhension des différentes manières que nous avons de croire dans le Dieu unique.
Ce qui est plus difficile cependant, c’est de remonter à la racine de la colère, de la rancœur, du sentiment d’isolement dont tant de musulmans font l’expérience (et pas seulement des musulmans) et qui sont de plus en plus exploités pour susciter des réactions violentes de la part de quelques uns.
Il y a tant d’éléments dans le mélange qui fait de notre monde ce qu’il est aujourd’hui : la politique, l’économie, le nationalisme, la mondialisation, la dette, le tribalisme, pour n’en citer que quelques uns. Il faut comprendre tous ces éléments si nous voulons pouvoir espérer changer notre monde.
Je vois la plus grande possibilité de dialogue à ce niveau de l’expérience humaine, là où nous trouvons le désir d’un monde meilleur. C’est là que nous nous retrouvons vraiment : là où notre soif d’un monde plus juste et d’une vie plus pleine pour tous résonne avec l’esprit de Dieu qui cherche à « renouveler la face de la terre ».
Ceci peut sembler grandiose et peut-être utopique, mais nous savons, de par les paraboles de Jésus, que le royaume de Dieu est comme une toute petite graine ou une pousse tendre, et pas un système capable de bouleverser le monde.
C’est dans les petites rencontres que sont révélées les voies de Dieu, dans le sourire, l’accueil, un coup de main, une parole gentille, un petit service. Ce sont des choses auxquelles nous sommes tous habitués. Nous avons donc tous un rôle à jouer dans le dialogue.