Document préparé par la curie générale des missionnaires d’Afrique concernant le p. Guy Theunis

Arrêté au Rwanda le 6 septembre dernier

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ROME, Lundi 19 septembre 2005 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous un document de la curie générale des missionnaires d’Afrique concernant le père Guy Theunis arrêté le 6 septembre au Rwanda, accusé d’avoir participé à la planification du génocide de 1994 (Cf. http://www.africamission-mafr.org/guytheunis.htm).

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Beaucoup de personnes nous ont contactés en vue d’obtenir quelques renseignements sur les évènements entourant l’arrestation de notre confrère Guy Theunis.
Le but de ce document est de répondre à ces demandes en apportant quelques lumières sur la personne et les activités de notre confrère.

Guy Theunis a été arrêté le 6 septembre 2005 dans le hall de départ de l’aéroport de Kigali (Rwanda) alors qu’il se préparait à quitter le Rwanda pour la Belgique.

1. L’apostolat du Père Guy Theunis au Rwanda :

Guy Theunis, citoyen belge, est né à Schaerbeek (Bruxelles) le 1er juillet 1945. Il a été ordonné prêtre le 21 juin 1969 dans la Société des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs).
Il est arrivé pour la première fois au Rwanda le 15 septembre 1970. Après avoir appris le Kinyarwanda, et après plusieurs années de pastorale et d’enseignement, il est nommé responsable des moyens de communication sociale à Kigali, responsabilité qu’il assume de 1989 à 1994.
Durant cette période il participe à la fondation et à l’animation de plusieurs organes de presse et d’association pour les Droits de l’Homme.
Secrétaire de rédaction à la revue Dialogue de 1989 à 1992
Secrétaire exécutif de Reba Videwo de 1989 à 1994
Co-fondateur et collaborateur de la Revue de Presse Rwandaise Dialogue depuis 1992
Trésorier de l’Association des Journalistes du Rwanda de 1991 à 1993
Fondateur et Responsable des publications de l’Association Rwandaise pour la Défense des Droits de la Personne et des Libertés Publiques (ADL) de 1991 à 1994
Membre fondateur et collaborateur de Pax Christi Rwanda et de Duharanire Amahoro (organisme œcuménique pour la Paix)
Correspondant pour le Rwanda de Reporters Sans Frontières (Paris)
Correspondant pour le Rwanda de l’Actualité Religieuse dans le Monde (Paris)
Il quitte le Rwanda dans le dernier avion évacuant les ressortissants belges le 15 avril 1994.

De Belgique, il continue à participer à la revue Dialogue et est administrateur-délégué de Radio Amahoro (radio pour la Paix) qui a émis de juillet 1994 à juin 1996. Comme témoin il est entendu par le Sénat Belge et par l’Assemblée Nationale Française.
Après un temps de recyclage, il est nommé en Afrique du Sud. Il y travaillera au centre Lumko (Centre de formation pour les agents pastoraux) de septembre 1998 à mai 2003. En tant que membre de l’équipe de Lumko, il a voyagé dans plusieurs pays africains pour des sessions de formation. Il est aussi le co-auteur d’un livre, Acting against Poverty, un manuel à l’intention de groupes paroissiaux sur le VIH/Sida, la démocratie et la paix. Il a aussi contribué à diverses publications.
Depuis septembre 2003 il est basé à Rome où il sert comme responsable de la formation permanente des confrères de la Société. Il visite régulièrement les pays africains où il donne des cours de formation permanente et anime des sessions sur la non-violence.

2. Les faits de son arrestation :

Guy Theunis, responsable de la formation permanente, venait d’animer une de ces sessions pour nos confrères travaillant en République Démocratique du Congo. Il devait regagner Bruxelles en passant par Kinshasa. Vu la suppression, pour raisons techniques, des vols Kalemie-Lubumbashi-Kinshasa, il a décidé de voyager par Kigali. A la frontière il a sans difficultés obtenu un visa. Mais 24 heures plus tard, le 6 septembre 2005, alors qu’il était déjà dans le hall de départ de l’Aéroport International de Kanombe (Kigali), il a été arrêté par la Sûreté de l’Etat rwandaise et détenu à la Brigade Policière de Remera. Il y est resté deux nuits avant d’être transféré à la Prison Centrale de Kigali.
Le dimanche 11 septembre, il a été présenté à la gacaca (tribunal populaire) de la Cellule Ubumwe, Secteur Rugenge, district de Nyarugenge (Kigali). Vu l’importance des charges portées contre Guy Theunis, le mettant dans la première catégorie des génocidaires planificateurs, le juge de la gacaca a demandé le transfert de son jugement au Parquet de Kigali.

3. Les charges dont est accusé le P. Guy Theunis :

Selon Maître Emmanuel Rukangira, Procureur rwandais compétent au niveau national, dans une interview donné à MISNA le 14 septembre 2005, Guy Theunis est accusé « d’incitation à commettre le crime de génocide. L’autre accusation – révisionnisme et négationnisme successifs – formulée vient renforcer le caractère intentionnel de la première accusation. La première accusation fait référence à la période 1990-1994 tandis que la seconde à la période successive du génocide. Le révisionnisme est une infraction à part. »

L’accusation semble se baser sur :
– la participation de Guy Theunis à la revue Dialogue ; on l’accuse d’y avoir reproduit des articles de la revue extrémiste Kangura
– des faxes envoyés en avril 1994, dont il a été le cosignataire ; on l’accuse d’avoir ainsi propagé une fausse information sur ce qui se passait alors au Rwanda.

4. La position des Missionnaires d’Afrique :

Le Père Gérard Chabanon, Supérieur Général des Missionnaires d’Afrique, a émis, le 8 septembre 2005, un communiqué exprimant son incompréhension face à l’arrestation de notre confrère.

4.1. Comme le signale le Ministère des Affaires Etrangères belge, il n’y a jamais eu, à la connaissance des autorités, de dossier d’accusation sur Guy Theunis. N’étant accusé d’aucun méfait, Guy a pu précédemment circuler librement au Rwanda. Ainsi du 5 au 26 septembre 2004, il anime une session à Kigufi. Il était entré au Rwanda, ayant obtenu un visa d’entrée et en est sorti sans être inquiété. Cette fois encore il avait obtenu un visa d’entrée à la frontière.

4.2. La Revue Dialogue à laquelle il a participé de nombreuses années était une revue d’information et de réflexion abordant tous les problèmes économiques, sociaux, culturels, politiques, religieux et autres, intéressant le Rwanda. La revue livrait des données brutes et des données de sens, aidant ses lecteurs à comprendre et à analyser les faits. La revue ne défendait aucune idéologie. Elle cherchait à promouvoir une politique de l’espérance, croyant à un avenir meilleur dans une perspective chrétienne. (Cfr. N° 121 de mars 1987, pages 21-30 : « Une philosophie pour Dialogue ») « Le but de la revue est de promouvoir un véritable débat sur les problèmes du pays, avec un maximum d’objectivité et d’indépendance. » (N°154 de mai 1992, page 1)
La revue Dialogue n’était pas l’affaire d’une personne. Tout article passait par le comité exécutif de l’Association éditrice qui décidait s’il était publiable.
Durant ses 19 années de participation à la revue Dialogue, Guy Theunis, convaincu de la liberté de presse, a surtout écrit des recensions de livres ou articles. Il a écrit quelques articles et éditoriaux, mais sans jamais inciter à la violence ou à la haine. Seules des citations d’articles extrémistes ont pu être publiées pour en faire la critique à destination de la presse étrangère. Celle-ci pouvait ainsi suivre, grâce à ces textes traduits du kinyarwanda, l’évolution de la situation politique du pays. Dans un numéro spécial, publié en 1991, consacré à la nouvelle presse rwandaise, la rédaction de Dialogue, regrettait les « articles de tenda
nce nettement raciste ou régionaliste, souvent insidieux » de Kangura. « Ils risquent de rendre l’atmosphère du pays irrespirable. » (n°147 de juillet-août 1991, page 79). La revue rejette aussi catégoriquement les fameux « dix commandements des Bahutu » (n° 170, de septembre-octobre 1993, page 120).
Notons aussi qu’en mars 1994, il est modérateur du séminaire-débat organisé à Kigali par l’Ambassade de Belgique sur le thème « Objectivité et honnêteté dans l’information politique »
Robert Ménard, Secrétaire Général de Reporters sans Frontières, dit de Guy : « Nous le connaissons depuis des années. C’est le contraire de quelqu’un qui incite à la haine. C’est quelqu’un qui a toujours défendu les idées de tolérance, de respect des autres. Il a passé sa vie justement à combattre la haine ethnique et toutes ces accusations n’ont rien à voir avec lui. » (Témoignage donné sur RFI le 12 septembre 2005).

4.3. Les Droits de l’Homme : Les Droits de l’Homme et la communication non-violente sont devenus au fil des années les grandes orientations missionnaires de Guy Theunis. Loin de s’être tu avant le génocide, Guy Theunis, co-fondateur de l’Association Rwandaise pour la Défense des Droits de la Personne et des Libertés Publiques (ADL), a été l’éditeur responsable de deux rapports sur les droits de l’homme au Rwanda. Ces deux rapports de 358 pages ont été d’une très grande importance pour alerter l’opinion internationale sur toutes les exactions commises au Rwanda entre septembre 1991 et octobre 1993, aussi bien par les responsables gouvernementaux que par le front Patriotique Rwandais. Sa très large diffusion a permis l’enquête internationale qui a révélé au monde ce qui se passait au Rwanda avant 1994.
Durant l’audition de la gacaca, Alison Des Forges a témoigné que Guy Theunis avait travaillé avec elle pour révéler au grand jour les abus contre les droits humains au Rwanda avant le génocide.

Dans la revue Dialogue, Guy Theunis signe quelques articles qui soulignent son souci de la démocratie. Ainsi les éditoriaux des n°147 (juillet-août 1991) et 148 (septembre-octobre 1991) portent respectivement sur « L’eau de la démocratie » et « Multipartisme et Dialogue ».
Il a également participé à de nombreuses activités en faveur de la paix et du respect des droits de l’homme initiées par OXFAM.
Après son retour en Belgique, il a activement aidé à la mise sur pieds et à l’animation de la Radio Amahoro. Les émissions diffusées sur Africa n° 1 et Voice of Peace, appelaient à la Paix et à la réconciliation après le génocide. Devant le Sénat belge et l’Assemblée Nationale Française, il n’a pas hésité à témoigner et à parler du génocide.
Monsieur Eric Watteau, membre de Pax Christi Wallonie-Bruxelles, dans une lettre ouverte envoyée aux personnalités politiques belges, donne ce témoignage : « à l’occasion d’un groupe de réflexion sur la non-violence active, j’ai noté des pensées dites par Guy Theunis comme l’importance du lobbying pour pousser au dialogue ou plus loin, qu’il fallait la suppression des journaux de la haine. »

4.4. Les 8 fax envoyés en avril 2005 ont tout d’abord été écrits pour apaiser les familles des confrères qui s’inquiétaient, ne sachant pas très bien ce qui se passait alors au Rwanda. Ils ont ensuite été envoyés à plusieurs autres personnes ou organismes intéressés. Ils relataient des massacres, des pillages et parlaient même de « bain de sang ». Ils parlaient des réfugiés, des blessés et des tués, notamment de Tutsis.
Voici quelques extraits de ces fax qui montrent clairement que les Pères Vleugels, Supérieur Provincial au Rwanda à l’époque, et Guy Theunis ont fait tout ce qu’ils pouvaient, dans une situation chaotique et dangereuse, pour faire connaître au monde les horribles massacres qui se déroulaient au Rwanda. « A Kigali, même, au Centre de Remera Christus, beaucoup de personnes ont été tuées (suivent les noms des personnes) » ; « Nous déplorons aussi d’autres actes barbares; ainsi des militaires sont entrés dans l’église St Charles Lwanga de Nyamirambo, ont forcé les gens à sortir, puis ont tiré, tuant des gens aussi bien à l’intérieur de l’église qu’à l’extérieur. Au Centre de santé de Masaka (Archidiocèse de Kigali), d’autres militaires sont entrés et ont abattu les blessés Tutsi sur leur lit »

Conclusion :

Connaissant Guy personnellement et son engagement de toute une vie pour la liberté de la presse et pour la justice dans l’esprit de l’Evangile, nous considérons les accusations portées contre lui comme absolument incompréhensibles. Nous sommes profondément attristés par la gravité des accusations portées contre lui car tout ce que nous savons de lui montre un engagement sans faille pour dénoncer les exactions contre les droits humains qui ont conduit au génocide. Celles et ceux qui ont travaillé avec lui, pendant ces années tragiques, sont de la même opinion.

Tout en faisant confiance aux autorités civiles et religieuses compétentes, les Missionnaires d’Afrique demandent le support et l’engagement en faveur de la libération immédiate et inconditionnelle de Guy Theunis de tous ceux qui l’ont connu et apprécié, de tous ceux qui croient à la justice. Nous sommes aussi inquiets pour sa santé.
Nous remercions tous ceux qui lui ont ou nous ont manifesté leur soutien.

Rome, le 15 septembre 2005

Père Gérard Chabanon
Supérieur Général
Missionnaires d’Afrique
C.P. 9078 00100 ROMA
ITALIA Tél. 00.39.06.39.36.34.1
Fax. 00.39.06.39.36.34.79
Email: sup.gen@mafroma.org

Communiqué des Missionnaires d’Afrique au sujet du Père Guy Theunis :

« C’est avec beaucoup d’étonnement, d’incompréhension et de tristesse que nous avons appris l’arrestation de notre confrère, le P. Guy Theunis, mardi soir à l’aéroport de Kigali. L’accusation du procureur Rwandais, Emmanuel Rukangira, cité par la Bbc et associant le P. Theunis par le biais de son activité à la revue Dialogue, au terrible génocide de 1994, nous paraît totalement infondée.
Le P. Theunis a été Directeur de cette revue au Rwanda de 1989 à 1992, puis en Belgique de 1994 à 1995. Cette revue, écrite en français, se définit elle-même comme  » une revue d’information et de réflexion en abordant tous les problèmes économiques, sociaux, culturels, politiques, religieux et autres, qui intéressent le Rwanda. Sans ê tre l’organe officiel d’une Eglise, Dialogue envisage les problèmes traités dans une perspective chrétienne. » Quand le P. Theunis était responsable, cette revue était produite par un comité de rédaction d’une bonne douzaine de personnes qui se réunissait chaque mois pour discuter les articles présentés. Jamais le directeur ne décidait, seul, de publier tel ou tel article – même l’éditorial – sans l’accord de son comité de rédaction. Il est donc impensable que « des articles de publication extrémiste » aient pu être publiés; peut-être des citations pour montrer le danger de telles opinions ou du moins suivies d’une critique sans équivoque.
Les Droits de l’Homme et la communication non-violente sont devenus au fil des années, les grandes orientations missionnaires du P. Guy Theunis. Ces engagements sont aussi ceux de notre Société Missionnaire. Devant l’incompréhension de ces accusations dont la presse s’est faite l’écho –Bbc, Cnn, Afp – nous espérons une rapide libération de notre confrère. Nous voulons lui exprimer notre solidarité profonde, notre communion et le soutien de notre prière dans ces moments difficiles pour lui. Nous remercions le Gouvernement Belge, les Agences de Presse, Radio Vatican et tous ses nombreux amis qui ont manifesté leur soutien.
P. Gérard Chabanon, Supérieur Général. M.Afr.»

Alison Des Forges est la Premièr
e Conseillère de la Section Africaine de Human Rights Watch. Elle a une expérience de 40 ans dans la région des Grands Lacs. Elle a été entendue en tant que témoin-expert dans les procès qui ont eu lieu au Tribunal Criminel International pour le Rwanda ainsi qu’à la Cour fédérale des Etats-Unis, de Belgique et de Suisse.

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ZENIT Staff

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