Message de Jean-Paul II pour le Jubilé dans les prisons

Appel aux gouvernants

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CITE DU VATICAN, Lundi 27 septembre 2004 (ZENIT.org) – « Il arrive que la prison devienne un lieu de violence comparable aux milieux d’où proviennent bien souvent les détenus. Il est évident que cela rend vain tout effort éducatif des mesures de détention », déclare Jean-Paul II dans ce message pour le Jubilé dans les prisons, et toujours d’actualité, où il en appelle aux gouvernants en vue d’une réforme.

« D’autres difficultés s’opposent à ce que les prisonniers puissent maintenir des contacts réguliers avec leurs familles et leurs amis, et l’on trouve souvent de graves carences dans les structures qui devraient aider ceux qui sortent de prison et les accompagner dans leur réinsertion sociale », constatait le pape.

MESSAGE DE JEAN-PAUL II POUR LE JUBILE DANS LES PRISONS 9 JUILLET 2000

1. Dans le cadre de la présente Année sainte de l’An 2000, la Journée du Jubilé dans les prisons ne pouvait manquer. Les portes des Centres de détention ne peuvent en effet exclure des bénéfices de cet événement ceux qui se trouvent dans l’obligation de passer une partie de leur vie à l’intérieur de leurs murs.

En pensant à ces frères et sœurs, je veux tout d’abord souhaiter que le Ressuscité, qui est entré au Cénacle alors que les portes étaient fermées, puisse pénétrer dans toutes les prisons du monde et trouver un accueil dans les cœurs, afin d’apporter à tous la paix et la sérénité.

On sait que par ce Jubilé l’Église célèbre d’une manière spéciale le mystère de l’incarnation de notre Seigneur Jésus Christ. En effet, deux mille ans se sont écoulés depuis que le Fils de Dieu s’est fait homme et est venu habiter parmi nous. Aujourd’hui comme alors, le salut apporté par le Christ nous est à nouveau offert, afin qu’il produise des fruits abondants de bien selon le dessein de Dieu, qui veut sauver tous ses fils, spécialement ceux qui, après s’être éloignés de lui, sont en recherche du chemin de retour. Le Bon Pasteur part continuellement à la recherche des brebis perdues et, quand il les trouve, il les prend sur ses épaules et les ramène à la bergerie. Le Christ cherche à rencontrer tout être humain, dans quelque situation qu’il se trouve!

2. Le but de la rencontre de Jésus avec l’homme est son salut. Salut qui est proposé, non imposé. Le Christ attend de l’homme une acceptation confiante, qui ouvre son esprit à des décisions généreuses, capables de réparer le mal accompli et de promouvoir le bien. Il s’agit là d’un chemin parfois long, mais vraiment stimulant, car il est accompli non pas de manière solitaire mais en compagnie du Christ lui-même et avec son soutien. Jésus est un compagnon de voyage patient, qui sait respecter les temps et les rythmes du cœur humain, sans pour autant se lasser d’encourager chacun sur la route qui mène au salut. L’expérience jubilaire est étroitement liée à l’histoire humaine du temps qui passe, et elle veut lui donner un sens: d’une part, le Jubilé entend nous aider à vivre le souvenir du passé, mettant à profit toutes les expériences vécues; d’autre part, il nous tourne vers l’avenir, dans lequel l’engagement de l’homme et la grâce de Dieu doivent tisser ensemble ce qu’il reste à vivre.

Celui qui se trouve en prison pense avec regret ou avec remords au temps où il était libre, et il subit lourdement un temps présent qui semble ne jamais devoir finir. Une forte expérience de foi peut apporter une aide déterminante à l’exigence humaine d’atteindre un équilibre intérieur même dans cette situation difficile. Tel est l’un des motifs de la valeur du Jubilé dans les prisons: l’expérience jubilaire vécue derrière les barreaux peut conduire à des horizons humains et spirituels inattendus.

3. Le Jubilé nous rappelle que le temps appartient à Dieu. Même le temps de la détention n’échappe pas à cette seigneurie de Dieu. Les pouvoirs publics qui, en application d’une disposition législative, privent un être humain de sa liberté personnelle, mettant pour ainsi dire entre parenthèses une période plus ou moins longue de son existence, doivent savoir qu’ils ne sont pas les maîtres du temps du détenu. De même, celui qui est en détention ne doit pas vivre comme si son temps de prison lui était irrémédiablement soustrait: même le temps passé en prison est un temps de Dieu et doit être vécu comme tel; c’est un temps qu’il faut offrir à Dieu comme une occasion de vérité, d’humilité, d’expiation et aussi de foi. Le Jubilé est une manière de nous rappeler que non seulement le temps appartient à Dieu, mais que les moments où nous savons tout récapituler dans le Christ deviennent pour nous « une année de grâce du Seigneur ».

Pendant cette période du Jubilé, chacun est appelé à régler le temps de son cœur, unique et irremplaçable, sur le temps du cœur miséricordieux de Dieu, toujours prêt à accompagner chacun, à son rythme, vers le salut. Même si les conditions de la vie carcérale risquent parfois de dépersonnaliser l’individu, le privant de nombreuses possibilités de s’exprimer lui-même publiquement, il doit se rappeler qu’il n’en est pas ainsi devant Dieu: le Jubilé est le temps de la personne, où chacun est lui-même face à Dieu, dont il est l’image et la ressemblance. Et chacun est appelé à accélérer sa marche vers le salut et à aller de l’avant dans la découverte progressive de la vérité sur soi.

4. Le Jubilé ne veut pas laisser les choses comme elles sont. L’année jubilaire de l’Ancien Testament devait « rétablir l’égalité entre tous les fils d’Israël, ouvrant de nouvelles possibilités aux familles qui avaient perdu leurs biens et même la liberté personnelle » (Lettre apost. Tertio millennio adveniente, n. 13). La perspective que le Jubilé ouvre pour chacun est donc une occasion à ne pas perdre. Il faut profiter de l’Année sainte pour veiller à réparer d’éventuelles injustices, pour modérer certains excès, pour récupérer ce qui, autrement, se perdrait. Et si cela vaut pour toute expérience humaine, qui est du domaine du perfectible, cela s’applique à plus forte raison à l’expérience de la détention, où les situations qui se créent revêtent toujours un caractère particulièrement délicat.

Mais le Jubilé ne fait pas que nous inciter à prendre des mesures pour réparer les situations d’injustice. Il a aussi un sens positif. De même que la miséricorde de Dieu, qui se présente sous des formes toujours nouvelles, ouvre de nouvelles possibilités de croissance dans le bien, de même célébrer le Jubilé signifie s’employer à créer des occasions nouvelles de rachat pour toute situation personnelle et sociale, même si elle est apparemment sans espoir. Tout cela est encore plus évident pour la réalité carcérale: s’abstenir d’actions de promotion à l’égard du détenu signifierait réduire la mesure de détention à une simple rétorsion sociale, et donc la rendre odieuse.

5. Si le grand Jubilé est une occasion offerte aux détenus de réfléchir sur leur situation, on peut en dire autant pour toute la société civile, qui affronte quotidiennement la délinquance, pour les autorités chargées de faire respecter l’ordre public et de favoriser le bien commun, pour les juristes appelés à réfléchir sur le sens de la peine et à ouvrir de nouvelles perspectives pour la collectivité.

Ce thème a été abordé nombre de fois au cours de l’histoire et l’on a réalisé beaucoup de progrès dans le sens de l’adaptation du système pénal à la dignité de la personne humaine aussi bien qu’à la garantie effective du maintien de l’ordre public. Mais les difficultés et les malaises vécus dans le monde complexe de la justice, et plus encore la souffrance qui provient des prisons, montrent qu’il y a encore beaucoup à faire. Nous sommes encore loin du moment où notre cons- cience pourra être certaine d’avoir fait tout son possible pour prévenir la délinquance et pour la rép
rimer efficacement de façon qu’elle ne continue pas à nuire, et en même temps pour offrir aux délinquants la possibilité d’un rachat et d’une réinsertion positive dans la société. Si tous ceux qui, à des titres divers, sont impliqués dans ce problème voulaient bien profiter de l’occasion offerte par le Jubilé pour développer cette réflexion, l’humanité entière pourrait peut-être faire un grand pas en avant vers une vie sociale plus sereine et plus pacifique.

La punition de détention est aussi vieille que l’histoire de l’homme. Dans beaucoup de pays, les prisons sont surpeuplées. Certaines comportent quelques commodités, dans d’autres, les conditions de vie sont très précaires, pour ne pas dire indignes de l’être humain. Les chiffres connus de tous nous disent que cette forme de punition ne réussit généralement qu’en partie à endiguer le phénomène de la délinquance. Et même, dans certains cas, les problèmes qu’elle crée semblent plus nombreux que ceux qu’elle tente de résoudre. Cela demande que l’on repense la question en vue d’une certaine révision: de ce point de vue aussi, le Jubilé est une occasion à ne pas perdre.

Selon le dessein de Dieu, chacun doit jouer son propre rôle pour collaborer à l’édification d’une société meilleure. Cela comporte évidemment un grand effort en ce qui concerne également la prévention du crime. Et quand, malgré tout, celui-ci est commis, la collaboration au bien commun se traduit pour chacun, dans les limites de sa compétence, par l’engagement à contribuer à la prévision de chemins de rédemption et de croissance personnelle et communautaire marqués par la responsabilité. Tout cela ne doit pas être considéré comme une utopie. Ceux qui le peuvent doivent s’efforcer de donner une forme juridique dans ce but.

6. Dans cette ligne, il est donc souhaitable d’en arriver à un changement de mentalité, grâce auquel il soit possible de pourvoir à une adaptation convenable des institutions juridiques. Naturellement, cela suppose un fort consensus social et une bonne compétence technique. Un puissant appel en ce sens monte des innombrables prisons disséminées dans le monde, où sont ségrégés des millions de nos frères et sœurs. Ces derniers réclament surtout une adaptation des structures carcérales, et parfois aussi une révision de la législation pénale. On devrait enfin effacer de la législation des États les normes contraires à la dignité et aux droits fondamentaux de la personne humaine, ainsi que les lois qui font obstacle à l’exercice de la liberté religieuse pour les détenus. Il faudra revoir également les règlements des prisons qui ne prêtent pas suffisamment attention aux détenus atteints de maladie grave ou en phase terminale; de même, il faut renforcer les institutions préposées à la sauvegarde légale des plus pauvres.

Mais même dans les cas où la législation est satisfaisante, beaucoup de souffrances dues à des facteurs concrets atteignent les détenus. Je pense en particulier aux conditions précaires des lieux de détention dans lesquels les prisonniers sont contraints de vivre, et aussi aux vexations infligées parfois aux détenus en raison de discriminations pour des motifs ethniques, sociaux, économiques, sexuels, politiques et religieux. Il arrive que la prison devienne un lieu de violence comparable aux milieux d’où proviennent bien souvent les détenus. Il est évident que cela rend vain tout effort éducatif des mesures de détention.

D’autres difficultés s’opposent à ce que les prisonniers puissent maintenir des contacts réguliers avec leurs familles et leurs amis, et l’on trouve souvent de graves carences dans les structures qui devraient aider ceux qui sortent de prison et les accompagner dans leur réinsertion sociale.

Appel aux Gouvernants

7. Le grand Jubilé de l’An 2000 s’inscrit dans la tradition des années jubilaires qui l’ont précédé. Chaque fois, la célébration de l’Année sainte a été, pour l’Église et pour le monde, l’occasion de faire quelque chose en faveur de la justice, à la lumière de l’Évangile. Ces rendez-vous sont ainsi devenus un stimulant pour inciter la communauté à revoir la justice humaine à la mesure de la justice de Dieu. Seules une évaluation sereine du fonctionnement des institutions pénales, une vraie prise de conscience des fins que la société se propose pour affronter la criminalité, une sérieuse appréciation des moyens utilisés à ces fins, ont conduit, et pourront encore conduire, à identifier les corrections qui s’imposent. Il n’est pas question d’appliquer quasi automatiquement ou seulement pour l’apparence des mesures de clémence qui resteraient purement formelles, de telle sorte qu’après le Jubilé tout redeviendrait comme avant. Il s’agit au contraire de lancer des initiatives qui puissent constituer les vraies prémices d’un renouveau authentique tant des mentalités que des institutions.

Dans ce sens, les États et les gouvernements qui auraient entrepris ou entendraient entreprendre des révisions de leur système carcéral, pour mieux l’adapter aux exigences de la personne humaine, méritent d’être encouragés à poursuivre cette œuvre si importante, en prévoyant également un recours plus fréquent à d’autres mesures que la peine de détention.

Pour rendre plus humaine la vie en prison, il est plus que jamais important de prévoir des initiatives concrètes qui permettent aux détenus d’exercer, autant que possible, des activités de travail de nature à les soustraire à l’appauvrissement résultant de l’oisiveté. On pourra ainsi leur faire suivre des parcours de formation qui faciliteront leur réinsertion dans le monde du travail à la fin de leur peine. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’accompagnement psychologique qui peut servir à dénouer des problèmes liés à la personnalité. La prison doit être non pas un lieu de négation de l’éducation, un lieu d’oisiveté, voire de vice, mais de rédemption.

À cette fin, les détenus seront certainement aidés si on leur offre la possibilité d’approfondir leurs rapports avec Dieu, et aussi leur implication dans des projets de solidarité et de charité. Cela contribuera à accélérer le processus de leur récupération sociale, tout en rendant plus vivable le milieu carcéral.

Dans le cadre de ces propositions ouvertes sur l’avenir, poursuivant une tradition instaurée par mes Prédécesseurs à l’occasion des années jubilaires, je m’adresse avec confiance aux Responsables des États pour demander un signe de clémence au bénéfice de tous les détenus: une réduction, même modeste, de leur peine constituerait pour les détenus un signe clair de sensibilité à l’égard de leur situation, qui ne manquerait pas de susciter des échos favorables dans leur esprit, les encourageant à regretter le mal accompli et stimulant leur repentir personnel.

Si cette proposition était accueillie par les Autorités responsables, non seulement cela inviterait les détenus à se tourner vers l’avenir avec une nouvelle espérance, mais cela constituerait également un signe éloquent que s’établit progressivement dans le monde, qui s’ouvre au troisième millénaire chrétien, une justice plus vraie parce que ouverte à la force libératrice de l’amour.

J’invoque les bénédictions du Seigneur sur tous ceux qui ont la responsabilité d’administrer la justice dans la société, et aussi sur ceux qui ont encouru les rigueurs de la loi. Puisse Dieu accorder abondamment à tous et à chacun ses lumières et les combler tous de ses biens célestes! Je veux assurer les détenus, hommes et femmes, de toutes les parties du monde que je suis proche d’eux spirituellement, et en pensée je les serre tous dans mes bras, comme des frères et sœurs en humanité.

Du Vatican, le 24 juin 2000.

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ZENIT Staff

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