La foi et la confiance – bas-relief de plafond, palais Giustiniani-Murano, Venise ©Wikimedia commons

La foi et la confiance – bas-relief de plafond, palais Giustiniani-Murano, Venise ©Wikimedia commons

Une continuité enracinée dans l’histoire, Vatican II relu 60 ans plus tard

Dignitatis humanae, une déclaration sur la liberté religieuse, 5e partie

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Au pas du caractère surnaturel inchangé de sa mission, l’Église défend sa liberté et celle de ses enfants à travers les siècles. La liberté pour annoncer l’Évangile du salut est objet de son engagement face à l’emploi de la force ou aux ambitions politiques qui menacent de l’intérieur ou de l’extérieur. Elle opte en définitive de s’en remettre au bon vouloir de la Providence.

 

L’Église marche sur les pas du Christ et des apôtres

Le §12 considère donc à juste titre que « l’Église marche sur les pas du Christ et des apôtres ». Lorsqu’elle reconnaît le principe de liberté religieuse, cela est « conforme à la dignité de l’homme et de la révélation divine ». Cela ne signifie nullement que le Concile oppose à Dieu des droits de l’homme. Il ne lit dans la Révélation aucunement l’autorisation à l’homme de croire ou de ne pas croire. Pour le Concile, comme pour toute la tradition catholique, la seule dignité de l’homme, quel qu’il soit, réside dans son statut de créature divine. Malgré la chute, en effet, il conserve toujours un reste d’image de Dieu. Tout comme le peuple d’Israël, dans ses pires moments d’égarement, conservait un reste. Cela commence avec Noé (Genèse 7, 23) et se poursuit tout au long des Écritures, chez les prophètes en particulier. En Isaïe 7 par exemple, on traduit par « reste » la racine hébraïque shear ou sheêrit.

Et la référence à la révélation renvoie à l’attitude de Jésus et de ses disciples qui n’hésitaient pas à dénoncer l’erreur de l’incrédulité, sans pour autant forcer les incrédules à croire. Ils avaient conscience d’être les instruments de l’Esprit Saint face à des créatures d’origine divine qui devaient, comme telles, adhérer par amour de la vérité à la parole rédemptrice, donc dans la liberté. Et il est tout à l’honneur du texte de reconnaître que l’Église au cours des siècles n’a pas toujours reflété la patience de Dieu. « Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi. »

L’Inquisition et son dévoiement

Nous ne passerons donc pas sous silence l’Inquisition, établie en France par le pape Grégoire IX le 20 avril 1233. Ce tribunal pontifical fut confié aux ordres mendiants, dominicains et franciscains. Il s’agissait de convaincre ceux qui s’étaient égarés en matière de doctrine de revenir à la foi. Le recours à la violence exista effectivement, mais pas comme le dix-neuvième siècle anticlérical l’a raconté. Il faut faire d’abord l’effort de resituer ce que représente l’hérésie dans une civilisation de chrétienté. Force est de constater que l’égarement doctrinal finit toujours par troubler gravement l’ordre public. Ce qui incite le pouvoir temporel à agir lui-même, si l’Église lui paraît trop laxiste.

C’est pour cette raison que l’Église a dû prendre les devants, mais cela n’a pas toujours suffi. Rappelons que l’Inquisition a été créée après la croisade contre les Albigeois. Celle-ci avait été provoquée par l’assassinat du légat du pape, Pierre de Castelnau, le 14 janvier 1208. C’est Innocent III qui le 10 mars proclama la croisade contre l’hérésie cathare. Celle-ci devint prétexte à des désobéissances entre féodaux, provoquant des interventions armées. Et ce fut l’engrenage de la violence, et les bûchers que l’on connaît. Le 15 janvier 1213, Innocent III déclara la fin de la croisade, car il voulait réunir un concile. Il demanda aux belligérants d’arrêter de se battre, mais il ne fut pas écouté.

Le concile de Latran (le quatrième) se réunit en novembre 1215, pour être clos à la fin du mois. L’hérésie cathare est condamnée, le comte de Toulouse démis de ses biens pour avoir aidé les hérétiques et la guerre continua. Le pape Grégoire IX qui créa l’Inquisition était le neveu d’Innocent III. Puisque l’état de guerre persistait, l’Église voulut épargner des vies humaines en ne s’attaquant qu’aux hérétiques. L’affaire de Montségur le prouve hélas dans de dures conditions. De nombreux cathares s’étaient réfugiés dans ce château au printemps 1242. De là, certains partirent assassiner onze inquisiteurs qui se trouvaient dans la région. La forteresse fut assiégée pendant 10 mois puis prise par le Sénéchal de Louis IX, futur saint Louis.

La vie sauve fut accordée à tous les défenseurs catholiques, le pillage interdit et la grâce accordée aux hérétiques qui se convertiraient. Deux cents refusèrent et furent brûlés vifs. Cela dit, d’une manière générale, cette justice n’était pas expéditive, mais très méticuleuse. Le recours à la torture (élément normal de la justice de ce temps) était limité, et les aveux obtenus par ce moyen devaient être confirmés hors torture. La remise au bras séculier, le bûcher, plus rare qu’on l’a écrit. Pour citer un exemple : Sur 633 sentences prononcées en quinze ans à Toulouse, l’inquisiteur Bernard Gui a envoyé 40 personnes au bûcher. Quant à l’Inquisition espagnole, elle échappa au contrôle des papes pour être en fait sous domination royale. (1)

Évolutions de la liberté religieuse en France

En France, l’Inquisition n’eut jamais de grands pouvoir, l’autorité royale s’y opposa constamment. La dernière grande contrainte en matière religieuse fut la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Ce qui n’enthousiasma pas le pape, en pleine querelle avec Louis XIV dans l’affaire de la régale. (2) Louis XV aurait volontiers fait un édit de tolérance pour les protestants, mais l’opposition parlementaire l’en empêcha. C’est Louis XVI qui le fera en 1787, et il se trouvera quand même un parlementaire pour dire à son représentant qu’il « crucifiait le Christ une seconde fois ! ». C’est en réalité le premier consul Bonaparte qui donna la liberté religieuse aux catholiques en 1801, et aux protestants en 1802. Devenu empereur, il l’accorda aux juifs en 1808.

Sur ce point, la loi de séparation de 1905 n’a en fait rien changé. Le pape saint Pie X a cependant condamné cette loi en 1906, par l’encyclique Vehementer nos. C’est parce qu’il y voyait l’occasion pour les ennemis de l’Église catholique de diminuer son influence et sa visibilité dans la cité. Il y apercevait aussi des possibilités de porter atteinte à sa liberté. Après près d’un siècle d’une laïcité apaisée, la loi du 24 août 2021, pour conforter les principes de la République, risquent de donner raison à saint Pie X.

Liberté de l’Église

Le §13 aborde très logiquement cette question de la liberté de l’Église. À cette époque, elle n’était nullement menacée en France et dans les pays occidentaux, le monde dit « libre ». Il n’en n’était pas de même dans les pays communistes, avec de très fortes nuances selon les endroits. L’Allemagne de l’Est fut certainement un des pays les plus durs, au contraire de la Pologne et de la Russie. Le Concile qualifie de sacrée la liberté de l’Église, ajoutant que « cette liberté est si propre à l’Église que ceux qui la combattent agissent contre la volonté de Dieu. La liberté de l’Église est un principe fondamental dans les relations de l’Église avec les pouvoirs publics et tout l’ordre civil ». Quand je m’informais en 1978, auprès d’un évêque ami de la signification de l’élection du cardinal Wojtyla comme pape Jean Paul Il, il m’expliqua que « le glas du communisme commençait à sonner ».

L’Église n’existe que comme signe concret d’annonce aux hommes de la vérité chrétienne, exigeant d’eux une adhésion pleine et entière. Elle ne peut remplir sa mission complètement que si elle demeure libre. Elle ne l’était pas dans les pays communistes. Et elle est d’autant plus forte pour demander cette liberté qu’elle ne la revendique pas que pour elle, mais pour tous les hommes. Elle manifeste ainsi qu’elle laisse la première place à l’Esprit Saint pour convertir les cœurs.

Fonction de l’Église

Le §14 aborde alors là aussi dans un ordre logique une réflexion sur la fonction de l’Église. Nous l’avons esquissée en quelque sorte précédemment en parlant d’annonce de l’Évangile. Le Concile l’explicite ici par la citation de 1 Timothée 2, 1-4, qui place l’action missionnaire dans l’être même de l’Église. Il y aurait donc plus qu’un manque (defectus) dans une Église qui ne serait pas missionnaire ! Et les Pères d’insister sur les devoirs des fidèles du Christ chargés accomplir cette mission « … pour se former la conscience, ils doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l’Église. »

Il est intéressant de relever que par la note 35 (éd. du Cerf) les Pères conciliaires renvoient au message radiophonique de Pie XII du 23 mars 1952, à l’occasion de la journée de la famille. Le vénérable pape dénonce « des erreurs dans la formation et l’éducation de la conscience chrétienne. » Ce n’est pas par hasard que le Concile renvoie à ces considérations pontificales concernant la sainte doctrine de l’Église. Voyons quelques passages « La première étape, ou plutôt le premier coup porté à l’édifice des normes morales chrétiennes, devrait être de les libérer – comme on le prétend – de la surveillance étroite et oppressive de l’autorité de l’Église, afin que, libérées des subtilités sophistiques de l’Église, selon la méthode casuistique, la moralité serait à nouveau ramenée à sa forme originelle et simplement laissée à l’intelligence et à la détermination de la conscience individuelle… Le divin Rédempteur a livré sa Révélation, dont les obligations morales sont une partie essentielle, non envers les hommes individuels, mais envers son Église, à laquelle il a donné mission de les conduire à embrasser fidèlement ce dépôt sacré. De même, l’assistance divine, visant à préserver la Révélation des erreurs et des déformations, était promise à l’Église, et non aux individus. »

Chacun comprendra aisément que ce texte ne laisse aucune place au relativisme, à je ne sais quel affaiblissement de l’autorité du Magistère, et encore moins à un droit à l’erreur. D’ailleurs, après le renvoi à ces paroles de Pie XII, les Pères conciliaires poursuivent : « De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de la vérité ; sa fonction est d’exprimer et d’enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l’ordre moral découlant de la nature même de l’homme. » Le disciple du Christ, sans faire aucune concession à l’erreur est donc invité à « annoncer et à défendre énergiquement la vérité ». Il doit le faire avec charité, montrant qu’il croit en la grâce qui seule peut faire adhérer l’homme à la foi de son plein gré, donc totalement !

Conclusion

Le §15 conclut en constatant que la liberté religieuse est reconnue dans une majorité de pays par des textes constitutionnels et législatifs. Il n’est pas pour autant dupe du fait que dans un certain nombre de cas, il ne s’agit que d’une façade. Car dans ces pays « les pouvoirs publics eux-mêmes s’efforcent de détourner les citoyens de professer la religion et de rendre la vie des communautés religieuses difficile et précaire. » Il est bien clair que ce sont les pays communistes qui sont ici visées. Au moment où le Pape Paul VI approuve ce texte, et les Pères conciliaires avec lui, le 7 décembre 1965, le risque de guerre existe toujours entre l’est et l’ouest. Et pour prévenir et empêcher une telle action suicidaire, il était utile et réaliste, de compter sur la liberté religieuse. Condition indispensable pour engendrer d’autres libertés sources de paix et de concorde entre des peuples différents.

Au vu de toutes les précautions prises pour expliquer ce message, l’Église a su évoluer dans le temps sans rien trahir de la vérité catholique. Il était important en 1965 que l’appel à la liberté religieuse vînt de l’Église catholique. Elle donnait l’impression de n’avoir jusque-là revendiqué la liberté que pour elle-même. En faisant auparavant peu de cas de celle des autres, elle naviguait avec d’autres paramètres politiques et culturels. Au tournant du concile Vatican II, elle n’aura nullement abaissé sa puissance, mais au contraire elle l’aura réhaussée, en ne la faisant plus dépendre que de la grâce de Dieu.

 

 

1) Voir Didier Le Fur, L´Inquisition, enquête historique. France XIIIe-XVe siècle, éd. Taillandier, 2012.

2) Voir M. Viot, Les papes et la France, éd. Via Romana, 2023.

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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