CITE DU VATICAN, Dimanche 13 mai 2001 (ZENIT.org) – Le lendemain de l´attentat, à peine revenu à lui, la première demande de Jean-Paul II a été: « Avons-nous dit les complies? » Le prêtre ne voulait pas omettre de s´unir à la prière liturgique de l´Eglise pour le monde, fidèle à sa vocation, « don et mystère ».
Le pape a aujourd´hui évoqué l´attentat du 13 mai 1981, en invoquant sur les nouveaux prêtres « l´assistance maternelle » de la Vierge Marie « en ce jour où nous faisons mémoire de ses apparitions à Fatima ». Le pape ajoutait: « Moi-même j´ai eu l´occasion de faire l´expérience de sa protection le 13 mai, il y a vingt ans ».
Ces moments dramatiques ont marqué l´opinion publique aussi en raison de la confiance du pape en la Vierge, de son pardon à Ali Agça et de son combat personnel pour la Vie et la famille. La piste du KGB aurait été confirmée par plusieurs sources récentes.
Le sixième chapitre du livre « N´ayez pas peur. André Frossard dialogue avec Jean-Paul II » est consacré à « l´attentat » (Robert Laffont, Paris, 1982). Frossard y donne la parole à plusieurs témoins, dont le secrétaire personnel du pape, Mgr Stanislas Dziwisz. Mgr Dziwisz qui recevait aujourd´hui en Pologne le doctorat honoris causa de l´Université catholique de Lublin (la KUL), non seulement pour ses livres, mais aussi pour son rôle au cours de ce pontificat. C´est pourquoi aujourd´hui, nous lui donnons la parole.
La prière des fidèles
A 17 h 19, le pape est frappé par balles. Frossard décrit d´abord l´attitude de la foule. Deux ou trois cents Polonais avaient apporté de Pologne une image de Notre-Dame de Czestochowa, et ils l´ont posée par terre devant le fauteuil. Un coup de vent l´a renversée, et tout le monde a pu voir qu´il était écrit au dos: « Notre-Dame, protège le Saint-Père du Mal ». Alors les Polonais ont calé le tableau sur le fauteuil, à la place du saint-père. Aussitôt les gens se sont approchés et ont commencé à prier. C´était un mercredi: à l´époque, l´audience hebdomadaire avait lieu le soir.
Les coups de feu
L´auteur présente ensuite le récit fait par Mgr Dziwisz (pp.333-345). « Le 13 mai, le saint-père avait déjeuné avec le Pr Lejeune, son épouse et un autre invité. L´audience a commencé ponctuellement à 17 heures dans la plus grande tranquillité. Rien en laissait pressentir ce qui allait arriver. Alors que le saint-père faisait pour la deuxième fois le tour de la place et approchait de la porte de bronze, le Turc Mehmet Ali Agça a tiré sur lui, le blessant au ventre, au coude droit et à l´index de la main gauche. Selon moi deux balles ont été tirées bien qu´il y ait sur ce point des opinions différentes. L´une a touché l´index avant de traverser l´abdomen. J´étais assis comme d´habitude derrière le saint-père, et la balle, malgré sa force, est tombée entre nous, dans l´auto, à mes pieds. L´autre blessait le coude droit, brûlait la peau et allait blesser d´autres personnes ».
Mgr Dziwisz se souvient de sa réaction: « Qu´ai-je pensé? Personne ne croyait qu´une telle chose fût possible, et, bouleversé, je n´ai pas compris tout de suite. Etait-ce une explosion sous la voiture? Le bruit avait été assourdissant. Notre sœur, de l´appartement, qui regardait la place du haut du palais, l´a entendu. Tous les pigeons se sont envolés. Naturellement, j´ai bientôt réalisé que quelqu´un avait tiré. Mais qui? Et j´ai vu que le saint-père était touché. Il vacillait mais on ne voyait sur lui ni sang ni blessure.
Alors j´ai demandé: « Où? »
Il m´a répondu: « Au ventre. » J´ai encore demandé: « Est-ce douloureux? » Il a répondu: « Oui ».
« Debout, derrière le saint-père, je le soutenais pour qu´il ne tombe pas. Il était à demi assis, penché sur moi dans l´auto, et c´est ainsi que nous avons rejoint l´ambulance, devant le centre sanitaire.
« Au moment de… l´accident, il y avait un médecin dans l´ambulance. La décision de partir a été prise immédiatement, pour éviter la confusion, et peut-être une nouvelle tentative. Je n´avais pas d´autre pensée que celle-ci: l´hôpital, et ce devait être l´hôpital Gemelli. Pour deux raisons: la polyclinique était préparée pour une telle éventualité, et, dans une conversation après son élection, le saint-père avait dit que s´il lui fallait un jour recevoir des soins, il devait être hospitalisé comme tout le monde, et que l´hôpital pouvait être Gemelli ».
La première ambulance n´étant pas équipée pour la réanimation, il y eut un transfert dans une seconde, raconte Frossard: personne ne savait à quel point la vie du pape était en danger.
Dans l´ambulance
Mgr Dziwisz continue son récit: « Le saint-père ne nous regardait pas. Les yeux fermés, il souffrait beaucoup et répétait de courtes prières exclamatives. Si je me souviens bien, c´était surtout: « Marie, ma mère! Marie, ma mère! »
« Le Dr Buzzonetti, un infirmier, frère Camille, étaient avec moi dans l´ambulance. Elle roulait très vite, sans aucun accompagnement de police. Sa sirène elle-même s´était détraquée après quelques centaines de mètres. Le trajet qui en temps ordinaire demande au moins une demi-heure a pris huit minutes, et dans la circulation romaine!
« Je ne savais pas si le saint-père était encore pleinement conscient. Il souffrait intensément et de temps en temps répétait une oraison. Il est faux qu´il ait dit: « Pourquoi moi? » ou formulé quelque reproche. Rien de tel. Il n´a eu aucune parole de désespoir ou de ressentiment, mais seulement celles d´une profonde prière venue d´une grande souffrance.
« Plus tard, le saint-père m´a dit qu´il état resté conscient jusqu´à l´hôpital, que là seulement, il avait perdu connaissance, et qu´il avait été tout le temps convaincu que ses blessures n´étaient pas mortelles ».
L´intervention et les séquelles
Mgr Stanislas est entré dans la salle opératoire avec le pape. L´opération, toujours selon le récit de Frossard, a duré cinq heures et vingt minutes. L´état du blessé était considéré comme très grave. La tension était extrêmement basse. Mgr Dziwisz a donné le sacrement des malades au pape dans la salle avant l´intervention. Il raconte encore: « l´espoir est revenu graduellement pendant l´opération. Au début, c´était l´angoisse. Puis il s´est révélé peu à peu qu´aucun organe vital n´était touché, et qu´il restait une possibilité de vie ». Mais le pape avait perdu les trois quarts de son sang, et la transfusion sanguine allait lui transmettre un virus, tandis que la reconstruction de l´appareil intestinal, très endommagé, avait pris des heures. Il est resté en réanimation jusqu´au 18 mai.
Mgr Stanislas n´a pas quitté le pape pendant trois mois. Il se souvient d´un détail: le pape n´a pas omis le bréviaire. « Je me rappelle que le lendemain de l´attentat, à peine revenu à lui, sa première demande a été: « Avons-nous dit les complies? » Le 23 mai, les médecins ont signé un communiqué disant que la vie du pape n´était plus en danger.
Le primat
Le 25, la fièvre était cependant revenue. A 12 h 25, Jean-Paul II a eu une dernière conversation téléphonique avec le primat de Pologne, le cardinal Stefan Wyszynski, qui devait mourir le 28. Le pape sortait de l´hôpital le 3 juin pour y retourner le 20 pour de nouveaux examens, qui allaient confirmer la présence d´un virus, cause de la fièvre et de différents symptômes. Un point de pleurésie allait compliquer les choses. Mais le 5 août, une opération d´une heure devait libérer le pape du système de dérivation mis en place lors de la première opération, et il allait pouvoir rentrer au Vatican le 14 août. Le lendemain, il célébrait l´Assomption devant une foule de cinquante mille personnes. Le soir, à 17 h 30, il s´envolait en hélicoptère pour Castelgandolfo.
Une certitude intérieur
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Mais André Frossard a aussi recueilli le témoignage du pape sur ces moments dramatiques. Il dit qu´il n´a jamais redouté la mort: « Non par courage, mais parce qu´à l´instant où je tombais, place Saint-Pierre, j´ai eu ce vif pressentiment que je serais sauvé. Cette certitude ne m´a jamais quitté, même dans les pires moments, que ce soit après la première opération ou pendant la maladie virale ».
La protection de la Vierge Marie
Cinq jours après l´attentat, le pape reprend à son compte un proverbe polonais et dit: « Une main a tiré. Une autre a dévié la balle ». Il attribue cette protection à la Vierge Marie. A l´angélus du dimanche, dans un message enregistré depuis sa chambre d´hôpital, il confie l´humanité au Cœur Immaculé de Marie. Le 13 mai 1982, il ira remercier la Vierge et une des balles sera sertie dans la couronne de la statue de la Vierge, surtout, le pape confiera l´humanité à la Vierge.
L´an dernier, le 13 mai 2000, à Fatima, lors de la béatification des deux pastoureaux, Jacinta et Francisco Marto, il révèle le contenu de la dernière partie du message de Fatima, qui parle des souffrances de l´Eglise et de « l´évêque vêtu de blanc », frappé par des « coups d´arme à feu »: une annonce de l´attentat du 13 mai 1981. Il remettra à la Vierge l´anneau du cardinal Wyszynski, qui avait prophétisé que Karol Wjtyla introduirait l´Eglise dans le troisième millénaire. Les balles, rappelle Mario Agnes dans L´Osservatore Romano d´aujourd´hui, n´ont pas arrêté le nouveau chemin de l´histoire. Mais le cardinal Ratzinger précisera dans son analyse du texte, publiée lundi 26 juin 2000, que le pape ne s´est fait apporter le texte qu´après l´attentat. le 8 octobre, lors du Jubilé des évêques, le pape renouvelait, devant la statue de Notre-Dame de Fatima, place Saint-Pierre la prière d´abandon entre les mains de la Vierge pour ce nouveau millénaire.
Le pardon immédiat
Mehmet Ali Agça, auquel le pape a pardonné immédiatement (le dimanche 17 mai 1981), avant même de lui rendre visite à la prison romaine de Rebibbia (27 décembre 1983), a été gracié l´an dernier, le 13 octobre 2000, par le président de la République, qui avait reçu une lettre du pape favorable à la libération de celui qu´il a appelé « le frère qui m´a frappé ». Le « Nouvel Observateur » avait retenu dans son numéro spécial sur « le pardon » différents exemples historiques, dont celui de la fille d´Aldo Moro aux meurtriers de son père et celui du pape à Ali Agça.
Lors de l´annonce de la grâce présidentielle, le porte-parole du saint-Siège, M. Navarro Valls, avait fait savoir la « satisfaction personnelle » du pape pour cette mesure (qui s´accompagnait de l´extradition vers la Turquie où il escompte actuellement une autre peine), en particulier du fait qu´elle survenait dans le cadre du Jubilé. Le pape avait reçu la mère de Mehmet Ali Agça en 1994 et en 1996, et son frère Adnan, en 1997. Le 26 février 1999, Agça avait lui-même écrit au pape lui demandant de bien vouloir intervenir favorablement auprès des autorités italiennes. Déjà, en 1997, le Vatican avait fait savoir qu´il n´y avait pas d´objection à la grâce.
La main du KGB?
Mais d´où est venu le projet « d´éliminer Wojtyla »? Le quotidien italien L´Avvenire évoque un document du KGB aux services secrets des pays de l´Est et deux « opérations anti-pape » intitulées en code par le mot « Pogoda » (Quel temps fait-il) et « Infeksija » (infection), destinées à « discréditer l´Eglise catholique, organiser des campagnes de désinformation et miner son activité ». Le document parle également de l´éventuelle « élimination physique » du pape « si nécessaire ». Un document venant de Tchécoslovaquie aurait été remis par le président Vaclav Havel aux autorités italiennes lors de sa venue à Rome en 1999. D´autres sources évoquent le document: Viktor Shejmov, du KGB, qui a fui aux Etats-Unis en 1980 et le dossier de Vassili Mitrokhine, également du KGB, et réfugié à l´ambassade des Etats-Unis à Riga (Lettonie) en 1992 avec des dossiers de la Lubianka.
Pourtant, d´autres ex-agents du KGB repoussent les accusations avec véhémence. Dans « Izvestia » du 10 avril 1998, Boris Solomatine, diplomate en Italie de 1976 à 1982, et agent du KGB sous cette couverture diplomatique, déclarait: « En toute responsabilité, je déclare que le KGB n´a rien eu à voir avec cet événement. Je n´ai appris les coups de feu de la place saint-Pierre que par la radio italienne ». Mais il admettait la possibilité que Moscou n´ait pas mis son « résident en Italie » au courant de ce qui se tramait contre le pape.
L´attentat à la vie et à la famille
Les observateurs ont également noté une autre circonstance de l´attentat: le projet de Jean-Paul II en faveur de la famille (d´où le déjeuner avec le Pr Lejeune) et l´annonce du vote de la loi italienne sur l´avortement, adoptée le 17 mai 1981. Mgr Dziwisz n´hésite pas à dire – toujours chez Frossard – « cette légalisation du meurtre, contre laquelle il avait tant lutté, a été un coup ajouté à ses blessures ».