« Vous êtes le doux Christ en terre »: Homélie du card. Danneels

Messe d’action de grâce pour le pape Benoît XVI

Share this Entry

ROME, Mardi 10 mai 2005 (ZENIT.org) – « Vous êtes le doux Christ en terre »: le cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, a cité cette expression de sainte Catherine de Sienne, docteur de l’Eglise et co-patronne de l’Europe, lors de son homélie pour la messe d’action de grâce pour l’élection du pape Benoît XVI, à Bruxelles, le 30 avril dernier. Il y évoque le conclave auquel il a lui-même participé.

Homélie de la messe d’action de grâce pour SS le pape Benoît XVI
Bruxelles, cathédrale Saints Michel et Gudule – 30 avril 2005

Frères et Sœurs,

Rendons grâce

Si nous sommes réunis ce soir en cette cathédrale en fête, c’est d’abord et avant tout pour rendre grâce. Rendons grâce à Dieu et au Christ, qui comme Il l’avait promis, ne nous laisse jamais orphelins. Oui, le Christ reste avec son Eglise et renouvelle une nouvelle fois en elle, la grâce précieuse de Pierre. Avec saint Paul je vous dis :« Réjouissez-vous dans le Seigneur… je le répète encore, réjouissez-vous (Ph 4,4). Soyez dans l’action de grâce.. Mais rendons grâce aussi à celui qui, ‘pauvre serviteur dans la vigne du Seigneur’ comme il s’est appelé lui même le soir de son élection, a pris sur ses épaules la lourde charge d’être le pasteur universel de nous tous. En plus de ses grands dons et talents humains, intellectuels, moraux et spirituels, c’est tout son cœur qu’il donne au Christ, le grand Pasteur de nos âmes. Et le Christ nous donne Benoît XVI pour nous guider en cette époque mouvementée, que traverse l’Eglise de nos jours.

Nous remercions Benoît XVI d’avoir accepté de monter dans cette barque en haute mer et d’y tenir le gouvernail, mettant ses pauvres mains fragiles dans les mains puissantes du seul pilote du navire, le Christ Jésus.

Au nom de l’Eglise en Belgique, de tous mes confrères dans l’épiscopat et en mon propre nom : merci Saint-Père. Soyez Pierre parmi nous.

Le visible et ce qui ne se voit pas

Ces dernières semaines les media nous ont saturés d’images, d’analyses et de commentaires. En entrant dans l’histoire des hommes par son Incarnation, Jésus a dû savoir, que se faire homme avec les hommes, était à ce prix : se faire spectacle devant le monde comme le dit saint Paul : «nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes… » (1 Co 4,9). Reste-t-il encore une seule chose qui n’ait pas été montrée ou dite ?

Si tout de même. Tout ce qui nous était présenté, appartenait au monde des sens, à l’avant plan, au domaine du voir et de l’entendre. Mais il y a plus et autre chose : il y a le monde invisible, qui demande le regard de la foi pour être vu et l’écoute dans la foi pour comprendre. Je vous invite donc frères et sœurs en cette heure même à devenir comme Moïse dont l’épître aux Hébreux nous dit « qu’il marchait comme s’il voyait l’invisible » (Cfr He 11 ?27). Alors, regardons par cet « œil que Dieu Lui-même a planté dans notre cœur » (cfr Si 17,8) pour voir dans la foi, atteindre l’invisible.

Il y a à peine quinze jours, il y avait là un homme, debout devant l’autel de la Chapelle Sixtine, avec derrière lui l’immense fresque du jugement de Michel- Ange, à qui l’on posait cette simple question: ‘Acceptes-tu ?’ Tous l’ont vu, tous ont entendu sa réponse: c’était là le côté visible : une simple question d’ordre procédural ? et une réponse d’ordre juridique ?

Mais voici ce qui était invisible, caché derrière des apparences : nous avons vu debout devant l’autel, Pierre, Pierre, face à face avec Jésus ressuscité. Et que demande Jésus ? ‘Acceptes-tu le pouvoir des clés dans mon Eglise ? ‘Non..

Voici ce qu’il demande avant toute question de pouvoir ou d’investiture : « Pierre, m’aimes-tu ? M’aimes-tu plus que les autres ? » (cfr Jn 21, 15 ss.) Jusqu’à trois fois. C’est l’amour de Pierre que Jésus veut, bien au-delà de toutes ses qualités humaines de chef. « Pierre, m’aimes-tu » ?. Et la réponse elle aussi est une réponse d’amour. « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime… » Ce qui se passait à la Chapelle Sixtine le 19 avril, en ce moment où l’Eglise et le monde, les anges et les hommes, retenaient leur souffle, c’était un dialogue d’amour qui dépasse infiniment tout ce qui était visible ou audible et précède toute passation de pouvoir. Ce fut un grand moment, ce dialogue invisible et inaudible entre le Bon Berger et son pasteur sur la terre. C’est après que Jésus dit : « Pais mes agneaux, paix mes brebis », la transmission du pouvoir.

Et Jésus ajoute « Toi, suis-moi ». Pierre est le second de cordée aux jours de plein brouillard, Jésus guide et le devance. C’est Lui le premier de cordée , il ne demande à Pierre que de mettre ses bras autour de la taille de Jésus et de marcher, aveuglément dans une totale confiance, mettant ses pas dans les siens, ne regardant ni à gauche, ni à droite. «Toi, suis-moi, ». Pierre suit son Maître où qu’il le mène, se confiant totalement à Jésus, qui le mènera où il ne croyait pas devoir aller : « … quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais : lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te nouera la ceinture et qui te conduira où tu ne voudrais pas « (Jn 21,18). Aux dires mêmes de notre nouveau pape, cette prophétie de Jésus s’est vérifiée pour lui à la lettre quand il disait : Pendant le conclave j’ai demandé que le sort ne tombe pas sur moi.

Le berger et le troupeau

Revenons au visible. Il serait intellectuellement malhonnête et ce serait un manque flagrant de foi humaine et divine, de vouloir à tout prix extrapoler à partir de ce que quelqu’un a été, ce qu’il sera ou même plus, ce qu’il devra être. C’est ne pas croire ni à l’Esprit-Saint ni au vent de la Pentecôte. Si dans l’Eglise quelqu’un passe d’une responsabilité particulière à celle de Pasteur universel, ce n’est pas seulement un grand défi, c’est surtout une grâce. Elle s’appelle la grâce d’état. Si la vigne pousse dans la bonne terre, sous la chaleur du soleil, si elle se trouve dans son biotope et est soignée par le vigneron avec amour, pourvu que le cep soit bon, elle donnera de l’excellent vin : un grand cru. Car une vigne peut se surpasser elle-même. De même, si le nouveau pasteur de l’Eglise planté dans la bonne terre de la tradition, poussant sous le beau soleil de la grâce de Dieu, si il jouit du bon biotope qu’est l’amour de nous tous, la sève de la grâce tirera des dons naturels du nouveau pasteur , de son intelligence, de son cœur, de son âme et de son corps, des fruits qu’on n’avait peut-être même pas soupçonnés. C’est là la force de la grâce d’état.

S’il est vrai que l’Eglise est une grande famille, il se passera en elle ce qui se passe dans toute famille. Comme dans toute famille, les parents forment l’enfant ; il est vrai aussi que en retour et pour leur part, les enfants modèlent leurs parents. Comme dans l’Eglise : s’il est vrai que le pasteur modèle le troupeau – il est la forma gregis – dit saint Pierre (cfr 1 Pe 5,3), il n’est pas moins vrai aussi, qu’en retour et pour sa part, le troupeau par sa charité et son affection et sa loyauté, modèle son pasteur. Ce que sera notre nouveau pape pour nous dépend aussi de ce que nous serons pour lui. C’est à nous surtout pas notre charité filiale de lui procurer le bon biotope où il pourra vivre et fructifier.

Le pallium et l’anneau du pêcheur

Nous l’avons tous vu : le pape le jour de son intronisation a été revêtu du pallium et il a reçu l’anneau du pêcheur. Nous l’avons tous vu. Encore faut-il comprendre ce qui se cache sous ces gestes et reste invisible.

Le pallium est l’image du joug du Ch
rist que le nouveau pape prend sur les épaules. Fait de la laine des agneaux, il symbolise la charge de toutes les brebis du troupeau. Mais peut-être n’avez-vous pas remarqué, que les cinq croix sur le pallium papal, n’étaient pas de couleur noire – comme les miennes ici en cette cathédrale – . Elles étaient rouges Autant dire que le pasteur de l’Eglise, comme le Christ, prend sur ses épaules – aussi et avant tout – les brebis qui ont été blessées par les attaques du loup ou par les épines ou qui se sont cassé les pattes ne pouvant plus suivre le rythme de la marche. Le sang des agneaux blessés marque le berger. Le regardant , nous tous nous pouvons dire avec le prophète Isaïe : « Qui donc est celui qui vient d’Edom, de Bosra, avec du cramoisi sur ses habits ? …Pourquoi y a-t-il du rouge à ton vêtement, pourquoi tes habits sont-ils comme ceux d’un fouleur au pressoir ? » ! Et voici ce que répond l’homme taché de sang : « la cuvée, je l’ai foulée seul parmi les peuples…leur jus a giclé sur mes habits et j’ai taché tous mes vêtements « (Is 63, 1ss.).Il faudra y penser, chaque fois que le pape apparaît en public dans la splendeur de la liturgie : il porte sur les épaules les agneaux blessés et il est marqué par leur sang.

Puis on lui a remis l’anneau du pêcheur. Comme Pierre et les Onze, le pape est pêcheur d’hommes. Mais il ne jette pas le filet se fiant à son art de la pêche – il n’avait rien pris ! – mais uniquement sur l’ordre de Jésus, en une totale confiance. Et la pêche fut abondante. Ce n’était pas dû à l’habilité du pêcheur, mais à Jésus et à Lui seul. Les pères de l’Eglise nous ont laissé un commentaire très particulier de cette page d’évangile. Pour le poisson disent les Pères, être sorti de l’eau, c’est la mort. Pour l’homme, c’est le contraire. Tirer l’homme de l’eau, c’est le sauver. Pierre manie le filet de la pêche des hommes pour nous tirer des eaux de la souffrance et de la mort. Pierre le pêcheur ne ressemble donc en rien aux autres pêcheurs : il ne les tire pas le poisson de l’eau pour le faire mourir et s’en accaparer et le vendre à son propre profit. Le pêcheur – Pierre – n’a d’autre souci que de sauver et de donner la vie aux poissons. Il ne les garde même pas pour lui-même : il les passe au Christ, pour que Celui-ci les sauve de la mort et leur donne la vie éternelle.

Priez et aidez-moi

Les foules ont applaudi Benoît XVI lors de son intronisation. Abondamment et longuement. Il ne mendiait pas ces applaudissements. Il ne les provoquait pas, il ne les suscitait pas, ne les prolongeait pas. Il était même réservé. C’est ainsi que j’ai connu le cardinal Ratzinger depuis toujours. Il n’a jamais demandé d’être applaudi.

Mais il demandait autre chose cette fois-ci et avec insistance. Deux chose même.

Voici sa première demande : « Priez pour moi. » C’est ce que nous faisons déjà ici ce soir. Nous le ferons chaque jour désormais dans la prière eucharistique de la messe. Je vous demande , chers frères et sœurs, de prier pour le pape tous les jours. C’est par notre prière intense et persévérante, que nous aiderons Benoît XVI d’être de jour en jour plus et mieux, notre saint Père, le Pierre pour l’Eglise de notre temps. Il nous confirmera dans la foi. Confirmons-le à notre tour par nos prières.

Il y a une deuxième chose qu’il a demandé explicitement, spécialement aux cardinaux : ‘Aidez-moi’. C’est ce que nous ferons : vous et nous, vos évêques. En ce moment solennel, je dis en votre nom à vous tous, au nom des évêques de Belgique et en mon nom propre : « Très saint Père, nous prierons pour vous et nous vous aiderons par notre fraternelle et entière collaboration et par la chaleur de notre affection filiale. Car selon la belle parole de sainte Catherine de Sienne, que nous venons de fêter hier ; « Vous êtes il dolce Cristo in terra ».

+ Godfried Cardinal DANNEELS,
Archevêque de Malines-Bruxelles

Share this Entry

ZENIT Staff

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel