L’art a toujours été, au fil des siècles, un moyen pour transmettre et enseigner la foi, et comme cela a été souvent répété au cours du dernier synode des évêques, il peut s’avérer un outil efficace pour annoncer la Bonne Nouvelle au monde d’aujourd’hui.  Mais pour cela il faut  qu’il sache éduquer à la beauté, au bien et à la vérité, estime l’historien italien Rodolfo Papa, professeur d’histoire en théories esthétiques  à l’université pontificale urbanienne. 

Rodolfo Papa a été consulté sur cette question à la dernière assemblée générale du synode des évêques. Expert en théories de l’esthétique, il offre aux lecteurs de Zenit une réflexion sur l’importance de revisiter aujourd’hui les atouts de l’art sacré pour une meilleure transmission de la parole de Dieu.

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La réflexion sur la physionomie de l’art sacré, pour laquelle les documents du Vatican offrent des réponses profondes, impose aussi quelque considération sur une question annexe, qui est peut-être la plus urgente à affronter, soit la formation du clergé et du peuple, celle des personnes qui évoluent dans le milieu et pourquoi pas les artistes eux-mêmes. Il s’agit en définitive d’une question de didactique.

Le concile Vatican II, et tout particulièrement la constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, prescrit des cours d’histoire de l’art, de philosophie de l’art, de théologie de l’art et d’art chrétien dans les petits et grands séminaires , ainsi que dans les facultés de théologie. Par ailleurs, dans les documents conciliaires on parle constamment de formation non seulement chez les prêtres mais chez les laïcs aussi, qui ont la possibilité d’étudier tant dans universités pontificales que dans  les Instituts de Sciences religieuses des divers diocèses.

Il nous faut reconnaître que 50 ans après le concile, le résultat est assez décevant. Il reste encore beaucoup à faire au plan de l’institution même de chaires en art, philosophie de l’art, esthétique, dans les facultés de philosophie , de chaires en théologie de l’art, art sacré et histoire de l’art chrétien  dans les facultés de théologie et de liturgie, mais aussi au plan de l’enseignement du droit relatif aux questions de l’art sacré et de la liturgie, et dans le domaine missiologique, où l’on étudie le rapport entre le christianisme et d’autres « systèmes d’art » liés à d’autres traditions religieuses.

La négligence générale de l’aspect artistique dans la formation philosophique et théologique est attribuée généralement à deux facteurs principaux : la question de l’opportunité et les compétences que requière tels enseignements.

La question  de l’opportunité – c’est-à-dire savoir s’il est opportun d’insérer tels enseignements dans les curricula- s’inscrit dans l’horizon d’une vision de la formation du clergé et du peuple de Dieu fondée sur le souci de l’efficacité, selon laquelle les séminaristes, ayant déjà une quantité de choses auxquelles ils doivent répondre,  n’ont pas de temps à consacrer à l’art, considéré marginal et moins utile.

La question des compétences – autrement dit savoir si l’Eglise possède des compétences artistiques  -  suppose en revanche, implicitement et subrepticement, que l’art a un statut autonome et ne peut donc pas instituer de relations substantielles avec le christianisme. Selon de tels principes, former artistes et clergé aux questions esthétiques et artistiques serait inutile, car il suffirait d’accueillir dans ce domaine tout ce qui est produit dans le monde, indépendamment de la foi chrétienne, et de l’enfiler dans le discours chrétien. Selon cette position, l’Eglise n’aurait pas de compétences qui lui sont propres à revendiquer ni en art, ni en art sacré non plus, mais ne devrait écouter que ce que le monde produit, sans intervenir.

En vérité, si on lit correctement les documents du magistère comme  Sacrosantum Concilium avant tout, mais aussi le catéchisme de l’Eglise catholique et le code de droit canon, on voit que les visions dépassent les deux questions.

Un des premiers éléments qui amènent à réfléchir est le fait que l’on réduise souvent l’art à une question de style uniquement, sans considérer les divers niveaux d’apprentissage, complexes et ramifiés,  que cela demande, oubliant les disciplines élaborées au cours des temps pour affronter de manière holistique un phénomène aussi complexe que celui du monde des arts.

Tel réductionnisme entraine inévitablement une série d’erreurs d’évaluation, théorétique et pratiques qui conduisent inévitablement à une situation d’impasse. En effet, on le voit à cette tendance matérialiste aujourd’hui de voir la beauté non pas comme une glorification de la sainteté, selon la tradition chrétienne,  mais comme une manifestation de richesse et de pouvoir, et donc comme un péché, comme une soustraction d’argent à des questions plus importantes. 

Certains manuels d’histoire de l’art, mal structurés mais très répandus, contribuent très certainement à confondre les idées.

Il y a une relation ontologique entre le vrai, le bien et le beau qui doit au contraire être souvent rappelée. Réaffirmée par tous les documents conciliaires, celle-ci qui devrait être à la base de la didactique et de la production d’art. Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et maintenant le pape François ne cessent d’affirmer cette triade métaphysique du vrai, du beau et du beau.

 C’est un lien qui devrait être pensé jusqu’au bout, en l’insérant dans l’horizon du rapport Fides et Ratio et en le liant à la question des « valeurs non négociables ». Car la beauté, au même degré que  le vrai et le bien,  est non négociable.

Cette vision intégrale de l’être dépasse les modèles contemporains relativistes, réductionnistes, voire pire … antihumain ! L’aspect intégral doit être creusé en éduquant le raisonnement à la vérité comme on éduque à choisir le bien. Et l’affirmation de la vérité a besoin de ce chemin-là, celui de la beauté. En éduquant à la beauté, on éduque aussi au bien et à la vérité. Telle beauté, liée à la vérité et au bien, peut affirmer le Christ.

D’où l’urgence de réfléchir à cette question des arts, qui auront à leur tour le devoir de parler la langue de la beauté. Avec l’affirmation de la beauté de l’art, il faudrait une vraie réorganisation de la formation de toute la communauté ecclésiale, en y  incluant les questions artistiques, en renforçant et soutenant la formation en tant que telle, en favorisant l’éducation à la vérité et à la beauté.

Pour affronter de manière adéquate la nouvelle évangélisation, il est nécessaire de comprendre que l’art est un bon intermédiaire entre la foi et la raison, il les unit, et c’est d’ailleurs pourquoi il a été si utilisé pour annoncer le Christ dans les siècles passés, pour la formation catéchétique et morale, pour l’éducation au beau, au bien et au vrai, comme aide pour la prière, pour la méditation et pour répandre la charité.

L’art demande une bonne formation et à être bien enseigné pour être plus clair et savoir parler de Dieu. Le pape François utilise une expression qui peut aider à  la réflexion: il a dit « Dieu n’est pas un aérosol », « Dieu n’est pas un dieu diffus, un dieu aérosol, qui est un peu partout mais sans que l’on sache ce que c’est ». Il faut donc un art qui aille au-delà d’un dieu aérosol, un art qui ne se réduise pas à une vision nihiliste ou panthéiste du monde, comme cela arrive souvent dans certains courants artistiques contemporains comme « l’Art pauvre », « conceptuel », « pop » …, il faut un art qui, avec la beauté, sache conf esser  le Christ, qui rappelle toujours que si on ne confesse pas la croix du Christ c’est la mondanité de l’on confesse. 

Traduction d'Océane Le Gall