ROME, Lundi 12 septembre 2005 (ZENIT.org) – « La France célèbre cette année le centième anniversaire de sa loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, aussi appelée loi de 1905. C’est une loi originale, plutôt rare dans le monde, souvent mal comprise (…). C’est un texte pourtant équilibré, qui garantit dans un même article, dans une même affirmation, la liberté de conscience et la liberté de culte » a souligné M. Sarkozy hier à Lyon.
Voici le texte intégral de l’allocution de M. Nicolas Sarkozy, Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, le 11 septembre, dans le cadre du 19e congrès « Hommes et religions » organisé à Lyon par la communauté de Sant’Egidio (www.santegidio.org), pour la première fois en France, du 11 au 13 septembre 2005, sur le thème thème : « Le courage d’un humanisme de paix ».
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les représentants des grandes religions,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis heureux et très honoré d’être parmi vous aujourd’hui pour ouvrir les 19ème rencontres internationales pour la paix, qui se tiennent pour la première fois en France. A ceux qui ne sont pas français, permettez-moi de souhaiter d’abord la bienvenue dans notre pays.
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La France célèbre cette année le centième anniversaire de sa loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, aussi appelée loi de 1905. C’est une loi originale, plutôt rare dans le monde, souvent mal comprise. Le contexte de son élaboration, marqué par un conflit de pouvoir entre l’Etat et l’Eglise catholique, puis les conditions de sa mise en œuvre, ont assombri sa naissance et relégué à l’arrière-plan la puissance de son texte. C’est un texte pourtant équilibré, qui garantit dans un même article, dans une même affirmation, la liberté de conscience et la liberté de culte.
Contrairement à l’image qu’elle a héritée de son histoire mouvementée, la laïcité à la française n’est pas l’ennemie des religions. Elle est une construction politique, juridique et humaine, qui s’efforce de concilier le droit de tout individu de pratiquer un culte et l’interdiction faite à tous de méconnaître ce bien si cher qu’est la liberté de conscience. Elle organise une coexistence pacifique de toutes les religions, grâce à l’égalité des droits, à l’égalité des dignités, à la neutralité de l’Etat, à la liberté de croire et de pratiquer ainsi qu’à celle de ne pas croire.
La loi récente relative aux conditions dans lesquelles les élèves des établissements scolaires peuvent porter des signes religieux est le prolongement de cet édifice. Elle prévoit que les enfants peuvent porter un symbole de leur foi, mais que celui-ci doit rester suffisamment discret pour ne pas provoquer, choquer ou diviser. Je n’étais pas favorable à que ce soit une loi qui édicte une telle règle, car je pensais que le dialogue était préférable pour atteindre le même résultat. Je suis en revanche fermement convaincu que l’école doit faire grandir nos enfants dès le plus jeune âge dans un esprit de tolérance envers ceux qui croient et de respect envers ceux qui ne croient pas et que la règle retenue est donc la bonne.
Depuis la fin de la première guerre mondiale et la réconciliation entre les pouvoirs publics et l’Eglise catholique autour d’une interprétation moins rigide de la loi de séparation, la laïcité est unanimement reconnue comme un des piliers de la démocratie française, une condition de son équilibre, un facteur de paix entre les citoyens. La laïcité n’est pas le seul modèle de coexistence pacifique de plusieurs religions et de l’incroyance dans un pays démocratique. Mais, dans notre pays, où les conflits internes ont souvent un caractère passionnel et laissent des traces profondes, elle constitue aujourd’hui un point d’équilibre consensuel. Toutes les religions de notre pays lui sont profondément attachées, leurs représentants qui sont ici peuvent en témoigner.
C’est la raison pour laquelle, dans un ouvrage récent, et à la lumière de mon expérience de ministre des cultes, j’ai plaidé pour que la place de l’islam en France soit davantage reconnue. Lorsque la loi de 1905 a été adoptée, il n’y avait pas de musulmans en France. Il y en a aujourd’hui cinq millions. L’Etat a le devoir de permettre à ces croyants de prier et de pratiquer leur culte dans les mêmes conditions de dignité et de droit que les croyants des religions plus anciennes, qui bénéficient par exemple des édifices cultuels dont la France s’est couverte tout au long de son histoire.
Je propose qu’à la lettre du texte de 1905, nous préférions son esprit. La question de la présence d’une nouvelle religion en France ne se posait pas en 1905. Elle se pose aujourd’hui. C’est le fondement même de la laïcité qui est en jeu si nous n’adaptons pas notre pays à la réalité d’une présence musulmane importante en France. C’est possible et c’est nécessaire, tout en respectant les grands équilibres de la laïcité française.
De même, j’ai œuvré de toutes mes forces pour que l’islam de France se dote d’un conseil représentatif avec lequel l’Etat puisse discuter, comme c’est le cas de toutes les autres grandes religions. Le Conseil français du culte musulman est également une instance nécessaire au dialogue inter-religieux, une préoccupation qui est au cœur de vos rencontres annuelles.
Dans le Conseil français du culte musulman, tous les courants de l’islam de France sont représentés, y compris ceux dont les positions sont fondamentalistes, sans être pour autant intégristes. Les fondamentalistes sont à mon sens ceux qui veulent vivre leur foi de manière fondamentale, c’est-à-dire en pratiquant de la manière la plus rigoureuse possible les prescriptions de leur religion. C’est un désir naturel tant il est vrai que les convictions religieuses touchent le cœur de la personne humaine. Il n’y a rien de plus normal, pour celui qui croit, de mettre toute sa vie en adéquation avec sa foi, en tout cas d’essayer. Vivre dans un monastère catholique est une forme de fondamentalisme. L’intégrisme consiste en revanche à imposer les prescriptions de sa croyance aux autres, ce qui est différent. Il doit être condamné.
Cette décision d’intégrer les fondamentalistes au conseil représentatif de l’islam de France a été critiquée. On a raillé ma naïveté ou l’on a dénoncé une complaisance excessive avec des courants de l’islam dont les positions ne sont pas toujours claires au regard de la séparation entre le temporel et le spirituel, de la liberté de conscience ou de l’égalité entre l’homme et la femme. Ma conviction, et je sais qu’elle n’est pas étrangère aux préoccupations de votre assemblée, est que l’ouverture et le dialogue sont beaucoup plus à même d’aider les fondamentalistes à clarifier leur position, plutôt que l’exclusion qui mène à la radicalisation.
Si nous devons regretter les brutalités de sa mise en œuvre, c’est un fait que la loi de 1905 a eu sur l’Eglise catholique une influence utile. Elle l’a aidée à repenser l’articulation entre la Révélation chrétienne et l’histoire humaine, et à admettre le pluralisme comme un processus historique pas nécessairement inconciliable avec le projet de Dieu sur l’homme. De la même manière, je pense que l’inscription de l’islam dans le contexte cultuel français, où les religions sont séparées de l’Etat et se respectent entre elles, peut constituer, pour tout le monde musulman, un exemple de ce que l’islam peut s’intégrer dans une société démocratique, pluraliste et sécularisée, sans
renier pour autant la profondeur de ses convictions.
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Le fondement de mon action et de mes propositions n’est pas seulement juridique. Je ne cherche pas uniquement à établir une égalité parfaite, formelle et réelle, entre les différentes religions de France. Le but principal de mon engagement est de convaincre mes compatriotes qu’il n’y a pas de solution aux difficultés d’intégration et d’harmonie sociale que nous connaissons, si nous n’aidons pas les musulmans de France à se construire une identité, dans ce pays tout à la fois de tradition judéo-chrétienne et profondément laïcisé.
Cette identité passe par le respect de la dignité de chacun, en particulier par la lutte contre les discriminations. Elle passe par la promotion sociale, tant il vrai qu’une identité humiliée est une identité radicalisée. Elle passe par la possibilité de pratiquer sa religion dans des conditions dignes, respectées, naturelles.
Le progrès technique, l’amélioration des conditions générales de vie, la démocratisation, l’émergence d’une société du savoir, n’ont pas aboli le besoin fondamental de l’homme d’espérer. D’une certaine manière, ils l’ont même consolidé ou réactualisé.
Après la barbarie des deux conflits mondiaux et l’effondrement du bloc communiste, les hommes et les femmes de notre temps ont pu croire que l’humanité allait enfin converger vers un monde de paix et de respect mutuel. En réalité, il n’en a rien été. Ce que les hommes ont gagné en liberté et en prospérité, ils l’ont perdu en prévisibilité et en simplicité d’analyse de l’histoire. Les conflits se sont multipliés tandis que les facilités de circulation des capitaux, des personnes et des biens ébranlent la hiérarchie traditionnelle des puissances et brouillent celle des priorités.
La mondialisation économique soumet les territoires à une obligation de compétitivité. La croissance de la richesse mondiale augmente. Mais la pertinence de sa répartition n’apparaît pas avec évidence. Dans les pays émergents, les inégalités sont considérables et les performances économiques de certaines zones cohabitent avec des situations de pauvreté extrême. Dans les pays occidentaux, la mondialisation ébranle des secteurs entiers de l’économie et hypothèque le sort des travailleurs les moins qualifiés. L’Afrique semble pour sa part s’être arrêtée sur la montre du temps.
Aujourd’hui, les hommes et les femmes voient bien que la prospérité matérielle ne suffit pas à satisfaire les aspirations profondes de l’homme. Elle n’est d’aucun secours pour distinguer le bien du mal. Elle ne donne pas de sens à l’existence. Elle ne répond pas aux questions fondamentales de l’être humain : pourquoi y a t’il une vie et quel est le sens de la mort ? Même la liberté et la démocratie ne donnent pas de réponse.
Les sociétés, notamment occidentales, sont entrées dans cette époque curieuse d’une frénésie croissante de biens matériels toujours plus sophistiqués et, en même temps, d’un immense besoin de croyances surnaturelles sur lesquelles fonder une espérance et une identité. La mondialisation uniformise les conditions de production, les modes de vie et peut-être les cultures. Elle ne répond pas au besoin de sens.
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C’est pourquoi, et nous le voyons tous les jours, les religions jouent un rôle déterminant dans cette réorganisation du monde, des sociétés, des idées. Elles qui sont, par nature, transnationales, elles peuvent aider les hommes à trouver un sens à leur existence indépendamment des frontières ou des identités nationales, ou en complément de celles-ci.
Mais elles sont aussi la proie des amalgames et des extrémismes. La religion est instrumentalisée par tous ceux qui rejettent, parce qu’ils les craignent, la multiplication des échanges, la circulation des idées, le mélange des cultures. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Toutes les religions ont été et sont menacées par le risque de l’intégrisme et de l’intolérance, même si, aujourd’hui, l’une d’entre elles est particulièrement concernée. En ce jour où nous célébrons le quatrième anniversaire des attentats du 11 septembre, comment ne pas songer à l’extrême gravité des événements qui se sont produits à New York, en Egypte, en Indonésie, au Maroc, à Istanbul, à Madrid, à Londres et en bien d’autres endroits encore ?
Les démocraties sont ébranlées, parce qu’elles sont fondées sur le respect des croyances, la garantie des libertés individuelles et la confiance dans l’Etat pour assurer la sécurité de tous. Mais les religions le sont également, et plus encore les croyants. Ils peuvent se radicaliser à leur tour ou être victimes d’amalgames, comme on l’a vu par exemple à la suite des attentats de Londres. Le discrédit que jette le terrorisme sur les religions peut priver les hommes des raisons d’espérer ou les conduire à se réfugier dans des croyances nouvelles, peu structurées.
Des rencontres inter-religieuses comme celle qui s’ouvre aujourd’hui sont déterminantes pour résister aux amalgames, répondre aux inquiétudes, promouvoir la paix. C’est un progrès capital du vingtième siècle que d’avoir ouvert les portes du dialogue entre les religions. Force est de reconnaître qu’il n’y en a pas eu beaucoup d’autres. Je tiens à convoquer ici la mémoire de Jean-Paul II dont le rôle en la matière a été, une fois encore, déterminant.
Ma conviction, c’est que les religions ont entre elles beaucoup plus de choses qui les rassemblent que de choses qui les divisent. Les grandes religions de l’humanité délivrent au fond un message homogène : la vie humaine doit être protégée parce qu’elle a quelque chose à voir avec l’existence de Dieu ; le bien-être matériel ne suffit pas au bonheur humain ; la mort n’est pas la fin de toute vie. Il ne s’agit pas de faire du syncrétisme. Il s’agit de reconnaître cette évidence que les grandes religions convergent finalement vers un noyau dur de croyances fondamentales qui répondent aux aspirations humaines.
C’est pourquoi les grandes religions peuvent satisfaire le besoin d’identité et de sens sans provoquer l’intolérance. Elles peuvent favoriser le dialogue entre les cultures et les croyances sans craindre le relativisme. Elles peuvent et elles doivent se rassembler pour rappeler au monde que la prospérité économique n’a aucun sens si elle se fait aux dépens du bonheur de l’homme.
Nous résisterons au choc des civilisations car toutes les religions et tous les courants de pensée philosophique peuvent s’unir dans une même affirmation, à laquelle je crois profondément : il n’y a qu’une civilisation, la civilisation humaine. C’est un motif d’espérance pour notre temps.
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Mesdames et Messieurs, le choix de la ville de Lyon pour organiser ces 19ème rencontres internationales pour la paix est un bon choix. Lyon a en effet une place particulière pour la France des religions et des croyants. C’est à Lyon qu’est née la première communauté chrétienne. C’est à Lyon que Frédéric Ozanam a créé le catholicisme social. Plus récemment, Lyon a accueilli la construction d’une grande Mosquée, à laquelle se sont associées sans arrière pensée l’Eglise catholique, l’Eglise réformée, l’Eglise apostolique arménienne et la communauté juive, offrant à la Nation toute entière un remarquable exemple de tolérance et de dialogue entre les religions. Comment ne pas évoquer aussi le martyre du peuple juif, auquel la communauté lyonnaise a payé un lourd tribut, et l’unification de la Résistance contre la barbarie nazie ?
Chaque année, le 8 décembre, d’innombrables bougies illuminent la ville en souvenir de sa dévotion mariale et rassemblent des milliers de personnes de toute origine et de toute croyance. Elles briller
ont cette année avec une pensée particulière pour la communauté de Sant’Egidio et son œuvre de paix, de dialogue, de prière, d’éducation, d’aide aux plus démunis.
Je souhaite que vos travaux soient le plus fructueux possibles, car le courage, l’humanisme et la paix sont assurément ce dont le monde aura toujours le plus besoin.