L’avenir des communications dans l’Eglise en Afrique et pour l’Afrique (4)

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La formation en question

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CITE DU VATICAN, Mardi 3 février 2004 (ZENIT.org) – En cette semaine des Communications sociales promue par l’Eglise en France, Mgr André Joos, du Conseil pontifical pour les Communications sociales (CPCS) explique à Zenit, dans ce quatrième entretien, l’importance de la « formation » soulignée lors des travaux du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique de Madagascar et des îles (SCEAM-SECAM), qui s’est tenu à Dakar, du 30 septembre au 13 octobre 2003 pour l’avenir des communications au service de l’Eglise en Afrique. Il représentait le CPCS à cette réunion, organisée bientôt dix ans après « Ecclesia in Africa » et dans le contexte de la mondialisation (pour les entretiens précédents, cf. ZF040129, ZF040130 et ZF040201).

Zenit : Où faudrait-il porter l’effort principal en ce moment comme initiative de formation à 360 degrés?

Mgr Joos : Il faudrait faire en sorte que le plus grand nombre possible de jeunes africaines ou africains, intéressés aux promesses de la vie ecclésiale, soient introduits à l’opérativité pratique et technique de la communication multimédia. Il y a toujours une première phase de conditionnement technologique ou instrumental. La ‘première génération’ (celle qui n’a pas encore pu accéder à ‘l’usage des moyens techniques’ et qui peut se situer à différents moments selon les régions plus ou moins favorisées au plan multimédia) y est introduite tant bien que mal, c’est-à-dire souvent ‘avec les moyens (et les personnels) du bord’. Partout, au début, la formation –même académique- a dû commencer par à ce niveau. Il faut donc en passer par là aussi en Afrique.

Zenit : L’enseignement secondaire pourrait être l’occasion de cette première étape?

Mgr Joos : Effectivement, on peut supposer que cette introduction se fera de plus en plus au cours de la période de formation propre à l’enseignement secondaire (lycées, collèges, etc). Ce serait presque une «una tantum» s’il n’y avait pas la continuelle mise à jour des technologies (qui peuvent s’accélérer de manière surprenante), qui exige une ‘formation permanente’ plus qu’ailleurs. On ne peut certes pas comprendre les implications de ce niveau si on n’est pas ‘mis dans le bain’. Mais la priorité de la formation de base présente aussi une autre implication: celle de la formation d’opérateurs de témoignage et d’évangélisation au niveau du peuple de Dieu, une bonne catéchèse n’est pas possible sans tenir compte du jeu et des enjeux de la communication (Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale «Ecclesia in Africa», Cité du Vatican 1995, nº 53). La formation en communication doit donc s’étendre au-delà d’une sensibilisation au sein de la formation au ministère sacerdotal (Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale «Ecclesia in Africa», Cité du Vatican 1995, nº 71). Cet engagement des laïcs au sein de l’œuvre communicative ecclésiale est fondamentale (Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale «Ecclesia in Africa», Cité du Vatican 1995, nº 54).

Zenit : Mais les laïcs ont aussi leur rôle à tenir dans la société…

Mgr Joos : A cet égard, on entend en effet parfois une opinion plus réservée: on craint de s’engager à une formation de laïcs qui souvent se sentent sollicités par les possibilités de service au sein de la communauté civile, y trouvant aussi une rémunération plus substantielle. Comment aborder ces incertitudes? Probablement, l’école de notre propre histoire chrétienne et ecclésiale peut nous aider: en effet, dans le passé et à bien des égards, le rôle de l’Eglise n’a pas été de substitution mais de prise en charge de l’assistance non couverte –à un moment donné de l’histoire- par la société civile (la complémentarité). La générosité évangélique implique de ‘former’ non seulement pour nos propres besoins structurels immédiats, mais bien au-delà en vue d’une pénétration de cette ‘âme de famille’ –même indirecte- dans la communauté humaine. La gratuité de la présence chrétienne pourra mieux se déceler par cette ouverture au sein même de la formation (Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale «Ecclesia in Africa», Cité du Vatican 1995, nº 123, 125).

Zenit : Il y a un présupposé humain pour pouvoir être authentiquement ‘incarné’ comme chrétiens à notre époque?

Mgr Joos : C’est une exigence irremplaçable: de bons techniciens… Avoir de bons techniciens est une des données préliminaires d’une mise en œuvre ecclésiale effective dans le domaine multimédia. L’expérience d’autres régions confirme que sans eux, bien des efforts demeurent vains. Ceux-ci ont –même dans l’Eglise- une place propre comme opérateurs à distance de l’action apostolique. L’Afrique manque cruellement de personnes qui ont cette qualification, particulièrement dans le contexte ecclésial (c’est là un témoignage assez généralisé). L’urgence actuelle demande que nous prenions en mains nos propres besoins, c’est-à-dire de former nous-mêmes les jeunes technicien(ne)s dont on a besoin.

Zenit : Est-ce que ce ne serait pas complètement nouveau? Et puis, comment allier le technique et le spirituel?

Mgr Joos : Non, le terrain n’est pas totalement inexploré. En Amérique latine, à partir d’un groupe de formateurs en technologies informatiques, chaque région (diocèse…) a pu proposer à des jeunes une formation de ce genre [1]. Aujourd’hui, le continent est couvert pour ses besoins ecclésiaux de base (toujours en développement). Partant de cette première initiative, une action parallèle pourrait être entreprise en Afrique, tirant parti des expérience déjà vécues par les initiateurs et avec leur aide (au moins initialement). Les modalités pratiques pourraient être spécifiée à partir de ce qui a déjà été fait. Dans sa première phase, cette initiative de formation incluait, parallèlement à la formation technique, l’octroi du matériel nécessaire au service du technicien (ayant pu trouver des financements à cet effet). Tout cela devrait être mis à jour en tenant compte de la situation d’aujourd’hui. A cet égard, une des personnes liées au Conseil pontifical et engagée dans ces initiatives pourrait servir de lien opératif pour démarrer la prise en charge par le noyau africain, éventuellement constitué au sein du CEPACS. La formation de ces technicien(ne)s doit prendre en compte les modifications et les problématiques changeantes au niveau multimédia, comme par exemple en 2003 l’extension des logiciels non seulement dans le cadre de Microsoft mais aussi de Linux (perte de terrain de la Microsoft en termes de qualité et d’efficacité). Une personne ad hoc du CEPACS pourrait suivre plus directement la logistique de cette initiative. Pas mal d’énergie, de temps et d’inventivité seront indispensables. Il sera également fondamental d’assurer une formation spirituelle et ecclésiale à ces technicien(ne)s, ce qui leur donnera des motivations plus convaincantes de vouloir rester au service de l’Eglise, même face à un emploi mieux rémunéré et plus quoté ailleurs.

Zenit : Ne risque-t-on pas de tomber dans le « technicisme » et le professionnalisme replié sur lui-même?

Mgr Joos : Non, je ne pense pas. C’est là qu’intervient la formation plus poussée qui a un sens spécifique face au niveau fondamental et élémentaire. Ce deuxième stade de la formation consiste à approfondir et faire comprendre ce que la communication multimédia a et aura comme effet sur l’expérience humaine comme telle (disons: son implication anthropologique), c’est-à-dire ‘en profondeur’ dans la personne et la communauté (la ‘famille’) humaine –cf. Ci-dessus. Il s’agit de comprendre ce qui s
e passe, au-delà de se qui se remarque à première vue, quant à l’expérience humaine prise dans la spirale –parfois vertigineuse- de la communication multimédia. Le parcours encore bref qui a pu se vivre dans les lieux de formation à la communication, au niveau académique, semble montrer que cette optique est la plus prometteuse et la plus recherchée par les candidats à la spécialisation universitaire. Dans le cadre de nos institutions de formation au ministère, cette base de départ correspondrait plutôt aux années de ‘philosophie’ que de ‘théologie’ (ce qui peut parfois ‘déranger’ les philosophies abstraites considérées comme ‘définitives’ et ‘closes’). A ce niveau, l’Afrique pourrait être avantagée face aux régions ‘bouclées’ au plan de leur acquis de philosophie scholastique: les anthropologies de l’image, de la parole parlée, des communautés de proximité, les anthropologies symboliques, celles du signe, celles des langages, sont encore suffisamment sous-jacentes aux sensibilités culturelles africaines pour pouvoir mieux y faire la part des choses. Le lien interdisciplinaire avec les différentes matières du curriculum universitaire est indispensable pour ne pas isoler le secteur de la communication dans une identité ‘sous-universitaire’ (on entendait volontiers dire par des représentants académique que la communication était une «perte de temps».

Zenit : Comment mettre en œuvre cette formation en coopération avec les centres locaux et régionaux de communication?

Mgr Joos : La formation, tant des jeunes laïcs, que des religieux(ses), que des futurs ministres, ne peut se faire que si elle est plongée dans la pratique concrète de la communication multimédia à distance. Il faut donc lui donner des possibilités de s’exercer effectivement par toutes les ‘extension médiatiques’ possibles. Où trouver les outils nécessaires pour cette mise en exercice (surtout au cours de la phase d’initiation)? Une fois encore, nous devons nous tourner vers les centres de communication qui sont les seuls endroits où une certaine « instrumentalité » peut être trouvée, entretenue, mise à jour, etc… Pourquoi ne pas lier la formation à l’activité professionnelle, culturelle et chrétienne de ces centres, en sollicitant leur collaboration? Les opérateurs de ces centres pourraient être utilement insérés dans les exécutifs de formation des séminaires et des maisons religieuses. De la communication de proximité en maison de formation à la communication à distance, leur point de vue pourrait aider à reconsidérer certaines habitudes de gestion et de vie commune, tenant compte des impératifs du monde actuel.

Zenit : Quel serait le terrain d’un tel exercice pratique?

Mgr Joos : Le terrain d’exercice pratique et d’un engagement de la part des candidats au service communicatif est tout trouvé en Afrique: constituer une mémoire audio-visuelle la plus large possible des traditions de communication traditionnelle, qui risquent de disparaître rapidement au cours des prochaines décennies [2]. Les centres et les médiathèques sont peut-être les seuls endroits où l’on pourra répertorier, classer, utiliser ce matériel de façon communicative. Ce matériel, une fois rassemblé et bien mis en valeur pourra même devenir une source de documentation qui intéressera les réseaux et qui pourra en partie autofinancer l’entreprise communicative. On arriverait ainsi à une réelle banque de données par lesquelles la documentations multimédia pourra être mise à la disposition des entreprises de communication intéressées. Il serait bon de penser à un contact permanent entre les centres pour s’échanger les données et concorder la manière (où, quand, comment) de mettre sur pied des noyaux opérationnels qui puissent emmagasiner le matériel. Une rencontre inter-centres serait nécessaire à cet égard, qui pourrait se tenir en parallèle aux rencontres des recteurs et supérieurs, comme section connexe de ces rencontres déjà financées.

(à suivre)
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Notes:

[1] Cfr le «Centre de formation et de développement «Nuestra Señora de Guadalupe». Red Informática de la Iglesia en América latina», c/o Mgr Lucio Ruiz – Dr Leticia Soberon Mainero, CPCS, Cité du Vatican.

[2] ANNEXE 7 (sans nominatif), L’environnement des médias en Afrique Centrale, in COMITE EPISCOPAL PANAFRICAIN DES COMMUNICATIONS SOCIALES, Séminaire des recteurs des grands séminaires et noviciats de l’ACERAC sur l’enseignement de la communication (SEREGRASECOM), Annexes (22-26 juillet 2003), Ghana 2003, etiam in «Internet» 2003, http://www.sceam-secam.org/french/news/fnews.asp?id=18, p. 37 : «En vérité, l’on est littéralement abasourdi devant l’incommensurable richesse pour ainsi dire que l’on rencontre dans la région … en outils de communication locaux, traditionnels, ancestraux. C’est assurément les arts musicaux qui sont les plus grands utilisateurs de ces instruments (des percussions aux formes les plus diverses telles que les balafons, le tambours et tam-tam, les cloches et xylophones ; les innombrables modèles d’instruments à cordes, comme le mvet, les koras ; les sanzas, et autres gadgets à vents). Un grand nombre de ces instruments dits de musique sont utilisés comme moyens de communication immédiate. C’est le cas des tam-tams et- cloches qui, en arrière pays, permettent de codifier nos langues selon des techniques de tonalisation. Grâce à eux, des messages peuvent transiter sur des distances remarquables, entre villages ou hameaux. Pour nous faire une idée de l’efficacité de ces moyens, voici un témoignage que je tiens de mon propre père, ABAH Fabien …sur comment, en 1943, la nouvelle du décès de Monseigneur François-Xavier Vogt de Yaoundé s’était disséminée. Il (papa) n’était encore que petit enfant de chœur à la mission catholique de Nkol-Avolo [ ?] lorsque la nouvelle y parvint (dit-il) par un tam-tam, bien avant le coucher du soleil. L’on dit en effet qu’à partir de Mvolyé, alors siège de l’évêque, des tam-tams se sont relayés en directions respectives, au point qu’en un temps record, l’immense (alors immense) diocèse de Yaoundé fut informé de la triste nouvelle, et les célébrations de deuil commencèrent de partout… Les pays d’Afrique Centrale regorgent parallèlement de rites forts, de jeux et danses ayant servi, au cours des âges, comme vecteurs puissants de messages entre individus ou sociétés. Les peuples de la région ont en effet mis au point de nombreux rites funéraires, de veuvage, d’initiation, de purification, de mariage, etc., cadres d’exercice par excellence de la communication. N’oublions pas que la plupart de ces pratiques constituaient autant d’outils pédagogiques dans les systèmes d’éducation anciens … Et nous devons leur rattacher l’immense médiathèque orale constituée des innombrables contes, fables, épopées, devinettes et charades, adages et proverbes que le génie et la sagesse des peuples ont su créer. Enfin, l’imagination séculaire nous a légué d’autres langages presque à l’infini. Nous voulons parler de toutes ces techniques symboliques usant d’éléments de la nature pour parler aux hommes. Exemple. Dans nos villages du Centre Sud et Est du Cameroun, une branche de palmier plantée devant une maison dit à tous les passants que du bon nectar est disponible en ces lieux. Bien vouloir faire escale donc… L’éventail de ces méthodes est simplement ineffable…».

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ZENIT Staff

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