Basil Kannangara, catholique singapourien, vit dans sa propre famille la diversité ethnique singapourienne, entre son père d’origine sri-lankaise et sa mère d’origine sino-malaisienne. Une situation qui l’a sans doute ouvert aux échanges interreligieux, dans une société considérée par le Pew Research Center comme la plus diverse au monde. Fondateur de l’entreprise sociale Being Bridges, il tente de « créer des ponts ». Il se sent conforté dans cette vocation par les multiples appels à la paix du pape François, qui arrive ce mercredi à Singapour.
Le pape François, champion du dialogue interreligieux, doit interpeller les jeunes de différentes religions ce 13 septembre à Singapour au Catholic Junior College. Avant sa visite, de nombreux responsables religieux de la cité-État ont partagé leurs réactions, comme ce responsable hindou singapourien, K. Sengkuttuvan, cité par Catholic News Singapore, et qui s’adresse directement au pape : « Vous avez eut les mots dont le monde a besoin. Voir tout le monde comme les membres d’une seule famille humaine résonne avec la phrase hindoue qui considère l’humanité comme ‘Vasudeva Kutumbaka’ – Enfants de Dieu. Nous vous accueillons chaleureusement et les bras ouverts pour bénir cette île où tous peuvent vivre et laisser vivre. »
« Ce qui est intéressant à Singapour, c’est que beaucoup de membres des différentes communautés religieuses sont déjà présents ici depuis trois ou quatre générations, donc personne ne peut dire qu’ils ne sont pas Singapouriens : leurs arrière-grands-parents sont nés ici ! » explique Basil Kannangara, catholique singapourien, qui a fondé l’organisation Being Bridges. Avec cette dernière, il explique qu’il cherche à créer des ponts. Sa ville compte de multiples communautés ethniques et religieuses, et Basil s’efforce de rapprocher et rassembler musulmans malais, bouddhistes chinois et de nombreux autres groupes, dont les quelque 7 % de catholiques (environ 395 000 fidèles sur 5,6 millions d’habitants).
Depuis quelques années, le gouvernement encourage le dialogue interreligieux et culturel
Si la cité-État apparaît pour beaucoup comme un modèle de coexistence pacifique, Basil assure que les relations entre communautés ne sont pas toujours si enracinées ni sans tensions. Le communautarisme existe, même si la taille de l’État peut faciliter la résolution des problèmes. Depuis quelques années le gouvernement, conscient que la religion est un domaine sensible qui peut causer des conflits dans une société aussi diverse, cherche à favoriser les relations interreligieuses et interculturelles à Singapour, notamment via des évènements de quartiers organisés par l’organisation Harmony Circle.
C’est à une de ces soirées que Basil et son entreprise sociale Being Bridges tiennent un stand ce samedi 7 septembre, au centre social de Wisma Geylang Serai, une vaste galerie dédiée intégralement aux échanges culturels. De nombreux stands sont proposés aux familles qui arrivent de tous les coins de Singapour, parfois de l’autre bout de l’île, afin d’inciter les uns à mieux connaître les autres, de façon ludique. Un stand de calligraphie propose ainsi de s’essayer aux caractères chinois et arabes ; d’autres présentent des lanternes philippines, des gamelans balinais, des poupées indiennes ou encore des danses malaises, chinoises, eurasiennes et thaïlandaises… Évoquant autant de groupes présents à Singapour.
« Parfois, les solutions les plus simples peuvent aider à guérir certains maux »
De son côté, Basil présente une initiative originale sur son stand : des casques VR (« réalité virtuelle ») pour visiter différents lieux de culte de la ville. Un prêtre franciscain fait visiter son église, un moine présente son temple bouddhiste, un imam accueille dans sa mosquée, etc. Pour Basil, c’est une façon de contourner les différentes barrières qui peuvent dissuader les gens d’entrer dans ces lieux parfois totalement étrangers.
Pour lui, c’est aussi une façon d’intéresser les plus jeunes, afin de les « éveiller » au dialogue. « Parfois, les solutions les plus simples peuvent aider à guérir certains maux. Peut-être que parfois on réfléchit trop, à tous les niveaux, sur la façon d’unifier, de construire la paix… Peut-être qu’on peut simplement montrer aux gens ce qu’il y a derrière ces murs. Pour prendre conscience de la réalité. Il y a tant de problèmes, mais peut-être qu’il y a aussi autant de solutions ! » confie-t-il.
« Parfois, le fait de découvrir le caractère sacré de certains lieux de culte d’autres confessions religieuses, cela peut renvoyer à sa propre foi et inciter à retrouver ce qu’il y a de plus sacré, de plus saint dans sa propre religion », explique Basil.
Rencontre décisive avec le pape
« Il y a quelques mois, j’ai songé à renoncer à ce travail, parce que c’est parfois difficile de gagner de l’argent ainsi, et parce que c’est une question qui peut être très sensible ici. Peu de gens veulent parler de religion. Quand je prends un taxi à Singapour, que je tombe sur un chauffeur de la vieille génération et qu’il me demande ce que je fais, il réagit toujours ainsi : ‘Oh ! On ne peut pas faire cela à Singapour ! On ne peut pas parler de race ou de religion… Le gouvernement vous mettra en prison.’ Ils ont peur à cause des ‘riots’ [émeutes raciales survenues durant les années 1960], mais ils ne réalisent pas qu’aujourd’hui, le gouvernement encourage à parler. Je constate cela souvent à Singapour », poursuit-il.
Ce qui l’a encouragé à continuer, c’est une rencontre avec le pape François à Rome il y a quelques mois, en juin, dans le cadre d’une conférence interreligieuse organisée par le mouvement des Focolari. « Il y avait des moines bouddhistes, des rabbins, des imams, des sikhs, même des shintoïstes japonais… Tous rassemblés dans la salle Clémentine au Vatican. Comme j’ai été jésuite et que j’ai dû quitter l’ordre, quand j’ai rencontré le pape, lui-même jésuite, je lui ai demandé de me donner une bénédiction spéciale pour ma nouvelle vie », raconte-t-il.
« Quand il a entendu cela, le pape s’est rapproché de moi et son visage s’est éclairé. Il m’a tapé dans la main avec un grand sourire, et je me suis senti confirmé dans mon nouveau rôle, comme laïc au service des relations interreligieuses », ajoute-t-il, ému.
« C’est ma vocation, mon appel en tant que catholique »
Basil évoque un autre évènement qui l’a marqué durant cette conférence, un beau geste qui l’a touché. « Il y avait deux marches pour sortir de la salle. Un jeune rabbin accompagnait un vieux rabbin en fauteuil roulant. Quand ils sont arrivés en haut des marches, trois moines bouddhistes et un imam se sont approchés soudainement, pour prendre chacun des coins du fauteuil et le porter en bas des marches. Là, alors même qu’il y avait le conflit à Gaza, on voyait un responsable musulman porter un rabbin en bas de ces marches. Cela m’a profondément ému. Voir cela, cela m’a donné suffisamment d’énergie pour continuer dans cette voie », explique Basil.
Durant cette conférence, le jeune catholique singapourien raconte que le pape a encouragé les responsables religieux présents à s’ouvrir au dialogue, à continuer de faire du bon travail… Pour Basil, c’était frappant de voir des maîtres sikhs, des moines bouddhistes s’incliner devant le pape, « en le remerciant pour tout ce qu’il fait pour la paix dans leurs propres pays ».
Tout cela l’a conforté dans cette pensée : « Je sens que ce que je fais, c’est l’œuvre de Dieu, c’est ma vocation en tant que catholique, mon appel, afin de promouvoir l’amour, celui que nous apprenons en Jésus Christ, dans toute la société, quelle que soit la religion des autres, même s’ils ne sont pas croyants. C’est ma façon de vivre cet amour dans la société. »