« Sincèrement, ce que j’aime le plus, c’est faire le curé, faire le pasteur. Je n’aime pas le travail de bureau », explique le pape François interrogé par un jeune garçon luthérien.

L'Église luthérienne évangélique de Rome, via Sicilia, a reçu la visite du pape François, dimanche soir, 15 novembre : elle avait reçu la visite du pape émérite Benoît XVI le 14 mars 2010 et celle de saint Jean-Paul II, le 11 décembre 1983. Comme Benoît XVI, le pape a été reçu par Jens-Martin Kruse, pasteur de cette communauté.

Il a eu une conversation spontanée avec la communauté évangélique.

Il a prononcé une homélie, faite d'abondance du cœur, qui se trouve ici.

Il leur a remis également une homélie préparée qui se trouve ici.

Voici notre traduction du dialogue entre le pape et les membres de la communauté luthérienne.

A.B.

Dialogue du pape avec la communauté évangélique de Rome

1) Je m’appelle Julius. J’ai neuf ans et j’aime beaucoup participer au culte des enfants dans cette communauté. Les histoires de Jésus me fascinent et j’aime aussi beaucoup comment il agit. Ma question est : tu es pape, qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce que tu fais ?

La réponse est simple. Si je te demande ce que tu aimes le plus dans un repas, tu me diras : le gâteau ! Ou non ? Mais il faut tout manger. Sincèrement, ce que j’aime le plus, c’est faire le curé, faire le pasteur. Je n’aime pas le travail de bureau. Je n’aime pas ce genre de travail. Je n’aime pas les interviews protocolaires – celle-ci n’en est pas une, c’est familial ! – mais je dois le faire. Donc qu’est-ce que j’aime le plus ? Faire le curé. Autrefois, lorsque j’étais recteur à la faculté de théologie, je faisais aussi le curé, à la paroisse d’à côté, et tu sais, j’aimais beaucoup enseigner le catéchisme aux enfants et dire la messe avec les enfants, le dimanche. Il y en avait environ 250, c’était difficile de les tenir en silence. Converser avec les enfants… ça, ça me plaît. Tu es un enfant, alors tu me comprendras. Vous êtes concrets, vous ne posez pas de question en l’air, théoriques : « Pourquoi ci, pourquoi ça ? ». Voilà, j’aime faire le curé et, ce qui me plaît le plus dans cette tâche, c’est d’être avec les enfants, parler avec eux, on apprend beaucoup. On apprend beaucoup. J’aime faire le pape en faisant le curé. Servir. J’aime ça, en ce sens je me sens bien quand je vais voir les malades, quand je parle avec les personnes qui sont tristes, sont un peu désespérées. J’aime beaucoup aller dans les prisons, mais pas qu’on m’y mette ! Parce que, parler avec les détenus… –  tu comprendras peut-être ce que je veux te dire – à chaque fois que j’entre dans une prison, je me demande : « Pourquoi eux et pas moi ? » Et là-bas je sens le salut de Jésus-Christ, l’amour de Jésus-Christ pour moi. Parce que c’est Lui qui m’a sauvé. Je suis un pécheur, pas moins qu’eux, mais le Seigneur m’a pris par la main. Et je le sens. Quand je me rends en prison je suis heureux. Faire le pape c’est faire l’évêque, faire le curé, faire le pasteur. Si un pape ne fait pas l’évêque, ne fait pas le curé, ne fait pas le pasteur, il a beau être une personne très intelligente, très importante, avoir beaucoup d’influence dans la société, je pense – je pense ! – que dans son cœur il n’est pas heureux. Voilà, je ne sais pas si j’ai répondu à ce que tu voulais savoir.

 

2) Je m’appelle Anke de Bernardinis et, comme beaucoup de personnes de notre communauté, je suis mariée à un Italien, qui est un chrétien catholique de Rome. Nous vivons heureux ensemble depuis des années, partageant joies et douleurs. Nous souffrons donc d’être divisés dans la foi et de ne pouvoir participer ensemble au repas du Seigneur. Que pouvons-nous faire pour atteindre enfin la communion sur ce point ?

Merci Madame. A votre question sur le partage du repas du Seigneur il n’est pas facile pour moi de vous répondre, surtout devant un théologien comme le cardinal Kasper ! J’ai peur ! Je pense aux paroles que le Seigneur nous a dites en nous confiant ce mandat : « Faites cela en mémoire de moi. » Quand nous partageons le repas du Seigneur, nous répétons et imitons, faisons ce que le Seigneur Jésus a fait. Et la Cène du Seigneur aura lieu, le banquet final dans la Nouvelle Jérusalem aura lieu, mais elle sera la dernière. En attendant, pour ce qui est de notre cheminement, maintenant, je me demande – et je ne sais pas comment répondre, mais je fais mienne votre question – je me demande : partager le repas du Seigneur est-il un but dans notre cheminement ou le viatique pour marcher ensemble ? Je laisse la question aux théologiens, à ceux qui comprennent. C’est vrai, dans un certain sens, quand « on partage » c’est comme si on disait qu’il n’y a pas de différence entre nous, que nous avons la même doctrine – je souligne ce mot, un mot difficile à comprendre – mais je me demande : n’avons-nous pas le même baptême ? Si nous avons le même baptême nous devons marcher ensemble. Vous témoignez, Madame, d’un cheminement d’autant plus profond que vous êtes mariés, qu’il est question de famille, d’amour humain et de foi partagée. Nous avons le même baptême. Quand vous sentez avoir péché – moi aussi je me sens un grand pécheur – quand votre époux sent qu’il a péché, vous allez devant le Seigneur lui demander pardon ; votre mari fait la même chose, il va chez le prêtre et demande l’absolution. Ces remèdes entretiennent la flamme du baptême. Quand vous priez ensemble, ce baptême grandit, se renforce ; quand vous enseignez à vos enfants qui est Jésus, pourquoi Il est venu, ce qu’Il a fait, vous faites la même chose, dans la langue des luthériens et dans la langue des catholiques, mais c’est la même chose. Question : et le repas ? Il y a des questions auxquelles seule la sincérité avec soi-même et un brin de « lumières » théologiques comme j’ai, permet de répondre : « C’est la même chose, à vous de voir. » « Ceci est mon corps, ceci est mon sang », a dit le Seigneur, « faites cela en mémoire de moi », c’est le viatique qui nous aide à marcher. J’avais un grand ami évêque épiscopalien, 48 ans, marié, deux enfants et il avait ce souci : son épouse catholique, ses enfants catholiques, lui évêque. Le dimanche, il accompagnait sa femme et ses enfants à la messe, puis il allait prêcher son culte dans sa communauté. C’était un pas dans la participation au repas du Seigneur. Puis il a fait sa route, le Seigneur l’a appelé, un homme juste. Je réponds à votre question par une question : comment puis-je faire avec mon mari, pour que le repas du Seigneur m’accompagne le long de mon chemin ? C’est un problème auquel chacun doit répondre. Mais un ami pasteur me disait : «  Nous croyons que le Seigneur est présent. Il est présent. Vous pensez que le Seigneur est présent. Où est la différence ? — Eh, ce sont des explications, des interprétations… » La vie est plus grande que les explications et les interprétations. Toujours se rapporter au baptême : « Une seule foi, un seul baptême, un seul Seigneur », nous dit saint Paul, et à vous d’en tirer les conséquences. Je n’oserais jamais donner la permission de faire ça ou ça, car cela n’entre pas dans mes compétences. Un seul baptême, un seul Seigneur, une seule foi. Parlez avec le Seigneur et allez de l’avant. Je n’ose en dire plus.

 

3) je m’appelle Gertrud Wiedmer. Je viens de Suisse. Je suis la trésorière de notre communauté et m’occupe de notre projet pour les réfugiés, le projet Orsacchiotto [nounours] qui nous permet de soutenir à peu près 80 jeunes mamans et leurs tout-petits, venues à Rome d’Afrique du Nord. Nous voyons la misère, essayons d’aider, mais voyons aussi que les possibilités humaines ont une fin. Que pouvons-nous faire, nous chrétiens, pour que les personnes ne se résignent pas et n’érigent pas de nouveaux murs ?

Suisse, trésorière, vous en avez du pouvoir dans les mains ! Service… misère… Vous avez prononcé ce mot : misère. Deux choses me viennent à l’esprit. La première, les murs. L’homme, dès le commencement – si nous lisons les Ecritures, fut un grand constructeur de murs, pour séparer de Dieu. On le voit bien dans les premières pages de la Genèse. Et quelle fantaisie derrière ces murs érigés par les hommes… celle de devenir comme Dieu ! Pour moi, le mythe, pour le dire dans un jargon technique, ou le récit de la tour de Babel, reflète l’attitude de l’homme et de la femme qui construisent des murs, car quand on élève des murs c’est comme si on disait : « Nous sommes les puissants, allez-vous en. » Mais dans ce « Nous sommes les puissants, allez-vous en », il y a l’arrogance du pouvoir et l’attitude proposée dans les premières pages de la Genèse : « Vous serez comme Dieu » (cf. Gen 3,5). Dresser un mur est signe d’exclusion, cela va dans cette direction. La tentation : « Si vous mangez ce fruit, vous serez comme Dieu. » A propos de la tour de Babel – vous m’avez peut-être déjà entendu en parler, parce que je me répète, mais c’est tellement parlant – d’un midrash écrit en 1200 plus ou moins, à l’époque de Thomas d’Aquin, de Maimonide, plus ou moins à cette époque-là, par un rabbin juif. Celui-ci expliquait aux siens, dans la synagogue, comment était construite la tour de Babel, la tour où la puissance de l’homme se faisait sentir. C’était très difficile, très coûteux, car on devait faire de la boue et l’eau ne se trouvait pas toujours à côté, il fallait chercher la paille, faire le mélange de pâte, puis tailler, laisser sécher, et mettre à cuire dans le four. Puis les ouvriers les prenaient… Si une de ces briques tombait c’était la catastrophe car elles étaient précieuses, coûteuses. Par contre, si un ouvrier tombait ce n’était pas grave ! Le mur exclut toujours, il préfère le pouvoir – dans ce cas le pouvoir de l’argent, car la brique coûtait, ou la tour qui voulait arriver jusqu'au ciel – il exclut toujours l’humanité. Le mur est un monument à l’exclusion. En nous aussi, dans notre vie intérieure, que de fois les richesses, la vanité, l’orgueil, deviennent des murs face au Seigneur, nous éloignent du Seigneur. Dresser des murs. Pour moi, le mot qui me vient à l’esprit, spontanément, est celui de Jésus : comment faire pour ne pas dresser de murs ? En servant. Jouer le rôle du plus petit. Laver les pieds, comme il nous a montré. Servir les autres, servir nos frères, nos sœurs, les plus vulnérables. Vous, en soutenant 80 jeunes mères, vous ne dressez pas de murs, vous rendez service. L’égoïsme humain veut se défendre, défendre son pouvoir, son égoïsme, mais en faisant cela il s’éloigne de la source de richesse. A la fin, les murs sont comme un suicide, ils t’enferment. Avoir le cœur fermé est une chose si laide. Et aujourd’hui nous le voyons, le drame… Mon frère pasteur aujourd’hui a nommé Paris : des cœurs fermés. Le nom de Dieu aussi est utilisé pour fermer les cœurs. Vous me demandiez, Madame : « Nous essayons d’aider contre la misère, mais nous savons aussi que les possibilités ont une fin. Que pouvons-nous faire, nous chrétiens, afin que les personnes ne se résignent pas ou n’érigent pas de nouveaux murs ? » Parler clairement, prier – car la prière est forte – et servir. Un jour, quelqu’un a demandé à Mère Teresa de Calcutta : « Mais tous ces efforts que vous faites uniquement pour faire mourir ces gens dans la dignité, trois ou quatre jours avant leur mort, ça rime à quoi ? » C’est une goutte d’eau dans l’océan mais, après, les eaux ne sont plus ce qu’elles étaient. Et, servir fera toujours tomber les murs, ils tomberont tout seuls ; mais notre égoïsme, notre désir de pouvoir cherche toujours à les construire. Voilà, je ne sais pas, c’est ce qui m’est venu de vous dire. Merci.

© Traduction de Zenit, Océane Le Gall