ROME, mardi 24 février 2004 (ZENIT.org) – Pour que l’islam puisse s’intégrer dans les pays occidentaux, une relecture du Coran serait nécessaire, affirme le père Samir Khalil Samir S.J.
Dans la deuxième partie de cet entretien accordé à Zenit, (la première partie a été publiée dimanche, cf. ZF04022205) le père Samir continue d’approfondir des chemins de rencontre possibles entre chrétiens et musulmans.
Zenit : Les chrétiens se sentent de plus en plus interpellés par l’islam. Est-ce que les musulmans se posent aussi des questions sur le christianisme ?
P. Samir Khalil Samir : Les chrétiens se posent en effet des questions sur l’islam. Vivant dans un milieu mixte comme celui de Beyrouth je dois dire qu’ils s’interrogent sur l’islam, et réciproquement, même s’il est vrai qu’au Liban les musulmans me disent toujours que nous les chrétiens connaissons mieux l’islam qu’eux le christianisme. Il est vrai que nous avons certaines difficultés quand nous organisons des congrès et souhaitons trouver un interlocuteur musulman qui connaisse bien le christianisme.
Zenit : L’islam continue d’être méconnu en Europe ?
P. Samir Khalil Samir : L’Europe ne devrait pas se culpabiliser de ne pas connaître l’islam. C’est évident. Elle ne connaît pas non plus le bouddhisme ou d’autres religions. Pour moi la question n’est pas de connaître, mais de vouloir connaître.
Il est bon de travailler ensemble, en critiquant aussi ce qui ne nous plaît pas de leur culture, tout comme eux ont le droit de critiquer des aspects de la culture occidentale qui ne leur plaisent pas.
La conception de la laïcité semble par exemple pour eux avoir supprimé le phénomène religieux, qui de toute façon réapparaît. Cette critique est valide et il faut que cela fonctionne aussi dans l’autre sens.
Il faut rappeler que la présence musulmane en Europe est récente. Il est absurde de prétendre que les racines de l’Europe sont de toutes les religions.
A mon sens, la présence de musulmans en Europe pourrait être une bénédiction, à certaines conditions. Par exemple si on arrivait à créer un islam européen, qui soit de foi musulmane et de culture européenne, c’est-à-dire aussi chrétienne.
On pourrait alors arriver à une relecture du Coran, en partant de l’égalité entre l’homme et la femme, entre croyant et athée, avec les principes de la démocratie et de la civilisation occidentale, surtout de la distinction entre le fait religieux et le fait politique.
Zenit : Certains ont critiqué votre livre (« 100 questions sur l’islam »), affirmant que vous oubliez des aspects très positifs de l’islam comme le soufisme
P. Samir Khalil Samir : Il y a quelque chose de vrai dans cette observation. Je ne parle effectivement pas du soufisme. Mais voyez-vous c’est une réalité que l’islam orthodoxe voit comme quelque chose de privé, ou même comme une déviation. Il n’a pas beaucoup de poids.
Parmi les livres publiés dans le monde arabe musulman, on ne trouve quasiment aucun livre sur le soufisme. En revanche, en Occident il y en a beaucoup. Pourquoi ? Parce que les occidentaux s’intéressent à l’autre en fonction d’eux-mêmes et ne cherche pas à comprendre l’islam tel qu’il est.
Pour l’islam, l’essentiel dans les enseignements et la vie, c’est le juridique. Ceci n’est ni une accusation ni un aspect négatif. C’est la réalité et je dois respecter l’autre tel qu’il est.
Plus que le soufisme, pour comprendre le monde musulman nous devons connaître ses sources. Les « haddit » par exemple, sont les proverbes du prophète. On les trouve rarement traduits et ils sont très importants.
Zenit : Pour vous, le plus urgent est une relecture du Coran ?
P. Samir Khalil Samir : L’important maintenant est de voir comment on doit lire et interpréter aujourd’hui le Coran. Il y a malheureusement peu de musulmans à proposer une relecture du Coran.
Il y a des siècles que le christianisme a commencé une lecture critique de ses sources. Cette lecture critique n’a pas été faite dans le monde musulman et elle est nécessaire.
Repenser le Coran ne signifie pas changer le texte mais sa lecture. Les intellectuels musulmans voudraient le faire mais ils n’y arrivent pas car le poids de la majorité traditionnelle est trop fort.
En Europe cela serait possible, à condition que les groupes intégristes payés par les pays riches du Golfe ne soient pas en situation de force. Ils exportent en Europe un islam qui n’est pas l’islam que veulent les musulmans européens. Ils contrôlent beaucoup de mosquées. Ce ne sont pas les immigrés qui les ont construites mais eux, et leurs prédicateurs, venus d’Arabie ou d’un autre émirat.
Zenit : Pour vous l’islam est quelque chose de naturel. En tant que chrétien arabe, avez-vous l’impression de pouvoir servir d’intermédiaire ?
P. Samir Khalil Samir : J’ai une grande sympathie pour les musulmans. J’appartiens à cette culture. Je suis arabe chrétien dans une culture musulmane, mais ma foi est chrétienne, et je suis content d’une chose comme de l’autre.
L’islam m’est certes familier. Nous les arabes chrétiens avons appris à connaître les aspects positifs et négatifs de la coexistence. Nous pouvons aussi aider les chrétiens d’Occident à comprendre l’islam dans son intégralité et à vivre avec cette religion. Nous sommes des intermédiaires et pouvons apporter ce que l’expérience de plusieurs siècles nous a donné comme fruit.